— Non. Si ça se trouve, ils vont nous porter en triomphe. Si ce n’est pas le cas, on se défendra, voilà tout !
Aucune des deux éventualités ne se présenta. Quand ils arrivèrent devant le camp où flottaient encore les couleurs du prince rajpoute, ils trouvèrent seulement quelques serviteurs du palais occupés à un premier ménage avant d’enlever les meubles et de rouler tapis et tentures sous la surveillance d’un des intendants du maharadjah. Celui-ci leur apprit que le départ de l’occupant était annoncé depuis le matin et qu’il avait dû rejoindre son train aussitôt après le Durbar. À cette heure il devait déjà être loin…
— Tu comprends maintenant pourquoi il riait, cette immonde larve ? fit Morosini avec rage. Il s’était arrangé pour que je perde ce que j’aime le plus au monde. Et je ne peux rien.., rien ! Il est à jamais hors d’atteinte…
— Tant qu’il est dans ses États, sans doute. À moins que tu n’aies envie d’y retourner ?
— Tu n’es pas fou ?… Vois-tu, il y a des moments où je regrette le Moyen Âge. À cette époque on pouvait lever une armée, aller assiéger son ennemi, l’acculer dans ses derniers retranchements et enfin lui faire subir la mort qu’il méritait…
— Après avoir tout démoli et passé la population au fil de l’épée ? Tu as de drôles de rêves, mon vieux !… Un bon duel ne t’aurait pas suffi ?
— Deux pouces de fer ou une balle dans le corps ? C’est beaucoup trop doux pour un monstre pareil !
— Je suis assez d’accord avec toi mais pour en revenir à une… suite éventuelle, je te rappelle que ce satrape oriental adore l’Occident et qu’un jour ou l’autre il reviendra bien traîner ses guêtres de notre côté. À ce moment-là on verra…
— Les lois républicaines le protégeront. Tu as envie de finir sur l’échafaud ?
— Jamais de la vie… mais je nous verrais bien le descendre au fond d’un puits, par exemple ? fit Adalbert, la mine gourmande. Un puits que l’on scellerait pour être bien sûrs qu’il n’en sortirait plus. Voilà une vengeance qui me plairait ! Le supplice chinois des dix mille morceaux est vraiment trop salissant…
— Tu as raison on peut toujours rêver ! Allons rejoindre Lisa et nous préparer au départ, nous aussi. J’en ai un peu assez des Indes fabuleuses…
Lisa dormait à présent. Le médecin lui avait fait une piqûre calmante et se montra rassurant. S’il arrive qu’on puisse mourir de peur, ce n’était certes pas le cas de cette belle jeune femme pleine de santé.
— Peut-être aura-t-elle quelques cauchemars mais je peux vous certifier que, dans deux jours, elle pourra reprendre le chemin du bateau…
Forts de cette assurance, les deux hommes regagnèrent leurs appartements pour s’y débarrasser de l’étouffante tenue officielle, demander leur dîner et prendre un peu de repos, mais ils y trouvèrent le secrétaire du maharadjah en conversation avec Amu.
— Son Altesse vous demande, Messieurs ! leur apprit-il. Il vient de se passer quelque chose de grave…
— Ma femme a failli mourir, je le sais, fit Morosini.
— Euh… quelque chose d’autre. Son Altesse est très contrariée. Le maharadjah de Patiala est auprès d’elle.
Il n’avait apparemment pas l’intention d’en dire davantage. Et il eût été inutile de l’interroger.
— Bien, soupira Morosini. Nous vous suivons.
Ils trouvèrent en effet les deux princes dans l’un des petits salons de l’appartement privé du maharadjah, dont la stature de Patiala écrasait les fragiles marqueteries et les soies tendres des meubles Louis XVI. À ce géant convenaient mieux les trônes massifs et les vastes divans encombrés de coussins. Adossé à une colonne de stuc, bras croisés sur sa poitrine couverte de ses célèbres émeraudes, il retenait visiblement une colère furieuse et n’accorda qu’un regard distrait aux arrivants. Ce fut la voix douce du maharadjah qui les renseigna :
— J’ai appris, mon ami, le malheur qui vient d’être évité, dit-il à Morosini, mais, si vous le voulez bien, nous en reparlerons plus tard. Voici l’un de mes plus chers amis, qui vient de subir un vol inexplicable.
— Un vol ? s’étonna Aldo. Comment est-ce possible ? Les pavillons des princes sont gardés militairement et la suite de Son Altesse est des plus imposantes…
— Sans doute, mais quand, en vue du retour à Patiala, les serviteurs du prince ont procédé au rangement des coffres à bijoux, ils se sont aperçus que l’un d’eux, et non des moindres, manquait.
— C’est incroyable et désolant sans doute, mais en quoi pouvons-nous être d’une aide quelconque ? Je suis expert… pas policier.
— Aussi est-ce ma police qui a pris l’affaire en main, mais je crois que ce vol va vous rappeler quelque chose. Il s’agit du collier de diamants de l’impératrice Eugénie…
— Un joyau splendide que j’aime particulièrement ! rugit Patiala. Si on retrouve le voleur… et j’espère bien qu’on le retrouvera, je l’étrangle de mes propres mains !
