— Au champagne ! s’offusqua Marie-Angéline. Alors qu’Aldo est entre la vie et la mort ?
— Boire de l’eau ne le ramènera pas plus vite à la santé. Nous devons avoir des pensées constructives et, pour moi, le champagne en fait partie presque autant que les prières ! Nous boirons aussi à sa santé. Je suis sûre d’ailleurs qu’il va s’en sortir.
Et, prenant le bras d’Adalbert, l’indomptable vieille dame se dirigea vers la salle à manger ; mais il y avait des larmes dans ses yeux.
Ceux de Lisa étaient secs mais inquiets lorsque, le lendemain après-midi, elle franchit, accompagnée d’Adalbert, le seuil de la clinique du Pr Dieulafoy. L’infirmière-chef qui les reçut était grande, maternelle et compétente. Elle les emmena dans son bureau où elle offrit à Lisa un siège et une cigarette.
— Vous pensez que j’ai besoin de réconfort ? murmura celle-ci avec un regard incertain.
— On en a toujours besoin. La fièvre a baissé. Pas suffisamment encore et le malade reste faible, à peu près inconscient. Le professeur s’est montré plus optimiste ce matin mais, quand il s’agit d’un cas… préoccupant comme celui-là, j’ai l’habitude d’offrir aux proches, quand ils arrivent à la clinique, une halte entre la rue et la chambre. Cela leur permet d’aborder leur malade avec plus de sérénité et cela me donne parfois l’occasion de… modifier leur comportement, leur tenue aussi, car il faut songer à l’impression que ressentira celui qu’ils viennent voir.
— Que voulez-vous dire ? demanda Adalbert.
— Qu’un visage défiguré par les larmes, des cheveux en désordre, des vêtements déjà endeuillés sont d’un effet déplorable. Grâce à Dieu ce n’est pas le cas de Madame, ajouta-t-elle avec un sourire en détaillant l’ensemble de velours noir et de satin bleu clair-de-lune qui habillait si élégamment Lisa ; un turban où s’entrecroisaient les deux tissus casquait étroitement sa tête, ne laissant dépasser en haut du front que la racine des cheveux foncés. Elle est… parfaite !
— Vous n’exagérez pas un peu ? fit Adalbert en riant.
— Pas le moins du monde ! J’ai eu une malade qui au lendemain de son opération est tombée en syncope en voyant pénétrer dans sa chambre la soutane noire d’un prêtre. Un ami pourtant, mais elle a cru qu’il venait l’administrer ! Venez à présent !
Derrière elle, Lisa et Adalbert suivirent une galerie blanche qui sentait la cire et le désinfectant mais au bout de laquelle une baie vitrée donnait sur le jardin. L’infirmière ouvrit une porte, s’effaça : Aldo était en face d’eux.
Étendu sur le dos, les bras le long du corps dans ce lit aux draps bien tirés qui le faisait plus grand encore, Morosini, le teint cireux sous le hâle imprimé dès longtemps sur son visage, les lèvres décolorées et les yeux clos, avait triste mine. Lisa se glissa sur la chaise placée à son chevet et prit entre les siennes, qui tremblaient, la grande main brune de son époux ; elle regarda l’infirmière qui se tenait debout au pied du lit :
— Est-ce qu’il peut m’entendre ? demanda-t-elle.
— Je ne sais pas. Ce matin il s’est pas mal agité mais en ce moment il est calme.
— Il dort peut-être ?
— Cela m’étonnerait…
En effet, le visage immobile frémissait. En même temps, la main que tenait Lisa se crispait. Elle la serra plus fort en se penchant sur lui :
— Reste calme, mon chéri, murmura-t-elle. Je suis près de toi. C’est moi… C’est L…
Elle s’interrompit. Morosini venait d’entrouvrir les yeux et tournait vers elle leur opacité décolorée en même temps que tout son corps frémissait. Elle le sentit se cramponner à sa main.
— Tania ! exhala-t-il faiblement… Vous êtes là, Tania ?
Lisa recula si brusquement quelle faillit tomber, arrachant ses doigts comme si ceux d’Aldo les avaient brûlés. Frappée d’une horrible douleur, elle se jeta vers Adalbert qui, lui aussi, avait pâli :
— Emmenez-moi !… Emmenez-moi vite…
— Vous êtes souffrante, Madame ? s’inquiéta l’infirmière. Venez avec moi !
— Non… Non, merci ! Je veux seulement partir… tout de suite !
Elle semblait sur le point de tomber. Adalbert la prit sous les bras pour l’entraîner hors de la chambre dans laquelle l’infirmière resta, la fit asseoir dans l’un des fauteuils de rotin disposés près de la baie vitrée et prit entre les siennes pour les frotter ses mains qui se glaçaient. En même temps il essayait de percer l’espèce de transe qui s’emparait de la jeune femme. Mais elle ne l’entendait pas, ne le voyait pas. Son corps tremblait et il comprit qu’après ce qu’elle venait d’endurer, c’était la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Alors, le cœur serré mais résolu, il la gifla tout en lui demandant pardon…
Le remède opéra. Elle cessa de trembler, leva sur lui un regard qui revivait. Il voulut alors tenter de plaider :
— Lisa, Lisa ! Il est encore en proie au délire…
L’infirmière reparut à cet instant pour dire à peu près la même chose.
— Il n’est pas encore revenu à la conscience, Madame. Il ne faut pas tenir compte de ce qu’il dit.
