— J’entends bien, mais je ne lui en ai jamais connu. M. Vauxbrun et lui étaient rentrés de la guerre ensemble et M. Servon n’a jamais eu d’autre adresse.
— Il est peut-être originaire d’une ville ou d’un village ? hasarda Vidal-Pellicorne. Un lieu où il aurait encore de la famille ?
— Pas que je sache ! répondit Bailey après un instant de réflexion. Ce qu’il faudrait, c’est pouvoir interroger Berthe, la cuisinière. Une femme sait toujours ce qu’elle veut savoir, surtout vivant constamment auprès de quelqu’un. Et au cas, improbable, où elle ne saurait rien, tous les renseignements concernant les gens de maison doivent se trouver rue de Lille dans un meuble de la chambre ou du cabinet de travail-bibliothèque de M. Vauxbrun. Vous savez à quel point il tenait à ce que tout fût en ordre chez lui ! La police qui a dû perquisitionner et réunir un dossier a certainement des lumières à ce sujet.
— On peut toujours aller le lui demander ! soupira Aldo en se levant.
Mais à la PJ, ils firent chou blanc. Le commissaire divisionnaire n’était pas là et l’inspecteur Lecoq pas davantage.
— Il n’y a plus, conclut Aldo, qu’à aller demain matin acheter des croissants à la boulangerie de la rue de Lille !
À la réflexion, on décida que Marie-Angéline était le personnage idéal pour interroger la cuisinière de Vauxbrun. Elle excellait dans ce genre de mission et, naturellement, se montra enthousiaste. À sept heures pile, dans une aube encore incertaine, la voiture qu’Aldo avait louée la veille afin de ne pas être tributaire des taxis se garait à quelques pas du magasin éclairé puis éteignait ses phares. D’où ils étaient, les occupants pouvaient voir parfaitement ce qui s’y passait. La boulangère se tenait à la caisse et une jeune fille servait les clients qui pour la plupart étaient des domestiques venus chercher les éléments majeurs du petit déjeuner. La maison semblait prospère. Ce qui était normal, si l’on s’en tenait à l’odeur de beurre frais et de pain chaud qui se répandait dans la rue. On attendit ainsi un bon quart d’heure puis Aldo dit :
— La voilà ! C’est Berthe Poirier !
Marie-Angéline se hâta de gagner les abords de la boutique. À l’évidence, la cuisinière était l’une des notabilités du coin. On s’empressait pour la servir et à la façon dont semblait se dérouler son dialogue avec la dame de la caisse, on comprenait que la maison compatissait aux ennuis de cette fidèle cliente. Quand enfin elle sortit, munie d’un panier dans lequel gonflait un grand sac de papier, Marie-Angéline la rejoignit :
— Vous êtes bien Mme Berthe Poirier ?
Elle parlait doucement, cependant la cuisinière qui venait de pêcher un croissant dans le sac et allait mordre dedans sursauta et la regarda, les yeux ronds :
— Oui… C’est moi.
— Pardonnez-moi de vous aborder de la sorte mais je ne peux pas faire autrement. Je suis Mlle du Plan-Crépin, la cousine du prince Morosini. Il m’a chargée de vous demander si vous connaissez l’adresse de Lucien Servon ?
Rassurée, Berthe remit son croissant dans le panier et croisa ses mains sur son ventre :
— Son adresse ? Mais ma pauvre mademoiselle, c’était ici son adresse, et ça depuis des années !
— Alors, où a-t-il pu aller quand il est parti ? Vous l’a-t-il confié ?
— Pour sûr, je lui ai demandé, ne serait-ce que pour le prévenir quand notre pauvre Monsieur reviendrait, mais il m’a dit qu’il donnerait des nouvelles à Mr Bailey. Que pour l’instant, il fallait qu’il s’en aille et qu’il ne pouvait pas m’en dire plus ! Faut dire qu’il avait l’air affolé. Il a même ajouté que je devrais faire comme lui…
— Qu’en pensez-vous ?
— Oh, moi, vous savez, je n’ai pas grand-chose à craindre. J’ai seulement affaire à la vieille dame le matin pour les menus. Elle aime bien ma cuisine. Les autres aussi, à ce qu’il paraît !
— Comment est-elle avec vous ?
— Pas désagréable. Elle n’a pas l’air commode mais ça doit tenir à sa figure parce qu’elle sait commander sans être déplaisante. Je vais vous dire : je suis comme tout le monde et je n’sais pas qui sont ces gens-là mais, elle, c’est une dame, une vraie ! Et je m’y connais !
— Et le reste de la famille ?
— À vous dire la vérité, je ne les vois guère, sinon pas du tout. La jeune dame ne quitte son appartement que pour les repas. Ce que je sais, c’est que le jeune monsieur sort beaucoup et que le vieux passe son temps dans le bureau…
— Ils ont remplacé Servon ?
— Pas encore. Ils ont demandé à l’ambassade d’à côté de leur prêter quelqu’un en attendant qu’ils partent pour Biarritz, mais pour l’instant il n’y a personne. Sauf le valet de chambre du vieux monsieur qui sert pour les deux et que j’n’aime pas trop. Avec ses grosses moustaches et ses yeux riboulants, il a plutôt l’air d’un révolutionnaire. Les dames aussi ont une femme de chambre mais celle-là ressemblerait plutôt à une souris et ne parle pas davantage. Elle travaille bien, je ne peux pas en dire plus… Faites excuse, Mademoiselle, mais il faudrait que je rentre. Ils sont à cheval sur l’heure et je ne voudrais pas voir arriver le moustachu !
