Il avait bien fallu en passer par où le voulait Lisa et, nantie d’une fortune en joyaux tirés de leurs écrins et logés dans des sachets de peau de chamois, elle avait pris le train pour Paris…
Elle consulta sa montre. Il lui restait trois heures avant de gagner le lieu du rendez-vous. Que faire à présent au cœur de cette ville qu’elle aimait, où vivaient ceux qu’elle considérait non seulement comme ses meilleurs amis mais aussi comme sa famille : Adalbert le fidèle, Mme de Sommières et ce phénomène sympathique et déroutant qui avait nom Marie-Angéline, et puis, encore plus proche géographiquement parlant, Gilles Vauxbrun qui lui montrait toujours une respectueuse admiration. Ils étaient là, tout près, et cependant à des milliers de lieues. Il aurait été tellement réconfortant de pouvoir partager sa peur, son angoisse avec eux. Mais ne les partageaient-ils pas déjà et depuis plus longtemps qu’elle sans doute, eux qui vouaient à Aldo une amitié si vraie, une tendresse si pure ?
Haussant les épaules comme pour les débarrasser d’un fardeau, Lisa se dirigea à nouveau vers la salle de bains pour se rafraîchir et refaire le léger maquillage qui la différenciait davantage encore de sa propre image.
À ce moment-là, quelqu’un frappa…
La jeune femme se figea. Puis, comme on insistait, elle s’approcha de la porte :
— Qui est-ce ?
— Le service d’étage, Madame, fit une voix féminine. On a oublié de changer les serviettes…
Elle faillit dire que cela n’avait pas d’importance mais craignit de causer un tort quelconque à la femme de chambre.
Alors elle ouvrit…
Le premier mouvement d’Adalbert, en sortant de chez le commissaire Langlois, avait été de récupérer son Théobald et de filer vers cet autre quai de Paris où logeait fastueusement le marquis d’Agalar. Tous deux étaient décidés à employer les plus grands moyens, sinon les pires, pour extraire un renseignement quelconque du valet de chambre. Malheureusement là non plus il n’y avait personne.
— Il est parti hier soir pour la Bretagne où sa mère est malade, leur confia un concierge imposant comme un suisse d’église. Il a même laissé un petit mot pour Monsieur le Marquis au cas où il rentrerait pendant son absence…
— Et le marquis vous ne sauriez pas où il est ?
— Quand il part en voyage, il ne dit jamais où il va, maugréa l’homme. Même son valet Gontran ne sait pas toujours où il est. Et il voyage souvent…
— Il n’aurait pas une maison de campagne, un château, ou quelque chose d’approchant en province ?
— À part le château de famille en Espagne, je n’ai jamais entendu parler de ça. Et même en Espagne je ne sais pas où ça se trouve…
Il n’y avait vraiment pas de quoi pavoiser ! Quel résultat ! Étrange, d’ailleurs. Ces gens qui jugeaient utile de filer n’importe où dès que l’on avait le dos tourné !
— Je sens, émit Théobald, que Monsieur va être d’une humeur exécrable et j’aimerais mieux que Monsieur la passe sur quelqu’un d’autre que moi.
— Désolé, mon vieux, tu es tout ce que j’ai sous la main ! lâcha Adalbert en embrayant férocement pour rentrer chez lui. Ou alors trouve-toi un remplaçant…
— Pourquoi pas M. La Tronchère ? Monsieur m’a bien dit qu’il l’avait retrouvé cette nuit ?
— Ça, pour une idée, c’est une idée ! D’ailleurs, il ne serait peut-être pas mauvais d’aller voir ce qui se passe dans la maison près du chemin de fer ! Je te dépose chez nous et je file.
Tandis que la petite Amilcar rouge pétaradait sur la route de Saint-Cloud, Adalbert entendait dans sa tête des trompettes sonner la charge. Il avait besoin de se défouler et quiconque lui tomberait sous la main passerait un mauvais quart d’heure…
La vieille bâtisse de l’homme à la Renault noire se montra aussi décevante que le quai d’Orsay. Adalbert n’y vit rien qu’il n’eût déjà vu la nuit précédente. Personne n’y était revenu depuis que Karloff et lui l’avaient visitée… Aussi les roues de la petite voiture rouge le portèrent-elles tout naturellement vers le gîte de son ennemi. À des abords un peu distants, car le bruit et la couleur de l’Amilcar étaient trop aisément repérables. Adalbert choisit un bouquet d’arbres à l’entrée d’une propriété et s’en alla à pied vers la tanière du rat des musées privés.
Rien n’avait bougé là non plus. La rue était aussi déserte que la nuit précédente. On n’y entendait rien ; on ne voyait personne. En foi de quoi Adalbert escalada derechef la petite grille et fit le tour de la maison afin d’y pénétrer par la porte de la cuisine. Au cours d’une carrière déjà longue où il lui était arrivé d’entrer chez les autres sans y être invité, l’archéologue savait que les portes de service sont presque toujours moins bien défendues que les entrées principales. Il n’eut besoin que d’un seul petit outil pour venir à bout de celle-là et se retrouva bientôt dans la cuisine où il avait vu La Tronchère se faire des œufs au plat. Il n’y avait personne, mais tout était propre et bien rangé.
