— Alors que Monsieur aille se rafraîchir et se changer ! Je vais finir de préparer un solide petit-déjeuner.
Un moment plus tard, douché, rasé et enveloppé dans sa robe de chambre, Adalbert s’installa devant un vrai breakfast à l’anglaise. Il n’avait pas faim et la chaise vide de l’autre côté de la table lui donnait envie de pleurer mais, planté auprès de lui comme une gouvernante devant un gamin têtu, Théobald l’obligea littéralement à manger ses œufs au bacon et les toasts qu’il lui beurra avant de les enduire d’une mince couche de marmelade d’orange en affirmant qu’il fallait toujours bien caler l’estomac dans les situations difficiles afin de préserver ses forces. Pour se consoler Adalbert avala une pleine cafetière puis tira sa pipe et s’en alla la fumer dans son cabinet de travail avec le téléphone à portée de main. Théobald l’y suivit :
— Monsieur ne croit pas qu’il faudrait appeler la police ?
— Je ne sais pas. Hier l’homme a dit qu’il allait tuer la comtesse si la police était prévenue…
Théobald secoua la tête en couvrant son maître d’un regard apitoyé, et en se demandant avec angoisse si cette belle intelligence n’était pas en train de se dissoudre dans le chagrin. Avec une douceur bien inhabituelle chez lui, il suggéra :
— Si j’ai bien compris Monsieur, non seulement cette dame n’est pas morte, mais elle dormait tranquillement dans son lit, peut-être sous l’effet d’une drogue et sans la moindre trace de sévices tandis que le prince Aldo a disparu. Donc le contrat me semble caduc et ne serait-il pas temps d’en toucher un mot au commissaire Langlois ?…
— Tu as sans doute raison, pourtant je voudrais attendre encore un peu. Presque aussi bien que moi tu sais par quelles aventures nous sommes passés, Morosini et moi. Il y a eu des cas où une intervention prématurée de la police aurait causé de graves dégâts. Donnons-nous quelques heures et s’il ne reparaît pas, alors je téléphonerai au commissaire…
Il n’ajouta pas qu’il espérait avoir dans la journée des nouvelles de Martin qui certainement, à cette heure, devait avoir commencé son enquête. Malheureusement la matinée s’écoula sans ramener Aldo et sans que le journaliste donnât signe de vie. Toujours vissé dans son fauteuil, Adalbert qui s’efforçait au calme obtenait exactement le contraire et le tabac n’arrangeait rien. Jamais encore il n’avait ressenti, lui toujours si calme, qu’il avait des nerfs comme tout le monde. Il essaya de lire, de travailler. Peine perdue ! Les plus belles énigmes égyptiennes perdaient tout intérêt en face de celle qu’incarnait alors Aldo…
Incapable de rester là plus longtemps à se ronger les sangs, il tendait la main vers le téléphone quand on sonna. Persuadé que c’était Walker, il se précipita et arriva dans l’antichambre au moment où Théobald faisait entrer le commissaire Langlois escorté de deux inspecteurs. Vidal-Pellicorne fut tellement content de le voir qu’il ne prit pas garde à l’appareil officiel dont il s’entourait ni à la raideur voulue de son attitude :
— Commissaire ! Je suis si heureux de votre visite ! C’est le bon Dieu qui vous envoie…
— Cela m’étonnerait ! Le nommé Aldo Morosini est-il ici ?
— Le n… ? Qu’est-ce que ça veut dire ? dit Adalbert choqué par l’appellation vulgaire.
— Que je viens l’arrêter. Fouillez partout, vous deux ! Et sans oublier les chambres et l’escalier de service…
Les deux séides s’éclipsèrent et l’appartement retentit bientôt des protestations indignées de Théobald. Cependant Adalbert reprenait esprits :
— L’arrêter ? Et pourquoi, s’il vous plaît ?
— Il a assassiné cette nuit la comtesse Tania Abrasimoff qui selon toute probabilité était sa maîtresse. Et mieux vaudrait pour lui qu’il n’oppose pas de résistance.
— Il en serait bien incapable ! Selon toutes probabilités, pour employer votre expression, Morosini été enlevé cette nuit et peut-être est-il déjà mort !
— N’essayez pas d’inventer n’importe quoi pour protéger votre ami. Les preuves sont contre lui.
— Les preuves ? Vous me la baillez belle ! Et quelles preuves, s’il vous plaît ?
— Une lettre que l’on a trouvée dans la main de la morte et aussi deux témoignages. La bonne qui a vu s’enfuir l’assassin et la concierge qui l’a vu entrer vers trois heures du matin.
— C’est impossible ! fit Adalbert catégorique. La bonne ment. Quant à la concierge, si elle a vu quelqu’un entrer c’était moi, revêtu des habits d’Aldo. Et je n’étais pas seul !
— Qu’est-ce que vous me racontez là ? Une histoire de fous pour protéger votre ami ? Cela ne lui servira à rien.
— Faites-moi crédit de quelque intelligence s’il vous plaît ! Comme jusqu’à présent je vous en faisais crédit. Je viens de vous le dire, Morosini a disparu depuis la nuit dernière et donc vous ne le trouverez pas. En revanche, si vous vouliez bien prendre la peine de m’entendre, vous pourriez trouver matière à réflexion…
— D’accord ! Allons dans votre cabinet…
— Patron, fit l’un des deux inspecteurs qui resurgissait à cet instant, voulez-vous venir voir ?