Lisa les regarda l’un et l’autre tour à tour, et répondit :
— Quand on délire on ne ment pas. C’est l’inconscient qui s’exprime. Merci de votre bonté Madame ! Venez, Adalbert !
Et Lisa quitta la clinique avec la ferme intention de n’y plus revenir…
Sur le chemin du retour à la maison, elle refusa d’entendre le plaidoyer – passionné cependant d’Adalbert.
— Vous n’avez donc pas confiance en moi ? Sur mon âme, je vous jure qu’Aldo n’était pas l’amant de cette femme ! Il vivait chez moi : je l’aurais su tout de même ?
— Pouvez-vous jurer aussi qu’il ne l’aimait pas ? Ne s’est-il pas précipité chez elle quand elle l’a appelé ?
— Comme il aurait fait pour n’importe quelle autre personne en péril. Il a seulement été victime d’un coup bien monté qui permettait à Agalar de mettre la main sur une fortune tout en s’assurant que l’on n’appellerait pas la police, puisque Aldo était accusé de meurtre…
— Oh, cela, je veux bien l’admettre !
— Pourquoi alors ne pas admettre aussi qu’entre cette femme et Aldo il n’y avait rien ?
— À cause de ce que je viens d’entendre. À cause aussi de la lettre…
— Celle que l’on a trouvée entre les mains de la victime ? Rien que cette circonstance devrait vous la rendre suspecte. En outre vous savez aussi bien que moi qu’une écriture s’imite. Lorsque les bracelets de la princesse Brinda ont été déposés dans la chambre d’Aldo on a fort bien pu dérober un spécimen de son écriture. Il y avait sur le secrétaire les brouillons d’une lettre d’affaires qu’il était en train d’écrire.
— Vous avez vraiment réponse à tout, n’est-ce |pas ?
— Parce que c’est ma conviction profonde qui parle. Écoutez encore ceci : lorsqu’on l’a sorti du puits, c’est de vous qu’il s’inquiétait.
D’un doigt léger, Lisa caressa la joue de l’archéologue :
— Cher Adalbert ! Vous êtes vraiment le meilleur ami qu’un homme puisse avoir ! Pour Aldo vous iriez en enfer en chantant l’alléluia.
— Non, Lisa, fit celui-ci, soudain très grave. S’il avait fait quoi que ce soit dont vous puissiez souffrir, il m’aurait trouvé en travers du chemin. Je vous suis… trop attaché pour cela. (Puis, changeant de ton :) Vous n’allez tout de même pas l’abandonner alors qu’il est peut-être en train de…
— … de mourir ? Dieu ne le permettra pas. Quant à l’abandonner il ne saurait en être question. Encore moins divorcer, parce qu’il y a les enfants !
— Seulement à cause d’eux ? Soyez sincère, Lisa ! Pouvez-vous imaginer une vie à laquelle il n’aurait plus part ?
Elle ne répondit pas, tourna la tête vers la vitre de la portière derrière laquelle défilaient les arbres du bois de Boulogne. En effet, et bien que la distance fût courte, ils s’étaient rendus à la clinique dans la voiture de la marquise afin d’éviter le plus possible d’éventuels journalistes. Et à la sortie pour donner à Lisa le temps de se calmer Adalbert avait indiqué à Lucien le chemin de Longchamp.
— Répondez-moi, Lisa ! J’ai besoin de savoir.
— J’aimerais bien le savoir moi-même. Rentrons à la maison ! Ayant peu de goût pour le récit de Théramène, je vous dirai à tous en même temps ce que je pense faire.
Elle le dit, en effet, et en peu de mots :
— Si vous voulez bien de moi, Tante Amélie, je vais rester ici jusqu’à ce qu’Aldo soit hors de danger. Ensuite je retournerai à Ischl auprès des enfants.
— Et auprès de cet explorateur anglais si passionnant ? ricana Mme de Sommières.
Le sourire que Lisa lui offrit était plus triste que des larmes.
— Il n’est jamais venu à Rudolfskrone. Je l’ai rencontré à Salzbourg, chez les Colloredo et nous avons dansé ensemble. Mais j’avais déjà reçu une lettre de Gaspard. Elle m’avait agacée et j’espérais éveiller la jalousie d’Aldo pour qu’il me rejoigne. C’était stupide, complètement inutile… et tout à fait indigne de moi !
— … mais plutôt efficace, émit Adalbert. Je peux vous certifier qu’Aldo était furieux.
— Pas autant sans doute que vous le pensez ! Je sais comment il est dans ces cas-là. S’il l’avait été vraiment, il aurait pris le premier train pour Ischl, surveillance policière ou pas. Et moi, je me suis conduite comme une midinette.
— Ne vous faites donc pas de reproches ! Moi j’aurais fait bien pire, soupira la marquise. J’ai toujours rêvé d’une aventure avec un grand aventurier mais je n’ai rencontré que le père de Foucauld. Un saint ! En outre, je n’avais plus l’âge des galipettes. Cela dit, ne pouvez-vous lui accorder le bénéfice du doute ?
Pour toute réponse, Lisa embrassa la vieille dame et remonta dans sa chambre. Aussitôt celle-ci se retourna contre Adalbert :
"La Perle de l’Empereur" отзывы
Отзывы читателей о книге "La Perle de l’Empereur". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "La Perle de l’Empereur" друзьям в соцсетях.