« Je ne veux plus qu'il ait d'épreuves atroces à traverser. Je ne veux plus qu'il soit méconnu et méprisé. Je veux qu'il vive. Heureux ! Libéré ! Il mérite de vivre. Il a assez payé. »
– Vous me promettez que vous partirez demain ?...
– Oui ! À la condition qu'à votre réveil, vous puissiez descendre avec moi jusqu'au lac.
– Alors, en ce cas, je vous obéis. Je vais dormir pour gagner des forces.
Elle glissa dans le sommeil avec bonheur, et pour la première fois, avec une sensation de vraie convalescence.
Il la ramena dans la chambre et l'aida à s'étendre. Il revint, un bol en mains.
– Buvez une tisane encore ! Nous ne sommes plus à une tisane près. Les petites fleurs nous ont escortés jusqu'alors et nos provisions s'achèvent, mais elles renaîtront bientôt et vous pourrez les récolter.
– À Wapassou ? C'est fini. J'aurai manqué presque toutes les récoltes... Et maintenant, c'est fini.
Chapitre 71
Avant d'ouvrir les yeux, elle pensa :
« Qui brûle-t-on ? »
L'odeur qui hantait son sommeil s'effaça, lorsqu'elle reprit conscience dans sa chambre du fortin de Wapassou. Le soleil se couchait, et elle n'avait dormi que quelques heures. Elle se sentait bien, enfin reposée. Cette fois, pensa-t-elle, il pourrait partir. Elle regarda vers la cheminée où se tenait le crucifix et vit briller le rubis.
« Me le laissera-t-il, ce crucifix, quand il s'en ira ?... Le remettra-t-il à son cou ? »
Puis, tournant la tête, elle aperçut, assis à son chevet, un jeune homme à col blanc, vêtu de noir, qui, la voyant éveillée, se leva et vint à elle en souriant.
– Bonjour, Dame Angélique.
– Martial Berne ? Que faites-vous ici ?
– On m'a chargé de veiller sur votre repos, chère Dame Angélique. Vous dormiez si profondément à notre arrivée, qu'après nous être assurés que vous étiez bien en vie, nous vous avons laissée à ce sommeil réparateur.
Angélique se hissa contre ses oreillers pour bien le regarder avec plus d'attention.
– N'étais-tu pas parti pour Boston afin d'y faire des études ?...
Il rit, comme rassuré de voir qu'elle le reconnaissait et le situait sans effort.
– Vous avez bonne mémoire, Dame Angélique. Mais j'ai jugé que ce n'était pas le moment pour moi, lorsque Gouldsboro a été menacé d'une attaque, de m'en aller me pencher sur des grimoires en pays anglais. Notre automne a été troublé. Mieux valait garder tous les bras vaillants d'autant plus que l'hiver, ensuite, s'est montré, plus qu'un autre, tempétueux. La neige s'est abattue sur nous, et un froid à fendre les arbres. La mer a gelé à l'embouchure des fleuves : Penobscot et Kennébec.
Voyant qu'elle l'écoutait avec attention, il raconta que, sur la côte, ils ne se doutaient pas de ce qui était arrivé à Wapassou. Aucune nouvelle ne filtrait. On était coutumier du silence hivernal et, plus que jamais, cette année-là, durant les mois d'hiver, chacun avait vécu dans sa forteresse, combattant l'ennemi premier : le froid, les neiges, et pour beaucoup la faim.
Quand la nouvelle leur parvint, de vagues bruits émanant de récits d'Indiens, que Wapassou avait été investi à l'automne, et brûlé, ce fut l'atterrement. On disait que tous les habitants avaient été emmenés prisonniers à Québec, ce qui était préférable à la mort, et qui réconfortait un peu leurs amis, dans l'attente de plus de détails.
Puis, aux premiers relâchements du froid, l'Anglais muet arriva, conduit par un employé du poste du Hollandais de Houssnok. Lymon White avait été retenu captif dans un village abénakis. La tribu décabanant pour cause de famine, il s'était enfui, avait gagné tant bien que mal des lieux habités. Il apportait la nouvelle surprenante qu'Angélique et ses enfants étaient vivants à Wapassou, et en grand danger de périr... si ce n'était déjà fait.
On écarta résolument l'affreuse perspective. M. Paturel organisa aussitôt une caravane de secours, laquelle ne mit pas moins de deux mois à progresser, fleuves et cours d'eau étant encore gelés.
– Et voici quelques heures que nous nous trouvons sur les lieux.
Le jeune homme se mit à parler avec volubilité.
– Quelle joie de vous trouver en vie ! Quel soulagement à notre angoisse. Les enfants ! Comme ils sont beaux ! s'extasiait-il, comme ils ont grandi. Et ils discourent, que c'en est une merveille !
Qui pouvait imaginer, répétait-il, qu'après avoir traversé de telles épreuves, on trouverait des marmousets en si belle santé !... Il ajouta que le père de Charles-Henri avait voulu faire partie de la caravane. Son expérience de bushranger leur avait été précieuse. En vérité, lui aussi avait tremblé pour son fils. Celui-ci avait paru le reconnaître avec joie.
Enfin, tout le monde était heureux et l'on n'attendait plus que son réveil à elle pour être entièrement rassuré et fêter cette heureuse issue d'une si longue et si terrible épreuve.
Un lourd pas botté fit sonner le plancher du couloir, et dans l'encadrement de la porte basse, la forte stature de Colin Paturel se montra.