— C’est trop juste ! Excusez-moi ! Oh, un mot encore ! Servon a fait allusion à des objets disparus ? Il n’a pas dit lesquels ?
— Non ! Tenez ! Qu’est-ce que je vous disais ! Vous le voyez là-bas qui rapplique ?
Une silhouette d’homme sortait en effet de l’hôtel. Les deux femmes échangèrent un salut rapide et Berthe poursuivit son chemin tandis que Marie-Angéline donnait le change en faisant quelques pas sur le trottoir, ne se décidant à traverser pour rejoindre la voiture qu’une fois la cuisinière rentrée. Elle se hâta de retourner auprès d’Aldo qui démarra aussitôt :
— Alors ? fit-il.
Elle raconta avec une précision rigoureuse. Une mémoire exceptionnelle lui permettait d’enregistrer quasi mot par mot ce qu’elle entendait. Puis elle ajouta, assez contente d’elle-même :
— Vous avez eu raison de m’envoyer. On venait voir pourquoi elle s’attardait et si bavarder un instant avec une voisine est anodin, s’entretenir avec quelqu’un comme vous devant une boulangerie au petit matin risquait de faire jaser !
— Mais c’est exactement ce que je pensais ! Vous savez bien que vous êtes irremplaçable !
— N’exagérons rien !… À propos de remplacement, ne serait-il pas possible, en passant par un quelconque fonctionnaire de l’ambassade espagnole, d’introduire dans la place le frère du valet d’Adalbert ?
— Romuald ? S’il est libre, ce ne serait pas une mauvaise idée ! C’en est même une très bonne et on va voir ça immédiatement !
Une demi-heure plus tard, Aldo arrêtait la Talbot devant la maison d’Adalbert après une escale rapide rue Royale, chez Ladurée, pour se procurer brioches, croissants et autres gâteries destinées à se faire pardonner une intrusion aussi matinale. Adalbert était gourmand comme un chat et on savait toujours comment lui faire plaisir. Comme ce n’était pas un lève-tôt sauf quand il était sur un chantier de fouilles, on tombait à point nommé. Il passa une robe de chambre et l’on se retrouva autour d’une table où fumaient une cafetière et une chocolatière. Le tout servi avec d’autant plus de célérité par Théobald que Morosini l’avait averti que l’on pourrait avoir besoin de lui. Ce qui enchantait toujours ce modèle des serviteurs pour célibataire endurci.
Un modèle qu’une nature généreuse avait produit en double exemplaire puisqu’il avait un frère jumeau, Romuald, avec lequel il était totalement interchangeable physiquement et professionnellement. Seuls différaient leurs goûts : Romuald, dit « le rat des champs », préférait la vie à la campagne et la culture amoureuse de son jardin, tandis que Théobald, dit « le rat des villes », optait pour l’existence citadine. Ce qui ne les empêchait pas de se rendre de mutuels services et de vouer à Vidal-Pellicorne un égal dévouement pour avoir, pendant la guerre, sauvé la vie de Théobald au risque de la sienne. Ce qui était valable pour l’un l’était aussi pour l’autre.
Théobald, qui ne détestait pas l’aventure, se fût volontiers dévoué, mais Adalbert n’aimait pas assez Vauxbrun pour lui sacrifier cette part indispensable de son confort. Il se contenta donc d’appeler le frère au téléphone en lui donnant un vague aperçu de ce qu’on attendait de lui. Romuald répondit en annonçant son arrivée. Restait à trouver le moyen de le faire présenter par l’ambassade espagnole.
En attendant qu’il arrive d’Argenteuil de toute la vitesse de sa motocyclette, Aldo et Plan-Crépin rentrèrent chez Mme de Sommières où se tiendrait la suite de la conférence. Celle-ci devait se demander pour quelle raison l’expédition de la rue de Lille durait si longtemps…
Ils ne se trompaient pas. La vieille dame avait déjà le pied à l’étrier pour monter sur ses grands chevaux :
— Vous en avez mis du temps ! fulmina-t-elle.
— L’important était qu’il soit utilement employé, n’est-ce pas ? fit Aldo en posant sur ses genoux le carton de macarons dont, sachant qu’elle les adorait, il s’était muni chez Ladurée. Et maintenant nous avons besoin de vous ! Avez-vous des relations à l’ambassade d’Espagne ?
— J’en avais mais je n’en ai plus depuis que le marquis de Casa Grande a quitté ce monde il y a quatre ou cinq ans. J’étais assez liée avec sa femme, une Française… mais Plan-Crépin devrait s’en souvenir ?
— Comme nous n’avons pas revu la marquise depuis ce moment, j’avoue que j’avais oublié.
— Surprenant ! Elle s’était donné alors un mal de chien pour vous débaucher ! Il faut dire, ajouta-t-elle pour Aldo, qu’elle est dévote comme une prostituée repentie et Plan-Crépin lui était apparue comme la compagne idéale.
— Je n’en pensais pas autant ! marmotta celle-ci en rougissant. Et je n’ai pas envie que nous reprenions nos relations avec elle !
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