— Je viens de vous dire que je n’ai pas besoin de vous. Allez-vous-en ! jeta celle-ci.
— On peut toujours parler. Est-ce que quelqu’un s’occupe de vous ?
— Ma voisine. Pour l’instant elle conduit mes filles faire une promenade. Et puis j’ai aussi mon compagnon. Et il n’aimerait pas vous voir ici !
— Pourquoi donc ? Je viens vous apporter du réconfort et un peu d’argent. Mais je suis surprise d’apprendre que vous avez des enfants. Est-ce que la femme qui vient de sortir le sait ?
— Je n’en sais rien et puis ça m’est égal.
— Vous ne devriez pas. Recevoir des menaces de mort, c’est fort ennuyeux, mais quand on a de la famille c’est encore pire.
— Comment savez-vous cela ?
— Elle m’a dit que vous êtes complice d’un meurtre et qu’elle entend vous le faire payer. Ne devriez-vous pas demander l’aide de la police ?
À la lueur d’effroi qui s’alluma dans les yeux noirs de la femme, Marie-Angéline comprit qu’elle touchait une corde sensible et que Marie n’avait aucune envie de voir les autorités s’inscrire dans son paysage familial.
— Je n’ai pas besoin de la police. J’ai assez d’amis pour me protéger.
— De vos ennemis peut-être, mais peuvent-ils aussi vous préserver justement de la police ?
— Que voulez-vous dire ?
— Que vous avez eu de la chance jusqu’à présent parce que l’homme qui vous a vue dans la maison de Piotr Vassilievich est un vrai gentilhomme incapable de livrer une femme. Mais il pourrait changer d’avis.
— Alors ce ne serait plus un gentilhomme, comme vous dites.
— D’autres pourraient s’en charger. La femme qui sort d’ici, par exemple ?
Marie Solovieff haussa furieusement les épaules :
— On voit bien que vous n’êtes qu’une occidentale ignare. C’est une tzigane et ces gens-là ne vont jamais voir la police. Ils règlent leurs affaires eux-mêmes. Mais comment savez-vous ça ? Vous êtes un flic ?
La mine offensée de Marie-Angéline en dit plus qu’un long discours :
— Pour qui me prenez-vous ? Je suis seulement une amie de celui qui ne vous a pas livrée mais qui souhaiterait avoir un entretien… sans témoin avec celui que vous servez.
— Moi, je sers quelqu’un ?
— Il n’y a là rien de honteux surtout quand la cause est belle, et la vôtre serait… impériale ?
La Russe rougit, ce qui lui allait bien d’ailleurs, et parut se détendre imperceptiblement :
— Comment s’appelle votre ami ? Celui qui n’a pas parlé de moi ?
— Le prince Morosini. Il est vénitien, antiquaire, collectionneur et expert en joyaux anciens. Il souhaite vivement rencontrer celui qui se fait appeler Napoléon VI. Mais le rencontrer… entre hommes, face à face et dans un lieu qui conviendrait au futur empereur.
— Que lui veut-il ?
— Je ne sais pas. Parler d’avenir et peut-être l’aider, si sa filiation était établie, à recouvrer une partie au moins des anciens Joyaux de la Couronne. Personne ne sait mieux que lui où ils sont. Ne pouvez-vous nous aider à arranger cette rencontre ? Tout au moins lui en parler ?
Le ton grave, chaleureux même et persuasif de Marie-Angéline changeait peu à peu l’atmosphère. Marie Solovieff parut tout à coup très ennuyée.
— Ce que vous dites est très intéressant et je suis heureuse d’apprendre qu’il se trouve des gens capables de se rendre compte de ce qu’il représente. C’est un grand homme, vous savez ? Ses plans d’avenir parlent de paix, d’entente entre les hommes. Même si, pour l’instant, les événements le contraignent à employer la violence…
— Nous n’en doutons pas un seul instant, ma chère. Et c’est pourquoi le prince appelle de ses vœux une entente…
— Je voudrais bien vous aider ! soupira Marie Solovieff. Seulement je ne sais pas où il est en ce moment.
— Oh, il n’y a pas le feu et nous pouvons attendre. Une entrevue de cette importance se prépare avec soin. Donnez-moi seulement son adresse…
— Je ne la connais pas.
— Vraiment ? C’est difficile à croire.
— Pour vous peut-être, mais pas pour moi. Il est normal qu’il s’entoure de quelque mystère sinon il n’aurait guère de chance de mener à bien son destin. Donc il se cache et c’est naturel…
— Croyez-vous ? Lorsque l’on a confiance dans ses fidèles…
— On peut faire confiance sans tout révéler. Ainsi, moi j’ai entendu sa parole, fit Marie d’un ton extatique, mais je ne l’ai jamais vu…
— Voilà qui est encore plus incroyable, dit Marie-Angéline en se demandant si cette femme ne se payait pas sa tête. Comment se vouer à quelqu’un sans le connaître ? Comment l’entendre sans le voir ?
— Ceux qui servent le Christ le font depuis des siècles, s’écria la fille de Raspoutine en se signant plusieurs fois à toute vitesse. Mais quand je dis que je ne l’ai jamais vu, ce n’est pas l’exacte vérité. En fait, je me suis trouvée plusieurs fois en sa présence, mais je n’ai jamais vu son visage. Je ne connais de lui qu’une haute silhouette noire, pleine d’élégance dans un pardessus au col toujours relevé, un chapeau noir au bord baissé… mais je sais, ajouta-t-elle d’une voix vibrante, qu’au jour de la victoire finale il se révélera à moi comme il me l’a promis car il m’a choisie…
Cette fois on nageait en plein mysticisme. Restait à savoir s’il était réel ou simulé.