— Une pièce française, fit Morosini avec un sourire insolent. Vous ne pensez tout de même pas que…
— Non, non, non, ne croyez pas cela ! intervint Jagad Jit Singh. Si je vous ai demandé de venir jusqu’à nous, c’est parce que ce vol va vous en rappeler un autre. À la place du collier il y avait ceci.
Et il offrit à Aldo un rectangle portant quelques mots seulement : « Permettez que je reprenne ce qui m’appartient ! » Et c’était signé : Napoléon VI…
Un silence stupéfait régna pendant un instant dans l’élégante pièce dont les fenêtres ouvertes sur le jardin nocturne laissaient entrer la fraîcheur et le murmure cristallin des jets d’eau.
— C’est inouï ! souffla Adalbert. Comment a-t-il pu arriver jusqu’ici ?
— Mêlé sans doute aux autres invités ! grogna Patiala.
— Vous savez bien que non, coupa Kapurthala avec fermeté. De votre aveu, aucun étranger ne s’est approché de votre pavillon. Il faut donc que ce soit l’un d’eux…
— Ou n’importe quel hindou portant la livrée du prince, avança Morosini.
En dépit de la mine sombre de son invité, Jagad Jit Singh se mit à rire :
— Je vois mal un homme de couleur revendiquant un nom aussi illustre que celui de l’Empereur.
— D’autant qu’on le dit d’ascendance russe, reprit Aldo. Ce qui n’empêche que pendant un moment on l’a cru espagnol. Si les recherches ne donnent rien ici, il va falloir prévenir le commissaire principal Langlois, au Quai des Orfèvres, puisque jusqu’à présent le voleur ne s’est jamais manifesté qu’à Paris… Il faut que Langlois sache que son gibier est venu se promener jusqu’ici. Il pourra au moins faire surveiller les arrivées de bateaux, de trains…
— Encore faudrait-il savoir à quoi ressemble Sa douteuse Majesté, corrigea Adalbert.
— Langlois est un type méthodique, organisé, intelligent. C’est un excellent policier et je suis persuadé qu’il réussira à mettre la main dessus, parce que notre homme va sûrement regagner Paris…
En attendant on fouilla le palais, la ville, le parc, d’où les princes invités partaient les uns après les autres. Ce qui ne simplifiait pas les choses. Entre le palais et la gare s’établissait une incessante noria de voitures qui compliquait encore la tâche des enquêteurs, la plupart des princes ayant catégoriquement refusé que l’on explore leurs bagages, à la grande fureur de Patiala. Soudain Morosini eut une idée :
— Et s’il était parti avec Alwar ? Cet homme semble remarquablement renseigné sur l’endroit où chercher les joyaux dont il veut s’emparer. Il doit bien savoir que Jay Singh nous a repris la « Régente » ?
— Auquel cas il vaudrait mieux pour lui n’être jamais né ; je ne donnerais pas cher de sa peau. Et d’ailleurs, c’est peut-être bien lui qui a cambriolé ta chambre, émit Adalbert.
— Il est trop poli pour n’avoir pas laissé un carton de remerciements. Tu connais ses habitudes…
— Oui, mais c’eût été révéler trop tôt sa présence et je te rappelle qu’il visait quelque chose de beaucoup plus important que les diamants d’Eugénie…
Effectivement, on ne trouva rien. Le voleur et son fabuleux butin s’étaient dissous dans l’atmosphère scintillante mais, par force, un peu confuse d’une fête à laquelle tant de gens divers avaient participé. Il fallut bien en prendre son parti…
Pendant que Patiala courait à Delhi pour mettre le Vice-Roi en demeure de faire intervenir Scotland Yard, les Morosini et Vidal-Pellicorne restèrent encore quelques jours à Kapurthala dans la paix retrouvée. On put visiter le lycée français, l’hôpital moderne, le palais du Trésor où l’on gardait les joyaux de la Couronne, des armes anciennes, des meubles orfévrés et une admirable collection de peintures mogholes et tibétaines. Mais seuls les deux hommes eurent le droit de visiter la salle proche des appartements de Jagad Jit Singh dont les murs s’ornaient de portraits, tous superbes, mais d’un genre particulier : une très éclectique collection de femmes nues…
Au même moment la princesse Brinda emmenait Lisa rendre visite à la première épouse du maharadjah, celle qui ne sortait jamais du ravissant palais semé de jardins pleins de fleurs brillantes et de chants d’oiseaux où elle résidait, à quelque distance de la ville. N’ayant jamais pu donner d’enfants au maharadjah, elle avait elle-même choisi de s’appliquer le purdah en dépit des représentations d’un mari qu’elle venait visiter une fois l’an.
— L’âge venant et les maharanis qui lui ont succédé n’étant plus de ce monde, elle pourrait reprendre sa place auprès de mon beau-père, expliqua Brinda, mais elle s’y refuse…
— Elle a dû être très belle !
— Elle l’est encore, mais elle est très attachée aux traditions. Le Palais Neuf lui déplaît et elle s’y sentirait perdue. Ici elle vit comme ont vécu toutes celles qui l’ont précédée et j’espère sincèrement qu’elle mourra avant son époux. Sinon elle serait très capable de revendiquer sa place sur le bûcher funéraire.
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