Après avoir remis à Aldo le sachet de peau qui les renfermait et les deux enveloppes contenant les bracelets, il y ajouta, sans dire un mot, un revolver peu encombrant, puis endossa le manteau d’alpaga noir, le chapeau et l’écharpe de son ami :
— J’aurais pourtant bien voulu aller avec toi ! fit-il en lui serrant la main. Fais attention, je t’en prie ! Ce type m’a l’air aussi dangereux qu’un serpent à sonnette !
— Tu peux être sûr que je ferai de mon mieux.
Caché à son tour derrière le rideau, Morosini épia la sortie d’Adalbert qui se dirigea vers le boulevard Malesherbes en s’efforçant de copier l’allure nonchalante du prince antiquaire. Il n’avait pas parcouru dix mètres que l’ombre se détachait de la porte cochère et se lançait silencieusement sur trace. Pensant que le chemin était libre à présent Aldo s’enveloppa de son vieux Burberry’s, coiffa une casquette de tweed et quitta l’appartement.
La rue Jouffroy était bien déserte maintenant. Enfonçant les mains dans ses poches, il partit dans la direction opposée à celle prise par Adalbert, c’est-à-dire vers la place des Ternes. Il lui restait environ une demi-heure pour arriver chez Tania. L’exigence formulée par Agalar de le voir arriver à pied le contrariait. Cela ne lui laissait pas le temps de faire quoi que ce soit : par exemple essayer d’appeler Karloff à son bistrot favori. En traversant l’Étoile il pensa un instant arrêter un taxi pour au moins se faire rapprocher, mais à cette heure avancée il n’en trouva pas et poursuivit son chemin à longues enjambées rapides. Paris, cette nuit, lui offrait un visage hostile, voire inquiétant…
Quand il entra dans la rue Greuze, sa montre bracelet consultée sous un réverbère lui apprit qu’il lui restait quatre minutes.
Plus lentement, alors, regardant autour de lui, il avança vers la maison de Tania en s’efforçant de ne pas penser à ceux qu’il aimait, car son sixième sens lui soufflait qu’il allait vers un danger réel, mais, au fond, livrer la grosse perle qui lui causait tant de soucis ne l’attristait pas. Bien au contraire, car même si ce n’était pas la manière qu’il eût choisie, il en serait malgré tout débarrassé et peut-être que le sort funeste qui semblait s’y attacher jouerait contre celui qui allait s’en emparer.
Il y avait de la lumière aux fenêtres et une grosse limousine était arrêtée à quelques mètres en avant de la porte. Un chauffeur se tenait sur le siège et Aldo pensa qu’il devait faire partie de la bande. Il n’en continua pas moins son chemin, passa près de la voiture. Une portière s’ouvrit devant lui si brusquement qu’elle le frappa de plein fouet. En même temps une main invisible lui assenait sur la nuque un coup violent qui le précipita à terre sans connaissance.
Un instant plus tard, deux hommes le jetaient sur le tapis de l’arrière, puis ils montèrent. La voiture démarra sans bruit et disparut sous les arbres de l’avenue Henri-Martin…
Les fenêtres de l’appartement de Tania étaient toujours éclairées…
Pour sa part, Adalbert avait eu plus de chance que son ami. En sortant de la rue Jouffroy, il avait trouvé un taxi en maraude et, sans se soucier du coup de sifflet à roulette qui avait fait surgir comme par magie deux « hirondelles(12) » pourvues de mollets bien musclés, il s’y était engouffré. Ils n’eurent d’ailleurs pas à forcer l’allure car, sûr de son bon droit, Adalbert n’essaya pas de les semer en se montrant pressé. Mais les rues étant vides on ne mit pas longtemps à atteindre le boulevard Poissonnière où, au coin de la rue du Faubourg du même nom s’élevait l’immeuble du Matin enduit d’une belle couleur rouge.
Comme il l’espérait, l’archéologue trouva Martin au travail : installé devant une machine à écrire haute comme un lutrin, environné des nuages de fumée que sa pipe crachait sans discontinuer, le journaliste concoctait l’un de ces articles à sensation dont il avait le secret. De temps en temps il s’arrêtait pour s’octroyer, au goulot, une rasade d’une canette de bière posée à côté de lui au milieu d’un fatras de papiers. Répartis dans la vaste salle de la rédaction comme des îlots éloignés, deux confrères étaient censés lui tenir compagnie, sauf que l’un dormait les pieds sur son bureau et que l’autre, l’œil extatique, faisait des vers…
L’arrivée tumultueuse d’Adalbert – car à peine débarqué il se rua dans le bâtiment après avoir ordonné à son taxi de l’attendre – lui arracha un regard courroucé :
— Je suis sur un papier important et je ne veux pas qu’on me dérange !
— Ce que je vous apporte est encore plus important. Alors laissez tomber et venez avec moi !
— Où ça ?
Lâchant le journaliste qu’il avait saisi par la manche, Adalbert planta un regard bleu fulgurant dans celui, tout aussi bleu mais ulcéré, de sa capture :
— Rencontrer Napoléon VI, ça vous intéresse toujours ?
Aussitôt les yeux de Walker retrouvèrent leur vivacité :
— Qu’est-ce qui vous fait croire que c’est possible ?
