Elle donnait comme celles des autres chambres de l’immeuble déjà ancien sur un petit jardin intérieur dont le centre était un jet d’eau qui apportait en été une agréable fraîcheur. Et, comme l’appartement d’Adalbert était au premier étage sur entresol il n’était pas difficile de deviner par quel chemin on avait apporté le cadeau empoisonné : les architectes du baron Haussmann s’étaient parfois donné du mal pour ornementer à profusion ces constructions « modernes ». Cela offrait de vrais boulevards à un cambrioleur un peu agile ! L’instant suivant, Aldo déboulait chez Adalbert qui se disposait lui aussi à se coucher.
— Viens voir ! fit-il sobrement.
— Voir quoi ?
— Viens toujours !
Mis en face de la Fortune si somptueusement parée, Adalbert émit un « ah ! » consterné ; puis tirant de sa poche un crayon, il s’en servit pour ôter les bracelets sans y mettre les mains, alla jusqu’au qu’au secrétaire Empire qui était l’un des plus beaux meubles de la chambre, y prit deux enveloppes, glissa les bracelets dedans et colla les rabats du mieux qu’il put, puis exhala un soupir de satisfaction :
— Voilà !… Au fait, tu n’y avais pas touché ?
— Je ne suis pas fou.
— Dans ce cas il ne restera plus qu’à porter ceci dès demain, à notre ami Langlois qui n’aura qu’à les rendre à leur propriétaire, mais ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi on s’est donné la peine de te les apporter ?
— Justement pour accréditer un peu plus les soupçons dudit Langlois contre moi. J’ai mis du temps à lui avouer que je détenais la « Régente » Il supposera que je lui rapporte ces bracelets parce que j’ai pris peur après son passage. Je n’ai pas aimé ses dernières paroles ce soir…
— Peut-être, mais par pitié ne dramatise pas ! Encore un peu et tu vas me dire qu’il te prend pour Napoléon ?
— Va savoir !… J’en viens à me demander s’il n’aurait pas l’idée de me faire surveiller ?
Adalbert considéra un instant son ami sans rien dire, le sourcil soucieux. Puis, tournant les talons il rejoignit les pièces de façade où les lumières étaient éteintes, s’arrêta dans son cabinet de travail, sans rien allumer, et souleva l’un des rideaux en prenant bien soin de rester en retrait. La rue était vide, silencieuse. Pas une âme ! Pas même un chat sur la chaussée ou sur les trottoirs mouillés par une petite pluie en fin de journée. Mais Vidal-Pellicorne possédait cet œil d’archéologue capable de déceler dans un amas de décombres le fragment de bronze ou de poterie annonçant quelque chose de plus important. À regarder attentivement il devina une forme plus sombre dans le renfoncement d’une porte cochère presque en face de lui…
— Je crois que tu as raison, dit-il. Il y a là quelqu’un…
Pour s’en assurer, il ouvrit doucement la fenêtre puis la claqua violemment comme sous l’effet d’un coup de vent et au risque de faire tomber les vitres, mais le résultat fut intéressant : un mouvement involontaire permit de distinguer un peu mieux un homme emballé dans un imperméable et coiffé d’un chapeau mou au bord rabattu. Adalbert alors alluma son bureau et vint refermer ostensiblement la croisée du geste agacé de quelqu’un que l’on vient de déranger. À cet instant, le téléphone sonna…
Aldo qui était le plus proche de l’appareil décrocha. Aussitôt une voix de femme se fit entendre. Une voix affolée :
— Allô !… Allô ! Monsieur Morosini, s’il vous plaît ! Vite !
— C’est moi, voyons ! Qui est là ?…
Mais il le savait avant même qu’elle l’eût dit :
— C’est Tania ! Venez, je vous en supplie ! Venez vite !… Il va arriver dans un instant et j’ai peur. Oh, j’ai tellement peur !
— Que se passe-t-il ? Expliquez-moi !
— Je ne peux pas ! Je n’ai pas le temps ! Vous seul pouvez me sauver ! Il va arriver, vous dis-je ! Il vient de me l’annoncer au téléphone…
— Enfermez-vous bien et dites à votre Tamar de n’ouvrir à personne !
— Elle n’est pas là ! C’est la nuit de Pâques. Rien ne peut l’empêcher d’aller à l’église cette nuit là !
— Eh bien ! Quelle gardienne ! Écoutez…
Un véritable hurlement lui répondit et, presque aussitôt, un timbre masculin remplaça la voix terrifiée de Tania, un timbre dont l’accent léger désignait le propriétaire :
— J’espère, cher monsieur – et le ton était curieusement aimable –, que vous ne prenez pas au sérieux les braillements de cette jeune folle ! Je n’ai rien fait d’autre qu’entrer chez elle sans avoir pris la peine de sonner. C’était inutile puisque j’avais annoncé ma visite.
— On ne crie pas comme cela pour rien. Que lui avez-vous fait ? Je l’entends pleurer…
— Rien, je vous assure… sinon lui avoir un peu tordu le bras pour lui ôter le téléphone. Elle va on ne peut mieux, mais…
— Mais ?
— Mais il se pourrait que ça tourne mal pour elle si vous n’exécutez pas les ordres que je vais vous donner.
— Des ordres ? À moi ?
