La jeune femme, sans répondre, renoua son bonnet. Ses compagnes croyaient qu'elle pleurait parce qu'elle était agitée de grands frissons nerveux. Mais déjà l'incident s'effaçait. Après tout, aucune importance. Une seule chose comptait pour elle : le sort de ses enfants.
Chapitre 12
Les heures passaient avec une lenteur affreuse. Le cachot où l'on avait entassé les prisonnières était si petit qu'on y respirait mal. L'une des femmes dit :
– C'est bon signe qu'on nous ait mises dans ce petit cachot. C'est celui qu'on désigne sous le nom de « l'Entre-deux-huis ». On y enferme les gens dont on ne sait pas trop s'il faut les considérer en état d'arrestation. En somme, quand on nous a arrêtées on ne faisait rien de mal. On était à la foire, comme tout le monde. La preuve que tout le monde y était, c'est qu'on ne nous a pas fouillées parce que les matrones-jurées du Châtelet s'en étaient allées, elles aussi, s'ébaudir à la foire Saint-Germain.
– La police aussi y était, fit remarquer l'une des filles avec amertume.
Angélique toucha, sous ses vêtements, le poignard. C'était un poignard semblable que Rodogone-l'Égyptien avait lancé à la face de Nicolas.
– Une chance qu'on ne nous ait pas fouillées, répétait la femme, qui devait cacher, elle aussi, une arme ou bien une pauvre bourse de quelques écus.
– Ça viendra, ne t'en fais pas, rétorqua sa compagne.
La plupart des femmes ne se montraient guère optimistes. Elles racontaient des histoires de prisonnières qui étaient restées enfermées dix ans ayant qu'on se souvienne d'elles. Et celles qui connaissaient le Châtelet décrivaient les prisons contenues dans la sinistre forteresse. Il y avait le cachot « Fin d'aise » plein d'ordures et de reptiles, où l'air était si infect qu'on n'y pouvait tenir une chandelle allumée ; « la Boucherie », ainsi nommé parce qu'on y respirait les exhalaisons nauséabondes de la grande boucherie voisine ; « les Chaînes », une grande salle où les prisonniers étaient enchaînés les uns aux autres ; « la Barbarie » ; « la Baume » qui signifiait la « grotte » ; d'autres encore, « le Puits », « la Fosse » qui avait la forme d'un cône renversé. Les prisonniers y restaient les pieds dans l'eau et ne pouvaient se tenir ni debout, ni couchés. Ordinairement, ils y mouraient après quinze jours de détention. Enfin, on baissait la voix pour parler de l'« Oubliette », le cachot souterrain d'où personne ne revenait. Une clarté grise entrait par la meurtrière grillée. Il était impossible de deviner l'heure. Une vieille retira ses souliers éculés, arracha les clous de la semelle et les replanta dans l'autre sens, la pointe en dehors. Elle montra cette arme bizarre à ses compagnes et leur recommanda de faire de même afin de pouvoir tuer les rats qui viendraient au cours de la nuit.
Cependant, vers le milieu du jour, la porte s'ouvrit avec fracas et des hallebardiers firent sortir les prisonnières. De couloir en couloir, ils les conduisirent dans une grande salle tendue de tapisseries bleues à fleurs de lys jaunes.
Au fond, sur une estrade en hémicycle, il y avait une sorte de cathèdre en bois sculpté, surmontée d'un tableau représentant le Christ en croix et d'un petit dais de tapisserie. Un homme en robe noire, portant rabat galonné de blanc et perruque blanche, y était assis. Un autre, tenant une liasse de parchemins, se trouvait à ses côtés. C'étaient le prévôt de Paris et son lieutenant.
Des huissiers, des sergents à verge et des soldats du guet royal entouraient les femmes et les filles. On les poussa au pied de l'estrade et elles durent passer devant une table où un greffier inscrivit leurs noms.
Angélique resta stupide lorsqu'on lui demanda son nom. Elle n'avait plus de nom !... Enfin, elle dit s'appeler Anne Sauvert, du nom d'un village des environs de Monteloup qui lui revint subitement en mémoire.
Le jugement fut rapide. Le Châtelet, ce jour-là, était débordé. Il fallait trier vite. Après avoir posé quelques questions à chacune des prévenues, le lieutenant du prévôt lut la liste qu'on lui avait remise et déclara que « toutes les personnes susdites étaient condamnées à être fouettées publiquement, puis seraient conduites à l'Hôpital général où des personnes pieuses leur enseigneraient à coudre ainsi qu'à prier Dieu ».
– On s'en tire pour rien, glissa l'une des filles à Angélique. L'Hôpital général, ce n'est pas la prison. C'est l'asile des pauvres. On nous y enferme de force, mais on n'y est pas gardées. Ça ne sera pas malin de se sauver.
Ensuite, un groupe d'une vingtaine de femmes fut conduit dans une vaste salle du rez-de-chaussée et des sergents les firent ranger le long du mur. La porte s'ouvrit et un militaire de haute taille et corpulent entra. Il portait une fort belle perruque brune encadrant un visage haut en couleur, barré d'une moustache noire. Avec sa veste bleue tendue sur des épaules gonflées de graisse, son large baudrier barrant sa bedaine avantageuse, les vastes revers de ses manches couverts de passementeries, son épée et son rabat énorme noué de glands dorés, il avait un peu l'aspect du Grand Matthieu, mais sans présenter la bonhomie ni la jovialité du charlatan. Ses yeux enfoncés sous des sourcils touffus étaient petits et durs. Il était chaussé de bottes à hauts talons, qui rehaussaient encore sa puissante stature.
