À leur vue, une flamme s’alluma dans le regard couleur de granit et, comme une masse, Doña Luisa se laissa tomber à genoux devant les émeraudes où elle posa des mains tremblantes :
— Pardonnez-moi d’avoir douté de vous, prince Morosini, car ceci est un miracle. Où étaient les pierres sacrées ?
— Cachées parmi les objets précieux rapportés du Mexique par l’impératrice Charlotte qui a toujours ignoré qu’elle les possédait.
— Qui les avait mises là ?
— Une femme qui la haïssait et qui, connaissant la malédiction attachée à ces émeraudes, voulait qu’elles causent sa perte.
— Elles n’y ont pas manqué puisqu’elle est morte folle mais désormais les « quetzalitzli » du Serpent à Plumes ne seront plus touchées que par des mains pures et ces mains les rapporteront à la terre des ancêtres dont la gloire et la renommée renaîtront ! Loué soit Uitzilopochtli, dieu des dieux, pour ce beau jour qui nous rend l’espérance !
Et, toujours à genoux, Doña Luisa entama une mélopée bouche fermée, à la fois lente et lugubre, mais traversée d’éclats de voix qui ressemblaient à des cris de victoire. Tous l’écoutèrent sans songer à l’interrompre, tant ce chant venu du fond des âges était émouvant.
Ce fut seulement quand elle se tut, courbée et assise sur ses talons en élevant au bout de ses bras les émeraudes au-dessus de sa tête qu’éclata le bruit le plus incongru : un applaudissement qui ne généra aucun écho.
L’auteur en était évidemment le dernier des Solmanski :
— Bravo ! Quelle réussite et qui pourrait avoir du succès au music-hall mais, ici, il est temps de passer aux affaires sérieuses, on a suffisamment rigolé !
Et, d’un geste vif, il arracha le collier à Doña Luisa et le fit miroiter entre ses doigts avant de le fourrer tranquillement dans sa poche.
À demi étouffée d’indignation, la vieille dame émit un cri de colère et voulut se relever maladroitement, ce qui eût aggravé son cas si la poigne solide d’Aldo n’était venue à son secours pour la remettre debout. Elle l’en remercia d’un coup d’œil mais protesta :
— Vous perdez la raison, je pense ! Que vous osiez seulement toucher les pierres sacrées n’était pas dans nos conventions !
Il haussa les épaules avec un vilain sourire :
— Nos conventions ? J’ai l’impression qu’elles n’ont existé que dans votre esprit, ma bonne dame, et dans celui de ce pauvre Don Pedro. Moi, je n’ai jamais travaillé que pour moi…
— Allons donc ! Quand Miguel vous a amené chez nous à New York ?
— … Ah ! ça, j’admets avoir fait ce qu’il fallait pour vous séduire et entrer dans votre jeu quand j’ai compris qu’avec votre histoire de trésor familial disparu, vous m’apportiez exactement ce dont je rêvais : l’occasion de faire une belle fortune en tirant une éclatante vengeance d’un homme que j’exècre…
— Ne cherchez pas, Doña Luisa, c’est de moi qu’il s’agit ! fit Aldo. Ce triste personnage estime que je suis en dette envers lui…
— Ne mélangeons pas. On réglera ça comme je l’ai décidé. Pour l’heure, il n’y a place que pour les joies du triomphe, et le mien est complet.
— Parce que vous détenez les émeraudes ? laissa tomber Aldo, dédaigneux. Vous ne devriez pas perdre de vue la malédiction qui pèse sur elles. Qu’est-ce qui peut vous faire croire qu’elle vous épargnera ?
— La bonne raison que je n’ai pas l’intention de les garder mais de les vendre… une somme astronomique ! Je connais l’acquéreur qui m’en donnera ce que je voudrai. Et si vous ajoutez l’héritage Vauxbrun…
— Vous n’y avez aucun droit, que je sache !
— Moi, non, j’en conviens, mais sa veuve, si. Ce qui nous a permis de vivre agréablement en vendant certaines babioles ici ou là… Le reste va suivre. Et ça fait un paquet !
— Ça va faire surtout un paquet de désillusions pour vous. Tant que Vauxbrun n’était que disparu, sa femme pouvait agir à sa guise. Désormais, elle va être officiellement veuve, donc la succession va être ouverte…
— Et alors ? Ouverte ou fermée, c’est du pareil au même. Tout lui revient !
— C’est là que vous faites erreur… En dehors de la part réservataire prévue par la loi, elle n’a droit à rien.
— N’essayez pas de me raconter des fariboles. Ce n’est quand même pas l’État qui va ramasser ?
— Non. C’est l’héritier. Figurez-vous qu’il y en a un, dûment reconnu et couché sur le testament déposé en l’étude de Maître Baud, notaire. Vauxbrun était célibataire mais il avait un fils naturel qu’il a reconnu !
— Ce n’est pas grave : on attaquera le testament. J’imagine sans peine quel genre de gamin facile à intimider nous aurons en face de nous…
— Il est procureur de la République !
