— Qui donc ? demanda Aldo, repris par sa passion des pierres et de leur parcours.
— Un homme qui, jeune écuyer du conquistador, avait assisté au supplice de Cuauhtémoc et au désespoir de sa ravissante épouse. Il s’était épris d’elle sur l’instant et s’était juré de reprendre le collier à quelque prix que ce soit et de le lui rapporter. De ce jour il s’est attaché au destin de Cortés, guettant patiemment l’occasion de récupérer les émeraudes. Elle s’est fait attendre vingt ans, cette occasion, exactement vingt ans, jusqu’à la nuit de l’ouragan où il a pu, enfin, se les approprier. Il était mon ancêtre, Carlos Olmedo de Quiroga.
— N’avez-vous pas dit qu’il avait fait le serment de les rapporter à la princesse ?
— Si fait, mais quand il a retrouvé sa trace, elle était morte depuis six ans. Lui-même s’est marié… et c’est ainsi que le collier sacré de Quetzalcóatl est entré dans ma famille ! Vous comprendrez, j’espère, qu’il me tienne à cœur de le reprendre à ce… voleur !
— Tout à fait. En revanche, j’aimerais votre avis sur ce qu’il comptait faire d’un objet obtenu à si grand fracas ?
— Je vous l’ai dit : l’une des vertus du collier résidait dans l’accroissement de puissance sexuelle qu’il confère à son propriétaire…
— C’est grotesque ! Vauxbrun n’a jamais eu de problème de ce côté-là. Il reste la valeur marchande du joyau mais sa fortune n’en a pas besoin !
— Qu’en savez-vous ?
— Oh, c’est simple ! S’il avait eu des soucis financiers – surtout au point de le pousser à commettre un vol –, il n’aurait pas hésité à me le dire. Voyez-vous, quand au retour de la guerre je me suis retrouvé ruiné, c’est lui qui m’a mis le pied à l’étrier en guidant mes premiers pas dans le monde des antiquités… Il n’aurait pas hésité à me demander de lui renvoyer l’ascenseur !
Il y eut un silence. Les mains nouées sur le pommeau d’or de sa canne, Don Pedro ferma à demi les yeux, dirigeant leurs minces rayons sur Morosini, puis il ricana :
— C’est peut-être ce qu’il a fait ? N’êtes-vous pas l’homme le mieux placé qui soit pour…
Il n’acheva pas sa phrase. Aldo venait de bondir sur lui, l’empoignait par le revers de son veston pour le remettre debout et le gratifiait d’un magistral coup de poing qui l’envoya au pied d’un des grands classeurs où il resta étourdi. Langlois se précipita pour l’aider :
— Vous n’auriez pas dû…
— Quoi ? Le laisser m’insulter après avoir traîné Gilles dans la boue ? J’espérais que vous me connaissiez mieux ?
— J’ignorais que vous possédiez une droite aussi fulgurante.
— La gauche n’est pas mal non plus ! Vous voulez que je vous montre ? ajouta-t-il en faisant un pas vers l’homme groggy.
— Merci ! Cela suffit ! À présent, fichez le camp avant qu’il revienne à lui et, en passant, dites à Lecoq de venir m’aider !
— Vous ne m’arrêtez pas ?
— Pourquoi ? Vous avez commis un acte répréhensible ? Moi, je n’ai rien vu ! Don Pedro vient de se trouver mal, un point c’est tout !
Aldo reprit son pardessus, son chapeau et ses gants puis sortit en se massant le poing. Il avait frappé si fort qu’il en ressentait une douleur… Mais c’était bigrement réconfortant de savoir que le commissaire était toujours son ami.
En rentrant rue Alfred-de-Vigny en taxi, Aldo était encore bouillant de colère.
— Voilà où nous en sommes, clama-t-il en arpentant le jardin d’hiver sous l’œil consterné de Mme de Sommières et de Marie-Angéline. Vauxbrun aurait concocté lui-même son enlèvement pour faucher les émeraudes disparues depuis si longtemps qu’on pourrait douter de leur existence réelle, lesquelles émeraudes il m’a refilées pour que je les fourgue le plus cher possible !
Mme de Sommières prit son petit face-à-main d’or pour considérer son neveu avec stupeur :
— Qu’est-ce que ce langage ? Refiler… fourguer !
— Puisque me voilà f… receleur, autant m’habituer sans tergiverser à mon personnage. À moi le milieu !
— L’essentiel est que Langlois ne le croie pas ! remarqua Adalbert qui arrivait et avait tout entendu en traversant les salons de la marquise, ce qui évita à Aldo de recommencer.
