Etant donné la méfiance que lui inspirait Marie de Médicis, il avait fallu toute l’autorité du baron Hubert pour qu’elle accepte de porter ces magnifiques bijoux.

— Perdez donc cette crainte qu’on vous en déleste au Louvre ! La Médicis est folle de bijoux mais pas à ce point-là ! Mettez-vous une fois pour toutes dans la tête que vous êtes la baronne de Courcy et que cela oblige, sacrebleu !... Et puis je ne serai pas fâché de contempler la mine que l’on tirera devant les pierres de la reine Marguerite.

— La reine Marguerite ?

— De Provence, l’épouse de Saint Louis. Elle les avait achetées à un marchand de Saint-Jean-D’acre fraîchement débarqué des Indes. Cher, évidemment, et cela lui avait valu une sévère remontrance de son saint époux - grand roi mais sûrement pas facile à vivre ! - qui lui avait rappelé vertement que l'on n'était pas venu en Terre sainte pour s’y livrer à des emplettes frivoles. La mort dans l’âme, elle les avait donc revendues à notre aïeul Enguerrand de Courcy qui n’avait vu aucun inconvénient à mélanger croisade et enrichissement... En rentrant, il s’était marié et avait offert tout naturellement les émeraudes à sa jeune et belle épouse qui l’en avait remercié en lui donnant six marmots ! Je me hâte de vous dire que vous n’êtes pas obligée d’en fabriquer autant. Deux ou trois feront largement notre affaire... mais je ne vous empêche pas d’en rajouter.

Le résultat dépassa ses espérances. Quand, après les deux premières révérences, Lorenza mit genou en terre pour baiser le bas de sa robe - constellée de petits diamants et de perles et sous laquelle elle brillait comme une énorme étoile -, la Reine avait - littéralement ! - louché sur les joyaux en prenant une teinte ponceau révélatrice. A la présentation de Mme de Guercheville et au petit discours d’Hubert, elle avait marmonné en réponse quelques paroles parfaitement incompréhensibles auxquelles le Roi s’était hâté d’ajouter une chaleureuse bienvenue ! Il avait embrassé le baron, ce qui lui avait permis d'embrasser aussi Lorenza sans oublier Clarisse.

Mais cela avait bien été le seul moment détendu de la soirée. Il régnait à la Cour, en effet, une atmosphère pesante, devenue quasi étouffante même quand, avisant Mme d'Angoulême qui bavardait avec Mme de Royancourt, Henri s’était glissé entre elles pour demander à la duchesse, avec des larmes dans les yeux, si elle « avait des nouvelles de son bel ange ».

— Aucune, Sire, pour le moment ! Tout ce que nous savons est qu’elle reçoit l’hospitalité de l’infante Isabelle qui la traite bien parce qu’elle a su lui plaire, Dieu soit loué ! Mais elle n’a guère de liberté tandis que Condé s’agite aux frontières... On parle beaucoup de guerre, hasarda-t-elle.

Un éclair de colère s’alluma dans l’œil bleu d’Henri IV.

— Et l’on a raison ! Il faut en finir avec la succession de Juliers et nous réglerons cette affaire du même coup ! Ensuite nous verrons à obtenir du pape...

Il s’arrêta, l’œil soudain fixé sur les moires pourpres du nonce apostolique Ubaldini qui venait de ce côté avec l’ambassadeur vénitien Foscari, puis tourna les talons pour rejoindre son ministre Sully avec lequel il s’éloigna, entraînant avec lui le baron Hubert dont il avait pris le bras. Les trois femmes entreprirent alors une lente promenade le long de la galerie. Rien ne semblait, pour une fois, prévu pour la soirée, ni concert, ni bal. Pas même le jeu !

— En vérité, marmotta Mme d’Angoulême, c’est à se demander si l’on n’est pas en deuil de quelqu’un !

— Vous n’imaginiez tout de même pas qu’on allait donner une fête, en mon honneur ? murmura Lorenza qui cherchait des yeux Mme de Guercheville pour apprendre d’elle quand elle devrait prendre son service.

C’est à ce moment qu’elle entendit :

— Eh bien, vous voilà de retour parmi nous ? fit la voix railleuse de Mlle du Tillet. Je tenais à vous faire mon compliment ! Ainsi que pour votre mariage ! Vous êtes heureuse, j’espère ? Un beau nom, un époux superbe et une grande fortune ! Que demander de mieux !

— Vous pourriez ajouter : l’immense honneur d’être nommée dame du palais ? Persifla Clarisse. Il est vrai que celui-là relève du nom en question et que la Reine n’a dû l’accepter que du bout des lèvres. Son accueil n’a pas été des plus chaleureux !

La Du Tillet haussa les épaules.

— Que voulez-vous ? Se soumettre à une obligation n’est jamais fort agréable...

— D’où je peux espérer qu’elle ne requerra pas souvent mes services, répliqua Lorenza qui ne demandait qu’à rentrer au château.

— Détrompez-vous, ma chère ! Votre « quart » commence dès demain. Dans les jours qui vont venir, la Reine va avoir besoin de tout son monde. Il va y avoir tant à préparer, tant d’essayages et de répétitions ! Et nous n’avons guère plus de deux mois... Elle tient à ce que l’événement soit plus que brillant : inoubliable ! C’est de cela sans doute qu’elle s’entretient avec le nonce. Il suffit de voir son sourire et les grâces qu’elle déploie pour lui !