Son regard anxieux s'éclaira lorsqu'il vit Angélique à demi assise, et qui semblait attentive à ce que lui expliquait Martial Berne. Ce fut à ce moment que celui-ci cessa d'être pour Angélique une apparition encore incertaine. Lorsqu'elle vit Colin s'incliner vers elle, lui aussi, elle comprit qu'elle ne rêvait pas.
– Oh ! Mes chers hommes, s'écria-t-elle, en se jetant à leur cou, en les entourant de ses bras !
Le moment tant espéré, tant rêvé, et qui avait tant de fois paru ne jamais pouvoir se réaliser, était donc arrivé. Des humains les avaient donc enfin rejoints dans leur solitude, et, comble de bonheur et de soulagement, c'étaient les leurs, les gens de Gouldsboro.
Et Colin commençait de raconter ce qu'avait déjà exposé Martial. L'annonce trop tardive du désastre de Wapassou, comment ils avaient dû attendre pour se mettre en route vers les régions inaccessibles de l'intérieur, les difficultés de leur progression, combien de fois ils avaient été arrêtés par les ultimes tempêtes de neige, et les incommodités du dégel. Il décrivit la crainte lancinante qui ne les avait pas quittés de ne point les retrouver vivants, et la joie dont ils n'arrivaient pas encore à se persuader, de découvrir dans le fort des petits enfants très vifs et délurés qui les avaient accueillis fort gracieusement. Un vrai miracle ! De quoi inciter les Huguenots eux-mêmes à aller planter un cierge devant quelque divinité papiste en parlant de miracle.
– Qui brûle-t-on ? murmura Angélique, machinalement.
Son subconscient continuait à être indisposé par cette odeur de feu, d'incendie, trop pénétrante, pour elle offusquante. Étaient-ce les feux d'un campement ? Elle n'était plus habituée à l'odeur des humains.
Colin fit mine de ne pas entendre, ou bien ne comprit pas le sens de sa question bizarre. Il ne devait pas comprendre pourquoi elle disait : « Qui brûle-t-on ? » et non : « Que brûle-t-on ? »
C'était un homme des rivages atlantiques et non de l'intérieur, le combat avec les forêts et les rocs qu'il avait dû mener pour joindre ce cœur des montagnes, le hantait encore.
Il insistait sur la foi qu'ils avaient eue tous en le miracle de leur survie, et la preuve en était que, comprenant par les récits – si l'on pouvait s'exprimer ainsi – du pauvre muet, qu'Angélique et ses enfants se trouvaient dépourvus de tout là-haut, ils avaient pris avec eux en sus de vivres, du linge et des vêtements de femmes et d'enfants, des souliers et des jouets, le tout offert avec empressement par les dames et les enfants de Gouldsboro.
– Oh ! Quelle idée sublime ! s'écria Angélique. Comme la vie est bonne !
À ces détails, la renaissance se mit à courir en elle avec la même allègre vivacité qu'une source qui, enfin, brise sa prison de glace.
– Vite, je veux me lever !
Son regard tomba sur le crucifix, sur l'auvent de la cheminée.
– Et lui ?...
– Lui ?
– L'homme qui était avec nous... Ici... ne l'avez-vous pas vu ?... rencontré ?...
– Si fait ! reconnut Colin, tandis que Martial lui jetait un vif regard, puis se taisait.
– Si fait, continua Colin. En arrivant aux abords du lac, nous avons aperçu sur l'autre rive un homme qui posait des pièges ou des nasses. Nous lui voyions l'allure d'un coureur de bois et, craignant que surgissent à sa suite les armées venant du Nord, nous nous sommes dissimulés tout d'abord. Puis, comme il semblait seul, deux d'entre nous se sont montrés et l'ont hélé. À notre vue, il a abandonné précipitamment sa besogne et s'est enfui.
– Enfin ! Dieu soit loué ! soupira-t-elle. Il s'est enfui...
Elle ferma les yeux et s'abandonna contre l'oreiller, soudain faible, Elle continuait à leur tenir la main à tous deux, comme une enfant qui a peur, en s'endormant, de voir l'abandonner des présences rassurantes. Elle les tenait maintenant. Ils ne la laisseraient plus. L'affection de leurs regards sur elle la réchauffait. Et bientôt, elle reverrait Joffrey.
– Dieu soit loué ! répéta-t-elle. Mes chers hommes.
Elle allait pouvoir se remettre à vivre, rentrer parmi les humains comme on rentre à la maison.
Cependant, une sensation confuse continuait à la tourmenter.
– Colin, quelle est cette odeur de feu et de grillade si forte ! Faites-vous bombance ? J'en ai la nausée. On dirait un campement indien...
– Les Iroquois sont là ! dit Martial.
Chapitre 72
– Nous les avons rencontrés du côté de Katarunk, l'ancien poste détruit, enchaîna aussitôt Colin, un parti de guerre, et cela nous a fait perdre quelques jours précieux, tout d'abord à nous défendre de leur embuscade, ensuite à nous faire reconnaître d'eux, et à les persuader que nous n'avions pas d'intentions hostiles à leur égard. Les Indiens Malécites et Etchemins qui nous accompagnaient avaient détalé et nous ne les avons plus revus. Enfin, le chef de ces intraitables a bien voulu admettre que nous n'appartenions pas à des « Normands » de ses ennemis.
"La victoire d’Angélique" отзывы
Отзывы читателей о книге "La victoire d’Angélique". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "La victoire d’Angélique" друзьям в соцсетях.