— Choisie pour quoi ?
— Parce qu’il m’aime. Il me l’a dit.
— En ce cas pourquoi tout ce mystère ? Votre père aussi s’était tracé un destin, mais il le suivait à visage découvert.
— Ce n’est pas la même chose. Le chemin de mon père vénéré était celui de la lumière et de la victoire. Napoléon, lui, doit marcher dans l’ombre afin de se dérober à ses ennemis, mais la révélation n’en sera que plus éclatante… Et moi, il m’a choisie pour épouse !
Et voilà ! On nageait toujours en plein délire mystique.
— Vous ne vous prendriez-vous pas un peu pour sainte Thérèse de Lisieux ? marmotta Marie-Angéline agacée. Vous êtes prête à épouser un homme que vous ne connaissez pas, qui est peut-être laid comme les sept péchés capitaux…
— Oui, parce que j’ai entendu sa voix ! Elle ensorcelle comme une incantation. Une telle voix ne peut appartenir à un monstre. En outre, il sait si bien veiller sur moi et sur mes enfants ! Il nous entoure de tant de soins ! Ainsi je suis toujours escortée lorsque je sors…
— Comment vous êtes-vous fait cela ? fit Marie-Angéline en désignant le pied bandé.
— Le plus bêtement du monde ! Je suis tombée dans l’escalier… D’ailleurs je ne sais pas si je retournerai au théâtre. « Il » ne le souhaite pas.
— C’est compréhensible, dit Marie-Angéline qui se leva en soupirant. Eh bien, je crois que vous n’avez pas besoin de notre secours et je vais vous quitter.
Une lueur s’alluma dans les yeux noirs :
— N’avez-vous pas dit que vous m’apportiez de l’argent ?
— Je l’ai dit, en effet, mais ces dames du comité vous croyaient dans la misère, et puisque votre illustre protecteur ne vous laisse manquer de rien…
— Un petit supplément n’a jamais fait de mal à personne ! fit une grosse voix dont le propriétaire venait de s’encadrer dans le chambranle de la porte. Les petites aiment beaucoup les bonbons !
Les dimensions du personnage plaidaient en faveur de la conciliation, de même que sa figure aplatie par une fréquentation assidue des salles de boxe. Cependant Mlle du Plan-Crépin descendait des preux qui s’étaient illustrés aux croisades et savait faire face : elle toisa l’arrivant.
— Les secours de l’Aide aux réfugiés ne sont pas destinés à acheter des bonbons, déclara-t-elle.
— Et pourquoi pas ? Ça dépend des besoins qu’on a. Je suis sûr qu’il y en a qui transforment votre argent en pinard, ou en vodka si vous préférez…
En même temps l’homme dont l’accent faubourien n’était certainement pas né sur les bords de la Neva tendait une main large comme une assiette :
— Allons, un bon mouvement ! continua-t-il. Le patron est en voyage pour le moment et faudrait penser à acheter du charbon pour la cuisinière…
Marie-Angéline comprit qu’elle ne serait pas la plus forte. Ouvrant son sac à main elle en tira un billet de cent francs que l’autre considéra avec mépris :
— Sont pas très généreuses, vos bonnes femmes ! Y a pas que le charbon dont on a besoin…
Et, s’emparant du sac, il en tira quatre autres billets que Mme de Sommières avait mis à la disposition de la fausse dame d’œuvre.
— Ben voilà ! fit-il avec satisfaction. On va se sentir mieux, nous autres, et vous, ma petite dame, vous vous sentirez plus légère. À présent je vous reconduis, dit-il en la prenant par le bras pour la ramener à l’escalier sans lui laisser le temps d’un au revoir quelconque. Bien le bonjour chez vous et ne vous gênez pas nous revenir prendre de nos nouvelles…
Après quoi, la porte du palier claqua derrière Marie-Angéline.
Lorsque la Panhard-Levassor eut mis quelque distance entre elle et le boulevard Rochechouart, Marie-Angéline perdit son maintien digne pour se laisser aller sur les coussins, ôta sa voilette et s’éventa avec son chapeau. Elle se sentait déçue car elle espérait beaucoup de cette visite. Or, elle s’était fait délester de cinq cents francs en échange de quoi ? Absolument rien, sinon que la fille de Raspoutine était entièrement à la dévotion de « Napoléon VI », qui était sans doute fort intelligent car il avait su jouer sur l’attrait du mystère en même temps que sur les rêves de gloire et de richesse d’une femme passablement malmenée par la vie. Quant à son protecteur, le portrait qu’elle en avait fait était des plus vague : grand, silhouette élégante, voix charmeuse, le tout emballé dans un manteau et un feutre noir à bord baissé. Rien de très excitant. Le gardien de Mme Solovieff avait bien dit qu’il était en voyage, mais il n’y avait aucune raison de le croire. En fait, tous ces gens formaient une assez jolie bande de malfaiteurs, à l’exception sans doute de cette Marie dont on exploitait la naïveté et le besoin d’être reconnue. Maigre bilan ! Alors qu’elle espérait tant revenir débordante d’informations…
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