— Elle lui fait toujours bon visage, fit Mme d’Angoulême qui s’était écartée un instant pour répondre au salut d’un couple. Il n’y a là rien de nouveau ! Et d’abord de quel événement parlez-vous ? poursuivit-elle.

Mlle du Tillet s’épanouit soudain comme une salade assoiffée sous l’arrosoir.

— Mais le sacre, Madame la duchesse ! Le sacre que le Roi s’est enfin laissé convaincre de lui accorder. Ce qui est la sagesse quand il s’apprête à partir en guerre !

— La guerre ? Pour récupérer une jolie femme qu’il aura peut-être oubliée dans un an ou deux ? Soupira Clarisse en haussant les épaules. L’archiduc Albert ne sera pas assez sot pour s’engager dans cette aventure ! Il renverra le jeune couple Condé et voilà tout !

— Vous savez bien qu’il n’y a pas que cela ! Ce que le Roi veut c’est débarrasser les Pays-Bas du joug espagnol, au nord, et amoindrir l’Espagne tout entière, au sud !

— Mais au-dessus des Pays-Bas il y a la Hollande, et la France lui est alliée comme à l’Angleterre et aux princes allemands...

— Et derrière les princes, il y a l’Empereur - catholique! - très lié à l’Espagne qui se veut l’enfant chéri du pape... que notre Reine révère comme il se doit ! Regardez-la avec le cardinal Ubaldini !

— C’est étrange, intervint Lorenza. Lorsque j’ai disparu de la Cour, il n’était question que des mariages espagnols...

— Oh, le Roi ne veut même plus en entendre parler ! Voilà pourquoi il est si important que notre Reine soit couronnée ! expliqua la Du Tillet qui s'en repentit en voyant se froncer trois paires de sourcils.

— Parce que devenue régente... au cas où le Roi ne reviendrait pas, elle se hâterait de renverser sa politique... et de les conclure, ces fichus mariages ! murmura Mme de Royancourt.

— Mais, fort heureusement, Sa Majesté jouit d'une excellente santé. Et bien qu’il ait tant fait depuis plus de dix ans pour préserver la paix, il est sans conteste l'un des meilleurs guerriers de notre temps parce qu’il adore l’action ! Acheva la comtesse Clarisse tandis que Mme d'Angoulême enchaînait :

— Mais, comme par hasard, Paris bourdonne de tout un assortiment de prédictions désastreuses pour la vie du Roi. Lequel a d’ailleurs refusé de laisser venir ici la fameuse Pasithée que sa tendre moitié ne cesse de réclamer !

En dépit d’un long usage de l’escrime verbale de la Cour, la Du Tillet se sentit rougir et rompit les chiens :

— Veuillez me pardonner, Madame la duchesse, Mesdames, mais je vois là-bas Mme de Guercheville qui me fait signe !

Et, après l’ébauche d’un salut, elle disparut dans la foule suivie du regard par les trois autres.

— Je n’aime pas du tout cela ! commenta Mme d’Angoulême. A mon tour de vous abandonner... Je voudrais essayer d’apprendre où en est l’ambassade du marquis de Praslin !

La réponse lui parvint aussitôt, apportée par le baron Hubert qui venait de les rejoindre.

— Il est encore à Bruxelles avec ses deux acolytes ! Ce qui est bon signe. Le Roi attend beaucoup de sa diplomatie !

— C’est plutôt la sienne qui m’inquiète ! dit sa sœur. Il vous a parlé aussi de ce fichu couronnement ?

— Tout le monde en parle. Pourquoi pas lui ?

— Comment en est-il venu là ? C’est de la démence !...

Courcy se détourna pour appeler un valet qui portait des coupes de vin blanc, servit ses compagnes, en prit une pour lui, avala la moitié du contenu et se décida enfin à répondre :

— Je crois surtout que c’est pour avoir la paix ! Son impossible Majesté le harcelait, alternant ses réclamations avec des crises de larmes en l’adjurant qu’en son absence ce serait pour elle la seule garantie pour sa vie. Une fois couronnée elle sera intouchable sauf pour un personnage assez fou pour risquer d’être tiré à quatre chevaux en place de Grève!

— Et il a avalé cette ânerie ? s’indigna Lorenza. Comment lui, si intelligent cependant, ne comprend-il pas qu’il jouera ainsi sa vie ? Dès l’instant où elle sera sûre de la régence, on pourra se débarrasser de lui ! Il y a des gens qui n’attendent que cela...

Brusquement Hubert la saisit par le bras pour l’entraîner à l’écart, clamant à haute voix :

— Venez donc admirer les nouvelles tapisseries du salon Carré ! Elles sont superbes... (Il reprit plus bas :) Taisez-vous pour l’amour de Dieu ! Je sais à quoi vous pensez ! Cet entretien que vous avez surpris, dans le bois de Verneuil, entre la dariolette de la marquise et-cet individu d’Angoulême !

— Comment n’y pas penser ? Il devait revenir après un couronnement auquel personne n’ajoutait foi, et voilà que cela va se faire !

— Comment dites-vous qu'il s'appelait ?

Prise de court, elle hésita :