— Je suppose que vous fournissez aussi le Diwan sahib ? fit-il négligemment en passant une main caressante sur la douce mousseline qu’il espérait bien draper lui-même sur le corps de Lisa ; elle serait si belle là-dedans !
— En effet, mais le Diwan sahib est âgé, son épouse – il n’en a qu’une ! – l’est aussi et elle possède tant de belles choses qu’elle en achète rarement…
— À ce propos, reprit Morosini tandis que le marchand enveloppait son œuvre d’un morceau d’étoffe de soie comme il l’eût fait d’un papier, je voudrais lui rendre visite. Pouvez-vous m’indiquer sa demeure ?
— Bien sûr, sahib, bien sûr ! C’est très facile. Je vais vous montrer…
Après lui avoir remis son paquet, il conduisit Aldo jusque dans la rue, désignant, au-delà de la porte moghole, l’enchevêtrement luxuriant d’arbres fleuris qui débordait d’un haut mur blanc, simplement percé d’une porte basse en cèdre ouvragé.
— C’est là-bas ! Quelques pas seulement, sahib ! Avec tous mes remerciements, sahib ! Soyez certain que je garderai…
Morosini était déjà parti mais, quand il atteignit la porte indiquée, il se vit soudain encadré de deux gardes du palais qu’un officier accompagnait :
— Je crois qu’il serait temps pour Votre Excellence de regagner ses appartements, dit cet homme avec les marques du plus profond respect.
— Plus tard ! dit Morosini sèchement. Je désire auparavant rendre visite au Premier ministre.
— Il n’est certainement pas chez lui, Excellence, fit l’officier d’un air désolé. À cette heure le Diwan sahib est au palais auprès de Son Altesse… qui d’ailleurs attend Votre Excellence. Et elle n’aime pas attendre.
— Et moi je n’aime pas que l’on me dicte ma conduite ! L’heure n’est pas encore venue où je devais rejoindre votre maître. Et si le Diwan est absent, vous souffrirez peut-être que je poursuive ma promenade comme je l’entends !
L’officier prit un air désespéré :
— Le maharadjah m’envoie spécialement chercher Votre Excellence. Il s’est aperçu que le temps lui dure de vous retrouver…
Insister serait cruel, pensa Aldo qui, sous l’air navré du jeune homme, devinait une angoisse. La même angoisse toujours !
— Comme vous voudrez, capitaine. Nous rentrons, mais je vous demanderai de laisser vos hommes à l’arrière-garde. Je n’ai aucune envie de déambuler dans cette ville entre deux soldats…
— C’est bien naturel. Pour ma part, je vais vous guider… sans trop en avoir l’air.
Or, à ce moment, la porte devant laquelle on discutait s’ouvrit et le Diwan en personne fit son apparition. Du coup Morosini foudroya du regard le jeune capitaine :
— On vient de me dire que vous étiez au palais, Diwan sahib. Apparemment il n’en est rien ?
Le vieil homme d’État eut un fin sourire :
— Ce n’est qu’une question de temps. Je m’y rends de ce pas… Mais je suppose que vous vouliez des nouvelles de votre ami ?
— J’aurais voulu le voir, surtout !
— C’est impossible ! Vous savez qu’il m’est confié et Sa Grandeur n’aimerait guère que je transgresse ses ordres. Mais, rassurez-vous, se hâta-t-il d’ajouter devant le mouvement de colère ébauché par Morosini, il va très bien. Il est allé avec deux de mes fils chasser le sanglier. Ferons-nous route ensemble ?
Partant de ce principe qu’il y a toujours à s’instruire dans la conversation d’un homme intelligent, Aldo accepta et ils prirent le pas de promenade tandis que les militaires s’écartaient.
Ils trouvèrent le maharadjah dans l’une des cours du palais, celle sur laquelle ouvrait le « hakhi-kana », l’écurie des éléphants, une bâtisse haute comme une cathédrale où logeaient une dizaine des nobles animaux. Le prince, vêtu avec la même simplicité que le matin, parlait avec le chef de cette écurie d’un genre particulier, mais se détourna aussitôt en voyant arriver les deux hommes :
— Désolé, mon cher ami, de vous avoir fait chercher ! s’excusa-t-il avec ce séduisant sourire qu’il avait parfois, mais je me suis trouvé libre plus tôt que je ne l’espérais et vous me manquiez déjà…
Il échangea un bref dialogue avec le Diwan qui s’éloigna, après quoi Jay Singh prit le bras de son invité :
— Commençons notre visite ! Et puisque nous sommes dans cette cour, je vais vous montrer le plus étrange véhicule que vous ayez jamais vu…
Au fond de l’écurie il y avait en effet une sorte de monstre à deux étages abondamment peint et décoré, qui sans cette touche d’exotisme eût un peu ressemblé à un bus londonien :
— Cela a été fait pour y atteler quatre éléphants, expliqua Jay Singh. Cela permet d’emmener pas mal de monde dans des endroits un peu escarpés. Mais allons voir mes trésors ! Je crois que vous en serez content… Commençons par les garages…
Ils valaient le déplacement : quelques dizaines d’automobiles s’y alignaient, parmi lesquelles deux Bugatti bleues, sœurs jumelles de la condamnée du matin, six Rolls dont celle tapissée de peaux de tigre et celle habillée de tapis, plus trois ou quatre autres vêtues de soie, de velours ou de brocart, mais il n’y avait là rien de bien extraordinaire au pays des maharadjahs, si ce n’est une sorte de carrosse à moteur : une énorme Lanchester tout en or qui reproduisait exactement le carrosse du couronnement des rois d’Angleterre. Moins les chevaux évidemment : ils étaient remplacés par un capot dont le bouchon représentait les armes d’Alwar flanquées d’un tigre et d’un taureau.
