— Maître, Maître ! Je comprends de moins en moins. Vous voulez dire que M. Blanchard ne condamnait pas vraiment notre mariage ?
— Il ne m’a pas confié le fond de sa pensée à ce sujet. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il aimait profondément son fils aîné et ne supportait pas l’idée qu’il pût être réduit à la misère pour avoir écouté son cœur.
— Mais… sa femme ? Je veux dire Mme Blanchard ?
— A tout ignoré de cela et l’ignore peut-être encore-bien que j’en doute.
— Pourquoi ?
— Dès son arrivée ici, M. Étienne Blanchard m’a rendu visite afin d’obtenir des renseignements touchant la succession de son frère. Renseignements qu’il m’était interdit de lui fournir tant que le commissaire Langevin ne m’en donnait pas l’autorisation. Néanmoins, les questions qu’il posait laissaient supposer qu’il savait quelque chose des générosités de son père envers son frère…
— Un instant, Maître ! M. Blanchard père est toujours en vie, que je sache ?
— En effet. Bien qu’assez souffrant depuis quelque temps.
— Ne peut-il, dès l’instant où son fils n’est plus en mesure de jouir de ces biens, reprendre sa donation ?
— Cela me paraît difficile car son intention m’a été exprimée très clairement : tout devait revenir, en cas de disparition de M. Édouard, à ses héritiers directs : donc vous-même puisque vous n’avez pas d’enfants. Je ne dis pas, notez-le bien, que l’on ne pourrait pas plaider et attaquer le testament de votre époux mais je n’y crois guère.
— Moi je n’en suis pas si sûre. Vous venez de prononcer le mot « enfants » et par malheur les dieux ne m’en ont pas accordé. Ces gens feront tout pour reprendre leur fortune et je ne m’y opposerai pas. Il m’est désagréable de leur devoir quelque chose.
— Permettez-moi de vous dire que c’est stupide et que votre époux serait navré de vous entendre parler ainsi car il vous voulait heureuse et exempte de tout souci.
— Je suis certaine que vous dites vrai mais que se serait-il passé si j’avais été jugée et condamnée ?
— Bien évidemment, vous n’aviez plus droit à rien. De même au cas où il vous… arriverait quelque chose, tout cela ferait retour au donateur. Acceptez, je vous le conseille, Madame ! Vous êtes sans doute assez démunie en ce moment ou vous le serez bientôt. De toute façon vous possédez en biens propres la totalité de ce que contient votre appartement, vos bijoux et aussi une certaine somme provenant de placements faits par Édouard Blanchard de son vivant. Sans compter une assurance sur la vie qui n’est pas à dédaigner. Dans ces derniers articles les Blanchard n’ont rien à voir et je suis prêt à vous avancer telle somme d’argent dont vous pourriez avoir besoin. On dirait que cela vous convient mieux ?
En effet, les nuages accumulés dans le regard de la jeune femme se dissipaient un peu :
— Je ne refuse pas. Je dois à une amie les vêtements que je porte et je souhaite la rembourser. D’autre part, et si rien ne s’y oppose, je voudrais pouvoir retourner habiter avenue Velazquez. J’ai besoin… de me retrouver chez moi.
— C’est très compréhensible et tout à fait possible. Je vais faire lever les scellés. Cependant, vous devriez attendre encore quelque temps. Vous savez sans doute que votre maître d’hôtel a été assassiné et que sa femme, actuellement à l’hôpital de la Salpêtrière, est incapable de reprendre son service. Vous ne pouvez habiter seule ce grand appartement.
— Je ne suis pas peureuse. Quant à mon service, il ne demande pas grand personnel. La lingère qui venait tous les après-midi s’occuper de mes vêtements et du linge de la maison doit pouvoir me procurer une femme pour le ménage. Ce sera très suffisant pour le temps que je compte passer à Paris.
— Vous pensez voyager, Madame ?
Orchidée approuva d’un signe de tête sans s’expliquer davantage. Le visage du notaire s’épanouit :
— C’est une excellente idée et je ne peux que vous y encourager. Il est bon, lorsque l’on est jeune, de ne pas se replier sur soi-même et de voir du pays !
Orchidée faillit sourire, estimant que venue de l’autre bout du monde elle en avait déjà vu pas mal, sans compter les voyages accomplis avec Édouard, mais elle ne voulait pas blesser cet homme aimable qui faisait tout ce qu’il pouvait pour lui être agréable. Elle se leva pour partir. Il la retint :
— Patientez encore un instant. Je vais vous apporter de l’argent. Combien voulez-vous ?
Elle avança un chiffre qui le fit sourire de pitié :
— Vous n’irez pas loin avec ça. Laissez-moi faire et, surtout, ne craignez pas de venir me voir si vous avez besoin de quoi que ce soit ! Je suis tout à votre service…
— Je vous en remercie sincèrement, Maître, ainsi que de votre accueil. Quant au reste de ce que vous appelez mes biens, vous voudrez bien vous charger de les administrer au mieux.