— Venez toujours ! J’ai une voiture en bas ; je vous expliquerai en chemin.
— Et on va où ?
— Près du Trocadéro ! Eh là, doucement !...
Le jeune homme avait jailli de son siège, pêcha une casquette sur une chaise et courait déjà vers la porte où il se retourna :
— Remuez-vous un peu ! fit-il sévèrement. Je croyais que vous étiez pressé !
Tandis que l’on roulait vers la rue Greuze, Adalbert, après avoir vérifié que son compagnon n’ignorait rien de ce qui s’était passé chez le maharadjah, lui raconta comment s’était déroulée la soirée avec Morosini, l’apparition des bracelets de rubis et finalement le coup de téléphone terrifié de Tania ainsi que ce qui s’en était suivi. Naturellement il fallut lui en dire un peu plus sur les relations d’Aldo avec la belle Circassienne.
— Il y tient à ce point-là, votre ami ? questionna le journaliste. Parce qu’il faut bien avouer que le piège se sent d’une lieue et qu’il court de gros risques.
— Si vous entendiez une femme hurler et vous supplier de l’aider, grogna Adalbert, vous raccrocheriez le téléphone pour aller tranquillement vous mettre au lit ?
— Non, admit Martin en riant, mais pour moi le danger serait moindre. Je ne suis qu’un petit reporter, pas un expert en joyaux historiques doublé d’un collectionneur, d’un prince et d’un type bougrement séduisant ! Autrement dit, de quoi vous attirer pas mal d’ennuis !...
— Ça fait beaucoup de doublures mais j’admets que vous avez raison.
— Ainsi, le Napoléon russe serait en fait un Espagnol ? Intéressant ! En tout cas une qui vient de l’échapper belle, c’est la petite Van Kippert ! Je suis persuadé qu’à peine mariée, il lui serait arrivé un accident quelconque… Ah, je crois que nous arrivons !
On arrivait, en effet. Le taxi vint se ranger devant l’immeuble de Tania. À l’exception des becs de gaz qui brûlaient encore à cette heure toujours noire qui précède le jour, tout était éteint, tout était silencieux.
— C’est bougrement calme ! remarqua Martin sans bouger de son siège.
— Qu’est-ce que vous croyez ? gronda Vidal-Pellicorne. Que lorsqu’on se livre à ce genre d’action, on ouvre les fenêtres, on illumine et on fait marcher un gramophone ?
— Non, vous avez raison. Allons-y !
— Et moi qu’est-ce que je fais ? demanda le chauffeur. Il faut encore que je vous attende ?
— J’aimerais mieux, répondit Adalbert.
— Mais moi j’aimerais mieux pas. Ma nuit est finie et je vais rentrer à Levallois-Perret ! Alors si ça vous fait rien, payez-moi !
Il fallut bien s’exécuter. Adalbert paya tandis que Martin se pendait à la sonnette et parlementait avec la concierge pour se faire ouvrir.
— Je suis médecin ! clama-t-il. Mme Abrasimoff, c’est bien ici ?
— Troisième étage droite ! lui répondit une voix ensommeillée. Tâchez moyen de crier moins fort et d’pas me réveiller toute la maison.
— On fera de son mieux.
Aucun bruit non plus derrière la porte aux cuivres rutilants de la belle Tania. Adalbert sonna, resonna, sonna encore sans éveiller le moindre écho.
— La fidèle servante n’en a peut-être pas encore fini avec la Pâque russe ? bougonna-t-il. Mais que personne ne réponde est inquiétant. Il faut savoir ce qu’il a pu advenir de la comtesse et de Morosini bien sûr !
Tout en parlant, il évaluait du regard la solidité de la porte. Comme celles des beaux quartiers en général, c’était de la belle qualité, difficile à enfoncer. Il n’eut pas le temps de se poser davantage de questions : Martin venait de tirer d’une de ses vastes poches un couteau à lames multiples et commençait à s’occuper de la serrure. Assez versé dans l’art d’ouvrir des portes qui ne lui appartenaient pas, Adalbert admira en connaisseur les gestes doux et précis du jeune homme. En peu d’instants celui-ci obtint le résultat désiré et ils pénétrèrent dans l’antichambre, trouvèrent un bouton électrique à main droite. La lumière se déversa de deux appliques de faux cristal placées de part et d’autre d’une grande glace qui dominait une étroite console en bois doré.
Les poings sur les hanches, Martin examinait les lieux :
— C’est drôlement calme pour un endroit où un drame vient de se dérouler ! remarqua-t-il.
— J’ai de plus l’impression qu’il n’y a personne fit Adalbert qui, la mine sombre, était en train d’entrer dans le salon.
L’éclairage révéla une bien banale réalité : pas la moindre trace de désordre. Même le vase d’iris posé sur un guéridon léger était en place et n’avait pas perdu une goutte d’eau. La pendule sur la cheminée égrenait imperturbablement des heures tranquilles.
— Ou bien votre bonhomme est un pur esprit, dit Martin qui le rejoignait, ou bien c’est la fée du logis. Étes-vous sûr qu’il s’est passé quelque chose ici ?
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