— Aimeriez-vous faire un tour dedans ? proposa Jay Singh.
— Mon Dieu non, fit Aldo en riant. J’aime les voitures mais je leur préfère de beaucoup les joyaux…
— Alors nous n’allons pas vous faire attendre plus longtemps.
Morosini était habitué aux collections prestigieuses. Il en avait déjà rencontré beaucoup, à commencer par celle de son beau-père, mais en pénétrant dans les salles où s’entassait la richesse d’Alwar il eut un éblouissement et, repris par sa passion des pierres magiques, oublia pour un moment qu’il n’était pas là pour son simple plaisir. Plusieurs salles se faisaient suite en enfilade, fermées par des portes de bronze inviolables, éclairées par des fenêtres de marbre ajouré qui l’étaient pareillement. Dans la première, des armoires vitrées mais renforcées présentaient des merveilles : les nombreuses couronnes du maharadjah, ses colliers, bracelets, ornements de turban, présentés avec autant d’art et de sécurité que chez un joaillier de la place Vendôme. Ébloui, Aldo pensa que la fortune de l’étrange prince était fabuleuse et il ne savait où donner de l’admiration quand son regard accrocha, seule dans une niche vitrée creusée dans le mur épais et éclairée par en dessous d’une lumière diffuse, une coupe taillée dans une seule et énorme émeraude. Il se planta devant et ne bougea plus, saisi d’une émotion que son hôte ressentit. Sans un mot, celui-ci ouvrit la niche et, prenant la coupe, la déposa dans la main un peu tremblante de Morosini émerveillé :
— Auriez-vous découvert le Graal, le vase qui recueillit le sang du Christ ? La tradition dit qu’il était fait d’une seule émeraude…
— Il faudrait pour cela que le grand empereur Akbar, mon ancêtre, l’ait découvert, car c’est à lui qu’appartenait cette coupe fabuleuse. Elle semble vous émouvoir ?…
— Je ne pensais pas qu’il fût possible de voir pareille merveille, murmura-t-il tandis que ses longues mains fortes et délicates caressaient le prodigieux objet, dont il fallut bien finir par se séparer pour qu’il reprît sa place dans la niche de cristal. Il put ensuite admirer un collier d’énormes rubis taillés de façon divine, des joyaux de perles, de diamants et d’émeraudes. Seul le saphir en était absent car il passait pour être, sinon maléfique, du moins peu désirable ! L’ensemble était d’une grande beauté, même si les montures étaient trop lourdes ; mais dans les bijoux indiens l’or avait presque autant d’importance que les pierres.
Morosini vit aussi une étonnante collection de jades, dignes d’un empereur de Chine et dont la présence l’étonna : il aurait juré que la Chine seule pouvait en produire de pareils…
— Mais tout ceci n’est qu’apparence, soupira soudain l’homme qui cependant se couvrait toujours de ces apparences avec une telle profusion. Le grand Ramakrishna a écrit « Quand vous aurez reconnu que le monde est irréel et éphémère, vous y renoncerez et vous vous libérerez de tous vos désirs… »
— Je n’en suis pas encore là, fit Morosini en riant. Ni vous non plus, Altesse, car grâce à Dieu vous savez à merveille porter ces splendeurs et je crois que vous y trouvez plaisir. Ce qui est bien normal : ni vous ni moi n’avons l’âge des renoncements. À ce propos…
Il tira de sa poche le sachet de daim dans lequel il avait placé la « Régente » après l’avoir extraite de ses chaussettes, en sortit la grosse perle, la prit par son attache pour la déposer sur le coussin de velours placé là pour recevoir les joyaux quand on les sortait de leur vitrine :
— Voici la « Régente », la perle impériale que vous m’avez demandé de vous apporter. Qu’en pensez-vous ?
Les mains gantées de soie s’en emparèrent avec une avidité inattendue chez un homme si riche. Elles la palpèrent, la caressèrent, la mirèrent, la respirèrent même. Les étranges yeux de tigre luisaient comme ceux du fauve quand il guette sa proie :
— Admirable ! Plus belle encore que je ne le pensais ! Ah, je sens qu’une fois montée en collier elle sera l’un de mes joyaux préférés. Mais il faut lui trouver des compagnes dignes d’elle, des diamants aussi peut-être ? Je vais convoquer mes joailliers dès ce soir…
Il remit la perle dans le sachet, fourra le tout dans sa poche puis, empoignant Aldo par les épaules, il lui donna l’accolade :
— Merci, mon ami, merci ! Cette perle sublime sera le maillon qui nous unira à jamais ! Viens, j’ai encore d’autres petites choses à te montrer !
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