— Pourquoi pas ?… Évidemment, si le sort de cette pauvre sotte vous est indifférent, vous n’avez qu’à raccrocher et nous n’en parlerons plus ; mais si vous avez d’elle quelque souci vous viendrez nous rejoindre… sans oublier la perle de Napoléon. Elle est très importante pour moi…
— Un souvenir de famille peut-être ?
— Qui peut savoir ?… Alors je vous conseille de me l’apporter et le plus vite sera le mieux. Pour Tania, s’entend !
— Sinon ?
Aldo entendit au bout du fil un éclat de rire métallique incroyablement cruel qui lui fit froid dans le dos puis sa conclusion logique :
— Je la tuerai mais je peux vous assurer qu’elle mettra très longtemps à mourir… Voyez-vous, elle m’a trahi en s’acoquinant avec vous et cela mérite une punition…
— Elle ne vous a pas trahi. Nous sommes amis… et encore !
— Ce n’est pas beau de renier ainsi ses amours. Elle ne m’a rien laissé ignorer de vos… ébats ! J’avoue que vous avez des excuses. Elle est vraiment belle, n’est-ce pas, et moi je suis un artiste. De cette beauté je peux tirer quelque chose. Une œuvre toute différente. Il faut vous dire que j’ai fait jadis quelques études de chirurgie et que je manie le scalpel comme un maître. Elle le sait d’ailleurs. Écoutez !
Il dut déplacer l’appareil pour qu’Aldo ne perde rien du long gémissement que la menace arrachait à la malheureuse, mais elle n’articula aucune parole :
— Je l’ai bâillonnée, expliqua le marquis. Ses cris auraient pu alerter toute la maison. Aldo écoutez, mon cher ! Je vous donne… hum !… trois quarts d’heure pour arriver ici. Au-delà de ce délai je me mettrai au travail. Et, bien entendu, pas question de prévenir la police. Je ne suis pas un homme seul et si l’on s’aperçoit que vous êtes suivi je pourrais précipiter les choses. De toute façon on ne pourrait pas me prendre. Alors dépêchez-vous mon petit bonhomme, si vous voulez que votre belle amie soit encore… appétissante !… Ah, j’allais oublier ! Rapportez-moi donc les bracelets de rubis et l’émeraude d’Ivan le Terrible ! Il n’y aucune raison que je vous en fasse cadeau…
— Pourquoi les avoir mis chez moi alors ?
— Pour que vous sachiez qu’il n’y a pas un lieu où je ne puisse entrer et que, d’une manière où d’une autre, vous êtes dans ma main. Alors que décidez-vous ?
— Je viens !
Et il raccrocha le téléphone tandis qu’Adalbert reposait l’écouteur dont il s’était emparé.
— C’est un fou ! fit-il d’une voix blanche.
— J’ai surtout peur que ce soit un piège, dit Adalbert. Je ne te demande pas si tu vas y aller ?
— Je n’ai pas le choix. Tu hésiterais, toi ?
— Non. Va te préparer, je vais chercher cette damnée perle. Mais j’y pense : qu’allons-nous faire de l’ange gardien qui se trempe les pieds de l’autre côté de la rue ?
— Il y a une solution. Nous sommes à peu près la même taille. Tu vas mettre mes vêtements et sortir pour me débarrasser du policier.
— Et je l’emmène où ? Au quai des Orfèvres ?
— Non, fit Aldo traversé par une idée soudaine. Tu vas aller au Matin. Tu demanderas Martin Walker… et tu lui raconteras l’histoire. Je ne dois pas prévenir la police, mais un journaliste ça peut être aussi efficace qu’un policier et celui-là rêve de rencontrer le fameux Napoléon VI…
— Entendu ! Je vais chercher ta perle !
En matière de protection de ses trésors personnels, ceux qui ne demandaient guère de place comme les bijoux, Vidal-Pellicorne avait, depuis longtemps, fait preuve d’imagination. Dans son cabinet de travail, il avait fait installer un coffre-fort plutôt décevant pour un éventuel cambrioleur car il n’y aurait trouvé que des rouleaux de papyrus, des poteries et de menus objets mais aucun qui soit de matière précieuse. En revanche, le principal ornement de son fumoir était une statue d’Osiris sous l’aspect d’un pharaon du Moyen-Empire. Le dieu, en grès épais peint de couleurs ocrées, était représenté assis sur un socle de basalte, vêtu d’une tunique blanche sur laquelle se croisaient ses bras qui, comme le visage et les jambes, étaient noirs, avec d’énormes yeux bicolores. La couronne rouge de Basse-Égypte coiffait sa tête ornée de la barbe osirienne. C’était une œuvre assez impressionnante mais d’une authenticité douteuse. Elle pouvait donner le change à un regard insuffisamment exercé. Adalbert l’avait trouvée dans l’une de ces boutiques du Caire où s’entassent des copies cachant parfois un objet d’époque. Elle l’avait séduite par l’ingénieux mécanisme, à peu près invisible, qui permettait de l’ouvrir. Ainsi le dessus de la couronne, qui ressemblait à une toque de juge surmontée d’une sorte de gouvernail, pouvait se soulever, révélant à l’intérieur de la tête entière un espace appréciable où reposaient de menues statuettes d’or, des boucles d’oreilles, deux pectoraux d’or émaillé orné de turquoises, de cornalines et de lapis-lazuli. La « Régente » les avait rejoints ainsi que l’émeraude.
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