Ainsi renseigné sur les capacités ménagères de son ennemi, Adalbert entreprit la visite de la maison qui se composait, pour le rez-de-chaussée, d’un salon et d’une salle à manger de part et d’autre d’un couloir central d’où un escalier montait à l’étage. Mais, dès son entrée dans la première pièce, il eut l’agréable surprise de retrouver quelques-uns de ses chers trésors : de magnifiques vases canopes décoraient une salle à manger qui sans eux eût été banale. Quant au salon, il était orné de deux importants fragments de fresques, d’une statue d’Isis en basalte noir avec des ornements d’or, d’une admirable tête de la vache sacrée Hathor portant entre ses cornes le disque solaire, d’un très beau sarcophage thébain privé de sa momie mais encore en possession de son cercueil en bois de cèdre brillamment enluminé, d’une collection de statuettes en malachite, d’autres vases canopes et, dans la vitrine d’une autre collection de bustes, de fragments variés et de papyrus peints qui eussent fait le bonheur du Louvre ou du British Museum. C’était fort bien entretenu mais, dans ce décor d’une affligeante banalité, les plus belles pièces prenaient un air tristounet : elles avaient l’air en exil chez la concierge !…
Adalbert était en train de caresser la fière tête du dieu-faucon Horus quand il entendit bâiller. Presque aussitôt l’escalier grinça sous le pas pesant d’un homme qui vient de se réveiller, puis ce fut la porte de la cuisine qui grinça à son tour. Contrairement à ce qu’il pensait, La Tronchère était là mais il avait dû faire une longue grasse matinée. Il est vrai qu’il s’était couché fort tard.
Un sourire qui ressemblait à une grimace détendit le visage fatigué d’Adalbert qui mit la main à sa poche et tira son revolver : le petit déjeuner du voleur aurait du mal à passer… Pourtant, avant d’entrer dans la cuisine, il eut une autre idée : il alla à la fenêtre et arracha les cordons de tirage des doubles rideaux, les passa à son cou pour avoir les mains libres et reprit son chemin, s’arrêtant un instant pour écouter. Le bruit du moulin à café le renseigna sur ce que faisait La Tronchère. Alors il fit son entrée :
— J’espère que vous avez prévu large, mon cher confrère, fit-il aimablement. J’en prendrais bien une tasse !
La gueule noire de l’arme braquée démentait la bénignité des paroles et Fructueux La Tronchère accusa le coup : il émit une sorte de hoquet, leva des bras tremblants, écarta les genoux dans un réflexe machinal et laissa tomber le moulin dont le contenu se répandit sur le carrelage.
— Quel maladroit ! soupira Adalbert qui ajouta après un coup d’œil au paquet de café ouvert. Mais je crois qu’il n’y a pas à regretter : cette marque de café ne vaut pas grand-chose ! Et maintenant, cher ami, veuillez vous lever en gardant les bras en l’air et allez vous mettre face à ce grand placard.
L’autre obéit sans protester : visiblement il mourait de peur mais il trouva cependant la force de bafouiller
— Qu’est-ce… qu’est-ce que vous… me voulez ?
— Te mettre hors d’état de nuire, après quoi réglerons nos comptes…
Il palpa d’une main rapide le corps rondelet mais musclé de La Tronchère, qui était un faux gros trapu, explora les poches d’une attendrissante robe de chambre verte imprimée d’oiseaux roses, posa son revolver et, en quelques gestes prompts, saucissonna solidement sa capture qu’il ramena ensuite s’asseoir sur sa chaise. Puis, parodiant le baron Scarpia au second acte de la Tosca :
— Et maintenant causons d’amitié pure ! Je croyais vous avoir accordé une semaine pour me rapporter ce que vous m’avez volé. Or je m’aperçois que vous n’en preniez pas le chemin : mes biens décorent encore votre salon. Pas tous, d’ailleurs ! Il en manque…
— Il y en a là-haut, dans ma chambre, fit La Tronchère de mauvaise grâce. Et puis j’ai vendu deux ou trois pièces.
— Quoi ! Non seulement tu m’as pillé, s’écria Adalbert, renonçant définitivement à toute formule le politesse, mais en plus tu as osé vendre une partie de ton larcin ? Moi qui croyais que tu avais agi par pur amour de l’art ! C’est impardonnable !
— Oh, ce n’était pas de gaieté de cœur, mais je ne suis pas riche, moi ! Il faut que je vive et avec vous à mes trousses personne ne m’aurait employé !
Il oubliait peu à peu sa peur sous l’influence d’une colère qui finit par exploser :
— Et puis, après tout, je n’ai fait que prendre ce que vous aviez déjà volé ! Alors qu’allez-vous faire de moi ? Me livrer à la police ? Vous aurez du mal à expliquer votre position. Me tuer ?…
— Je ne suis pas un assassin… mais en ton honneur je pourrais peut-être me forcer, puis creuser un trou dans ton jardin. Je manie la pelle et la pioche comme un dieu !
— Vous n’allez pas faire ça ? Je n’ai tué personne…
"La Perle de l’Empereur" отзывы
Отзывы читателей о книге "La Perle de l’Empereur". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "La Perle de l’Empereur" друзьям в соцсетях.