Il conduisit le commissaire dans la chambre d’Aldo et lui montra le trou du carreau :
— Qu’est-ce que c’est, à votre avis ?
— Un trou fait avec un diamant, vous devriez le savoir !
— Oui, mais qui l’a fait et pourquoi ?
— Ça aussi je peux l’expliquer, émit doucement Adalbert. C’est l’œuvre d’un bien étrange cambrioleur qui s’est introduit ici non pas pour voler mais pour apporter quelque chose…
— Quoi ?
— Deux bracelets de rubis !
Il y eut un silence. Langlois considéra une minute cet homme échevelé qui puait le tabac dont le visage tiré parlait de nuit sans sommeil mais surtout d’angoisse. Avec un soupir, il ôta chapeau, son manteau et les jeta sur un coffre ancien.
— Venez me raconter votre histoire. Allez m’attendre en bas, vous autres !
Dans le cabinet de travail d’Adalbert l’air était irrespirable à cause de la fumée. Langlois se dirigea vers la haute fenêtre qu’il ouvrit en grand.
— Vous permettez ? Moi aussi je fume, mais pas à ce point-là !
Puis, se laissant tomber dans le fauteuil de cuir qu’il avait tant apprécié la veille au soir, il étendit devant lui ses longues jambes et soupira :
— Racontez !
— Voulez-vous boire quelque chose ?
— Non, merci. Ne vous y trompez pas, je suis toujours en service. À présent, parlez et tâchez d’être convaincant !
— Je vais surtout essayer d’être clair… en admettant que ce soit possible ! Mais commençons par l’épisode des bracelets…
Les phases du récit s’enchaînèrent sans hâte superflue mais aussi sans lenteurs. Adalbert, qui était à ses heures un excellent conférencier, savait raconter et là il s’appliqua à livrer une sorte de rapport dépouillé de tout artifice littéraire que le policier écouta de bout en bout sans ouvrir la bouche. Pourtant la référence à Martin Walker lui avait levé les sourcils et, quand ce fut fini, il déclara :
— Votre histoire est tellement invraisemblable que j’hésiterais à vous croire s’il n’y avait pas la présence du journaliste. Son témoignage va être capital. Même s’il ne m’aide guère à comprendre comment une femme que vous avez vue si profondément endormie a pu se retrouver la gorge tranchée une heure plus tard…
— C’est comme ça qu’on l’a tuée ? fit Adalbert avec une grimace de dégoût. Mais c’est horrible !
— Oui. Elle baignait dans son sang. Une vraie boucherie. Rien d’étonnant à ce que la Russe se soit évanouie en la découvrant…
— Où était le corps ?
— Sur la descente de lit, un lit complètement chamboulé d’ailleurs. La femme était nue et le médecin légiste dit qu’elle a été violée…
— Et vous osez accuser Morosini de cette monstruosité ? Mais c’est de la démence ! hurla Adalbert. Vous ne le connaissez pas et si c’est là votre opinion…
— Peut-être bien qu’il est fou. Qui peut se vanter de jamais connaître à fond même ses meilleurs amis ?
— Moi, et dès qu’il s’agit de lui je me sais infaillible ! De toute façon, je ne vois pas pourquoi je m’indigne ainsi car vous savez bien au fond de vous-même que ce n’est pas lui. Commencez donc par entendre Martin Walker. Il vous racontera notre expédition chez cette pauvre jeune femme… Mais vous avez parlé d’une lettre ?
— Oui. On l’a retrouvée serrée dans sa main. Aux termes de celle-ci – et des termes singulièrement passionnés – votre ami suppliait Tania Abrasimoff de ne pas mettre fin à leur liaison. Il se disait prêt à tout pour la garder. À divorcer, fuir avec elle, la couvrir de joyaux…
— … et comme elle l’a repoussé, il l’a massacrée après lui avoir fait subir les derniers outrages. Comme c’est vraisemblable ! Aldo adore sa femme…
— Mais celle-là était belle à damner un saint ! Et ce ne serait pas la première fois qu’un mari exemplaire « adorant sa femme », comme vous dites tomberait dans les filets d’une enchanteresse. D’ailleurs, si mes renseignements sont exacts, il s’agit d’un second mariage ? La première princesse Morosini serait morte intoxiquée par des champignons…
— Qui ont coûté la vie à la vieille cuisinière de la famille ainsi qu’à une cousine… Écoutez commissaire, j’ai le regret de constater que votre siège est fait et que vous tenez Aldo pour coupable envers et contre tout.
— Certainement pas. Mais comprenez que j’essaie d’en savoir plus. Votre ami est italien et comme tel nous sommes mal renseignés sur lui. Je n’ignore pas qu’il est une importante personnalité et croyez bien que je n’entends user d’acharnement en aucune façon. Pour l’instant, nous avons un cadavre, des témoins et une lettre accusatrice. En outre, votre ami a disparu. Enlevé, dites-vous ? Et si les choses s’étaient passées autrement ? S’il était revenu après votre passage ?
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