Intérieurement, Aldo priait désespérément pour que ce soit toujours la réalité, ce dont personne ne pouvait être certain depuis la disparition inexplicable du jeune magistrat. Peut-être même faisait-il partie de ces « autres » évoqués tout à l’heure par Gregory laissant entendre la présence de prisonniers dans cette maison, mais il n’avait pu résister au plaisir pervers de voir le visage de son ennemi se convulser de rage. En vérité, ce fruit des amours clandestines de Roman Solmanski et d’Adriana Orseolo manquait de cette classe qui n’avait jamais fait défaut à ses géniteurs !
Celui-ci, cependant, arrivait à la parade :
— Bah ! Ça n’en fait qu’un de plus à éliminer !
— Tuer est votre spécialité, n’est-ce pas ? Si j’étais vous, je prendrais la précaution de tenir compte de la police française et, surtout, je considérerais que la mort de l’héritier ne changerait rien pour Mme Vauxbrun. Car la succession qui s’ouvrirait alors serait celle de votre nouvelle victime. Vous n’y gagneriez qu’une chance de plus de porter à l’échafaud une tête ô combien antipathique !
— Ne vous faites pas de bile ! Je suis américain !
— La chaise électrique ne doit pas être plus agréable. Surtout, c’est plus long ! Mais pas d’illusions, ce sera ou l’une ou l’autre. Le chef de la police métropolitaine de New York, Phil Anderson, se fera une joie de demander votre extradition…
Le tout sur un ton paisible qui exacerba la fureur du dénommé Solmanski. Il se mit à hurler, ordonnant en plusieurs langues que l’on réduise son prisonnier, qu’on le ligote et qu’on le bâillonne. Ce qui fut exécuté avec dextérité, après quoi on l’expédia à terre tel un paquet. Le hasard voulut qu’il tombe aux pieds de Doña Luisa, effondrée dans un fauteuil, qui pleurait en silence sans songer à essuyer ses larmes. Là, à quelques pas, Gregory avait ressorti le collier et le maniait dans la lumière des bougies, ayant momentanément oublié ceux qui le regardaient. La vieille dame se pencha sur Morosini :
— Pourquoi l’avoir poussé à bout ? chuchota-t-elle. Il va vous tuer et tout sera dit.
Il hocha légèrement la tête, accompagnant son geste d’un regard souriant… Il n’avait pas d’autre moyen de lui faire comprendre qu’il avait agi sciemment dans l’espoir qu’on l’enverrait rejoindre ces autres qui le tracassaient tant. Il serait peut-être possible de tenter une action puisqu’il avait gardé son couteau. Quant à être abattu sur place, il n’y croyait pas. Gregory ne lui avait-il pas promis une douloureuse agonie ? Cela avait au moins l’avantage de laisser du temps. Il aurait seulement préféré savoir ce qu’Adalbert faisait pendant ce temps-là !
Cependant, un autre personnage faisait son apparition. Suivie par les regards admiratifs de ces hommes frustes, Doña Isabel descendait l’escalier, lente, gracieuse, hiératique et apparemment insensible, elle semblait glisser dans sa longue robe d’intérieur en velours noir, parée du seul éclat de sa peau révélé par le profond décolleté en pointe… Du fond de son inconfortable position, Aldo ne put s’empêcher d’admirer sa beauté sans cesser de déplorer qu’elle fût à ce point dépourvue de vie.
Mais d’un seul coup la statue s’anima : elle venait d’apercevoir les émeraudes entre les mains de Gregory et, se précipitant vers lui, elle les lui arracha avec une fureur inattendue :
— Les quetzalitzli sacrées ! Comment osez-vous seulement les toucher ? C’est un sacrilège !
Trop surpris par la soudaine transformation de la jeune femme, Gregory ne réagit pas et se laissa enlever les pierres sans rien faire pour les retenir. Isabel l’oubliait déjà. Comme Doña Luisa précédemment, elle éleva les pierres vers les lumières d’un candélabre puis, les bras toujours tendus, plia le genou en baissant la tête comme l’eût fait une chrétienne devant l’hostie, se redressa et revint vers l’escalier qu’elle s’apprêtait à remonter sans que quiconque fît un geste pour l’interrompre tant elle était transfigurée.
Mais le fils de Roman Solmanski n’était pas de ceux qu’un sortilège peut retenir captif longtemps. En trois sauts il eut rejoint la jeune femme :
— Hé là ! Où prétendez-vous aller ?
— Chez moi où le joyau de Quetzalcóatl recevra de mes mains consacrées les rites purificateurs en attendant d’être conduit au navire qui nous ramènera au pays des ancêtres.
D’un mouvement instinctif de protection, elle avait plaqué le collier contre sa gorge tandis que Gregory l’obligeait à revenir vers la cheminée. Sans brutalité excessive : il semblait plus surpris que mécontent.
— Les rites purificateurs ? Le pays des ancêtres ? Qu’est-ce que ce charabia ? Vous avez vraiment cru que je me décarcassais uniquement pour vous remettre le collier et vous conduire au bateau en vous souhaitant bon voyage ? Allons donc ! Revenez sur terre, ma belle, et n’essayez pas de me faire avaler que vous êtes aussi bornée que votre oncle. J’avoue que je l’ai pensé un moment, vous étiez tellement absente, si obstinément muette, que je vous prenais pour une jolie poupée bien dressée et sans plus de cervelle.
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