– C'est le chevalier du guet, souffla la voisine d'Angélique. Oh ! il est terrible. On l'appelle l'Ogre.
L'Ogre passait devant les prisonnières en faisant claquer ses éperons sur les dalles.
– Ha ! Ha ! mes garces, on va se faire étriller ! Allez, bas les camisoles. Et attention à celles qui crieront trop fort ! Il y aura un coup de plus pour elles.
Des femmes, qui avaient déjà connu le supplice du fouet, enlevaient docilement leurs corsages. Celles qui avaient une chemise la faisaient glisser le long des bras et la rabattaient sur leurs cottes. Les archers allaient à celles qui montraient de l'hésitation et les dévêtaient brutalement. L'un d'eux, en arrachant le corsage d'Angélique, le déchira à demi. Elle s'empressa de se mettre elle-même torse nu de peur qu'on ne remarquât la ceinture où était passé son poignard.
Le capitaine du guet allait et venait, examinant les femmes alignées devant lui. Il s'arrêtait devant les plus jeunes et une lueur s'allumait dans ses petits yeux porcins. Enfin, d'un geste impératif, il désigna Angélique.
Avec un gloussement de rire complice, l'un des archers la fit sortir du rang.
– Allez, emmenez-moi toute cette racaille, ordonna l'officier. Et que la peau leur cuise ! Combien y en a-t-il ?
– Une vingtaine, monsieur.
– Il est 4 heures après midi. Vous devez avoir terminé avant le coucher du soleil.
– Bien monsieur.
Les archers firent sortir les femmes. Angélique aperçut dans la cour une charrette remplie de verges serrées qui devait suivre le pitoyable cortège jusqu'à l'emplacement réservé aux corrections publiques, près de l'église Saint-Denis-de-la-Châtre. La porte se referma. Angélique demeura seule avec l'officier du guet. Elle glissa vers lui un regard surpris et inquiet. Pourquoi ne suivait-elle pas le sort de ses compagnes ? Allait-on la ramener en prison ?
Cette salle, basse et voûtée, aux murs humides, était glaciale. Bien qu'il fît encore jour au-dehors, l'obscurité l'envahissait déjà, et l'on avait dû allumer un flambeau. Angélique, frissonnante, croisait ses bras et pressait ses épaules dans ses mains, moins peut-être pour se préserver du froid que pour dérober sa poitrine au regard pesant de l'Ogre. Celui-ci s'approcha lourdement et toussota.
– Alors, ma bichette, as-tu vraiment envie de faire écorcher ton joli dos blanc ?
Comme elle ne répondait pas, il insista :
– Réponds ! En as-tu vraiment envie ?
De toute évidence, Angélique ne pouvait dire qu'elle en avait envie. Elle prit le parti de secouer négativement la tête.
– Eh bien, nous allons pouvoir arranger cela, reprit le militaire sur un ton doucereux. Ce serait dommage qu'on abîme une si jolie poulette. Peut-être qu'on peut s'entendre, nous deux ?
Il lui glissa un doigt sous le menton pour la contraindre à relever la tête et sifflota d'admiration.
– Diable ! Les beaux yeux ! Ta mère a dû en boire de l'absinthe pendant qu'elle t'attendait ! Allons, fais-moi une risette.
Sournoisement, ses gros doigts caressaient le cou fragile, flattaient l'épaule ronde. Elle recula sans pouvoir maîtriser un frisson de dégoût. L'Ogre eut un rire qui secoua son ventre. Elle le regardait fixement de ses yeux verts. Enfin, bien qu'il la dominât de toute sa carrure, ce fut lui qui parut le premier embarrassé.
– Nous sommes d'accord, n'est-ce pas, reprit-il. Tu vas venir avec moi dans mon appartement. Et, après, tu rejoindras le lot. Mais les archers te laisseront tranquille. Tu ne seras pas fouettée... Tu es contente, hein, ma cocotte ?
Il éclata d'un rire gaillard. Puis, d'un pas décidé, il l'attira à lui et commença à lui planter sur le visage de gros baisers sonores et avides.
Le contact de ce mufle, mouillé à l'haleine de tabac et de vin rouge, écœurait Angélique. Elle se débattit comme une anguille pour se dérober à cette étreinte. Le baudrier et les passementeries de l'uniforme du capitaine lui éraflaient la poitrine. Elle réussit enfin à s'échapper et s'empressa d'enfiler tant bien que mal son caraco en loques.
– Eh ben, quoi ? fit le géant étonné. Qu'est-ce qui t'arrive ? T'as pas compris que je veux t'épargner la correction ?
– Je vous remercie, dit Angélique d'un ton ferme. Mais je préfère être fouettée.
La bouche de l'Ogre s'ouvrit toute grande, ses moustaches tremblèrent, et il devint cramoisi, comme si les cordons de son rabat l'avaient subitement étranglé.
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