— C’est une bonne chose sans doute, riposta celui-ci, mais l’essentiel, pour moi, c’est de retrouver Vauxbrun… et en bon état, si faire se peut. Ce dont je commence à douter…
Il en douta plus encore quand, deux jours plus tard, les gendarmes de Fontainebleau retrouvèrent, dans la forêt, la Delahaye de louage qui était censée conduire Gilles Vauxbrun à l’église Sainte-Clotilde. Elle était vide, à l’exception du chauffeur demeuré sur son siège… où il avait brûlé avec le reste…
3
DE L’ART DIFFICILE D’INVESTIR
UNE PLACE FORTE
Marie-Angéline s’en voulait. Quel besoin avait-elle eu l’autre soir de prendre plus ou moins fait et cause pour les Mexicains en laissant échapper ce « charmant » que l’on n’avait pas manqué de juger incongru ? Était-ce sa faute à elle si, durant l’horrible séance à Sainte-Clotilde, le cousin de la mariée lui avait adressé un si beau sourire qu’elle n’avait pu s’empêcher de le lui rendre ? Il fallait tout de même se mettre à sa place – et surtout à celle des siens ! – pour admettre que Vauxbrun, en ne se présentant pas à l’église, les avait placés dans une situation impossible et qu’il était normal que des gens convenablement soucieux de leur honneur apprécient peu la situation qu’on leur imposait. Naturellement portée par sa foi chrétienne et par ses traditions familiales à prendre la défense du pot de terre contre le pot de fer, du plus faible contre le plus fort, voire du bandit d’honneur contre le gendarme, elle n’avait pas admis l’attitude immédiatement hostile de sa « famille ».
C’est ce qu’elle avait fait entendre à Mme de Sommières dès son retour de la messe le lendemain matin. Sans aller jusqu’à présenter des excuses, ce qui eût été excessif. Simplement elle tentait d’exposer son point de vue quand, l’œil vert de la marquise passant au-dessus de la tasse de chocolat, elle avait entendu :
— Je ne vous savais pas si sensible au charme mexicain ?
Elle s’était alors lancée dans ce qu’elle pensait être une explication rationnelle, assez vite interrompue par :
— Tout ça c’est très bien, mais répondez à une question : les auriez-vous trouvés tellement sympathiques si le fiancé disparu avait été Aldo ou Adalbert ? Même si, l’an passé, vous avez ramé tous les deux dans la galère de Trianon, je ne crois pas que vous hébergiez Gilles Vauxbrun dans les replis les plus profonds de votre cœur virginal ?
Devenue ponceau, elle avait répondu honnêtement :
— C’est sans commune mesure ! J’aime… bien Vauxbrun mais c’est tout. Je continue à lui en vouloir un peu d’avoir fait venir d’Amérique la belle et dangereuse Mrs Belmont sous le prétexte d’exposer ses sculptures, mettant ainsi en péril le bonheur de Lisa.
— Vous avez pu constater que Lisa s’en est tirée avec les honneurs de la guerre.
— Grâce à nous, n’est-ce pas ? Je nous ai toujours soupçonnée de lui avoir écrit une de ces lettres dont nous avons le secret et qui disent tant de choses sans en avoir l’air. Quelle ambassadrice nous aurions fait !
— Il aurait fallu pour cela que mon cher époux eût la bosse diplomatique. Ce qui n’était pas le cas ! Mais nous voilà fort loin de notre point de départ et, en ce qui concerne ce dont nous parlions, je pense que le mieux est d’en rester là ?
On avait, en effet, changé de sujet de conversation et personne dans la maison n’en avait rêvé, mais voyant Aldo s’assombrir d’heure en heure à mesure que passait le temps, Plan-Crépin avait senti quelque regret de ce qu’elle avait dit et, maintenant, après la découverte de la voiture incendiée avec son malheureux chauffeur, elle s’en voulait franchement. Même si elle ne parvenait pas à comprendre ce que le « charmant » Don Miguel avait à voir là-dedans. Le chiendent était que l’on ne savait rien de ce qui se passait dans l’hôtel de la rue de Lille. Surtout depuis qu’Aldo avait si magistralement boxé Don Pedro. Celui-là, elle consentait à l’abandonner à la vindicte familiale : il avait une tête de dictateur et se conduisait en conséquence.
Dans son appétit d’avoir toujours une information d’avance, la demoiselle caressa un instant l’idée d’aller tester la messe de six heures à Sainte-Clotilde, mais c’était vraiment trop loin ! En outre, avant d’y retrouver un service de renseignement comparable à celui qu’elle s’était créé à Saint-Augustin, il faudrait du temps. Incroyable ce que l’on pouvait apprendre quand on était connue – donc acceptée et même favorisée grâce à son nom aristocratique – dans le petit monde des concierges, gens de maison ou vieilles dévotes n’ayant rien d’autre à faire que regarder autour d’elles, écouter et parfois tirer des déductions intéressantes. Ainsi, eût-elle eu besoin de savoir ce qui se passait chez la princesse Murat, la baronne de Lassus-Saint-Geniès ou la princesse de Broglie que c’eût été la chose du monde la plus facile parce qu’elles habitaient le quartier, mais de l’autre côté de la Seine. Autant dire au bout de la terre !
Elle y réfléchissait encore en entrant dans l’église au lendemain de son échange de vues avec la marquise quand elle fut rejointe – la messe n’était pas encore commencée – par l’imposante Eugénie Guenon, qui régnait sur les cuisines de la princesse Damiani. Toutes deux s’installèrent sur des prie-Dieu voisins, se signèrent, marmonnèrent une courte prière puis Eugénie chuchota :
— Eh bien, dites donc, il s’en passe des choses dans votre famille !
— Distinguons ! Il ne s’agit pas directement des miens. M. Vauxbrun est seulement un ami proche de mon cousin Morosini, témoin à son mariage. Il n’en demeure pas moins qu’il est très atteint par cette histoire et nous avec, par la force des choses !
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