— Bien entendu ! Et je souhaite vivement qu’un jour prochain vous acceptiez simplement ce qui vous est dû ! Chère Madame…
Il s’inclinait à nouveau, et ouvrait lui-même la porte pour escorter celle qui devenait ainsi sa cliente jusqu’à la cage du caissier où un homme à manches de lustrine lui remit une enveloppe épaisse qu’elle glissa dans son manchon sans l’ouvrir. Après de nouvelles salutations, elle regagna la voiture qui l’attendait devant l’étude.
Elle se sentait un peu étourdie par la faconde de Me Dubois-Longuet mais somme toute assez satisfaite des possibilités financières que l’on venait d’ouvrir devant elle. Non qu’elle eût l’intention de s’installer en France ou dans une quelconque ville d’Occident mais, pour mener à bien son projet de vengeance, elle avait besoin d’argent. Ensuite, et en admettant qu’elle eût dépensé ce qu’on venait de lui remettre, elle en redemanderait assez pour payer son voyage jusqu’à Pékin. Arrivée là, elle n’aurait plus besoin de rien : ou bien Ts’eu-hi l’accueillerait et elle reprendrait tout naturellement sa place dans le palais impérial, ou bien elle la condamnerait et l’argent n’a jamais été indispensable à personne pour gagner le pays des Sources Jaunes.
Ce problème-là réglé, un autre se présentait : elle souhaitait se séparer de Mme Lecourt. Non par ingratitude ou parce que la Générale ne lui inspirait aucun sentiment d’amitié, bien au contraire. Elle eût aimé vivre auprès d’elle et lui donner cette affection filiale qui lui avait été refusée mais, justement parce qu’elle se sentait déjà attachée, Orchidée désirait l’éloigner des dangers qu’elle allait courir délibérément et qu’elle entendait courir seule. La seule aide qu’après réflexion elle se sentait d’humeur à accepter était celle d’Antoine, car il était un homme doué d’intelligence et de courage. Cependant, tandis que la voiture la ramenait au Continental, elle cherchait comment elle allait pouvoir remettre sa bienfaitrice dans le train de Marseille sans lui faire offense ou la peiner : celle-là aussi était vaillante et le lui avait prouvé. Elle entendait veiller sur cette belle-fille d’un genre particulier qui lui était tombée du ciel…
En arrivant à l’hôtel, Orchidée cherchait encore lorsque le portier lui apprit que Mme Lecourt l’attendait dans le salon mauresque où elle s’était retranchée lorsque la cheminée de son salon privé s’était mise à fumer furieusement. On procédait à la remise en état et la Direction espérait que ces dames ne seraient pas trop contrariées de cet incident.
La pièce en question, copiée sur une salle de l’Alhambra de Grenade qui aurait été revue et corrigée par Viollet-le-Duc, était d’une grande somptuosité et présentait des espèces d’alcôves meublées de canapés et de divans permettant de s’isoler par petits groupes. La Générale occupait l’une d’elles en compagnie d’une tasse de café turc – la quatrième qu’elle avalait depuis une heure – et, de toute évidence, elle était dans un bel état d’énervement. Lorsque Orchidée la rejoignit elle l’attira auprès d’elle sur le canapé.
— Il y a des jours où tout va de travers, soupira-t-elle. On vous a dit que j’ai dû quitter notre appartement sous peine d’être transformée en jambon ? Eh bien ce n’est pas tout et, apparemment, je vais devoir songer à alimenter la caisse de retraite des pompiers… mais d’abord dites-moi comment cela s’est passé chez le notaire ?
— Au mieux. Je suis assurée de ne manquer de rien dans les temps à venir…
En quelques phrases, elle rapporta l’essentiel de la conversation et dit sa surprise en découvrant le don généreux fait par son beau-père au lendemain d’un mariage que cependant il réprouvait. La Générale s’en montra émue :
— Cela ne m’étonne pas de lui. Henri a toujours été un homme bon et il ne méritait pas d’être attelé à une femme telle qu’Adélaïde… Et voyez comme les choses sont étranges : si le Ciel lui avait accordé la bénédiction d’être veuf, il vous eût certainement accueillie à bras ouverts parce qu’il aimait Édouard qui, cependant, ne lui est rien. Seulement Adélaïde veille et je pense qu’en vous épousant mon fils lui a causé une grande joie : pouvoir le rejeter de la famille afin que son fils à elle devienne l’unique héritier de la fortune ! Si elle a découvert ses générosités, le pauvre Henri doit passer de bien mauvais quarts d’heure…
— S’il est aussi malade qu’on le dit, ce serait une grande cruauté… De toute façon, je n’ai pas l’intention, et je l’ai dit au notaire, d’accepter quoi que ce soit de ces biens.
— Et le notaire est d’accord ?
— Pas vraiment. Il pense qu’avec le temps je changerai d’avis.
Mme Lecourt acheva de vider sa tasse, la reposa et considéra sa jeune compagne d’un air songeur :
— Je ne peux pas vous donner tort puisque vous savez à présent qu’Édouard n’était pas le fils d’Henri. Cependant… je me pose une question : les choses se seraient-elles présentées de la même façon si votre belle-mère et son cher enfant avaient pu connaître votre attitude envers les biens de la famille ?
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