— J’espère que vous n’avez pas trop faim ? déclara-t-il gaiement quand le colonel Karloff ouvrit devant eux la portière de son taxi.
Le hasard avait voulu que Morosini tombe sur lui en rentrant chez Adalbert et il avait décidé de s’assurer de ses services en priorité, ce qui était possible en téléphonant dans certain bistrot de la place Clichy.
— Je vous emmène à l’Olympia, après quoi nous irons souper chez Maxim’s.
Si elle éprouva une déception, elle n’en montra rien.
— Qu’allons-nous voir à l’Olympia ?
— L’Argentina, voyons ! J’espère que vous aimez le flamenco ?
Elle se mit à rire :
— Vous pensez que je suis saturée de danses russes et qu’un changement de décor me fera du bien ? Ce n’est pas une mauvaise idée.
Son entrée dans la célèbre salle de spectacle ne passa pas inaperçue. Sur une robe de velours noir à manches longues montant jusqu’au cou mais laissant le dos pratiquement nu, elle portait une sorte de domino court, de même tissu, que fermait sous le menton un gros nœud de satin noir. Une broche de diamants et de perles éclairait la robe, assortie à une série de bracelets qui s’entrechoquaient à son poignet droit, sa main gauche ne portant que le diamant remarqué dans l’après-midi par Aldo.
« Elle est vraiment très belle, pensa-t-il en considérant un instant le fin profil penché sur le programme. Mais pourquoi si triste ? »
Il aurait juré, en effet, que les jolies lèvres si tendrement ourlées tremblaient un peu. Lui aurait-il fait de la peine en l’emmenant à ce spectacle ?
Le rideau se levait sur un décor de rue espagnole brûlée de soleil, où des passants allaient et venaient et où bientôt s’inscrivit la longue silhouette rouge et noire de la célèbre danseuse encore prolongée par la traîne aux volants multiples de sa robe sévillane. L’Argentina n’était pas vraiment belle avec ses grandes dents éclatantes où elle se plaisait à planter une rose rouge mais, quand se mirent à crépiter les castagnettes répondant au martèlement de talons qui entraînait le corps de la femme dans l’envol de sa jupe à multiples étages, Morosini oublia sa compagne pour se laisser emporter par le rythme de la danse. Cette femme avait le don de fasciner les foules et chacun des numéros de son programme soulevait des tonnerres d’applaudissements…
Quand les lumières de l’entracte se rallumèrent, force fut à Aldo redescendu de son nuage de constater que son invitée n’avait pas applaudi et même qu’elle avait l’air de s’ennuyer :
— Vous n’aimez pas ? demanda-t-il.
— Non, soupira-t-elle avec un haussement d’épaules lassé. Je ne comprendrai jamais pourquoi cette femme fait courir les foules. Elle est laide…
— Je vous l’accorde mais son immense talent le fait oublier !
— À condition d’aimer sa musique et moi je ne l’aime pas.
Aussitôt, Aldo fut debout, lui tendant la main pour l’aider à se lever :
— Partons ! Mais vous auriez dû me le dire plus tôt. Jamais je ne vous aurais amenée ici. Je pensais seulement vous faire plaisir, ajouta-t-il en manière d’excuses.
— Nous ne nous connaissons pas encore assez pour que vous sachiez mes goûts. Et puis j’ai très faim !
— Alors, allons souper !
— N’est-ce pas un peu tôt ?
— C’est sans importance. On ne nous jettera pas pour autant à la rue et notre table est retenue. Nous aurons un peu moins de monde, voilà tout !
— Personnellement je ne m’en plaindrai pas. J’aurais même préféré un petit bistrot dans un coin tranquille…
— Habillée comme vous l’êtes ? Votre coin tranquille se changerait vite en meeting. Mais si vous n’aimez pas Maxim’s nous pouvons aller ailleurs ?
Elle serra contre elle le bras de son compagnon auquel elle s’appuyait et sourit :
— Non, c’est très bien ! Ne faites pas attention : il y a des moments où je deviens un peu folle, je crois…
— Cela vous va si bien !…
C’est apparemment ce que pensa Albert, le célèbre et bedonnant, l’universel maître d’hôtel du fameux restaurant quand il les accueillit. Son regard, discrètement appréciateur, pétilla à la vue de la jeune femme et il salua Aldo en homme qui sait son monde, puis il les guida vers l’une des tables les plus en vue de la salle qui avec ses acajous sculptés, ses cuivres et ses sièges de cuir rouge était l’un des chefs-d’œuvre du modern style. Morosini chuchota :
— La comtesse préférerait un coin tranquille, Albert !
— Comme c’est dommage ! J’ajoute que les coins tranquilles sont rares ici.
Il les mena cependant à une table d’angle où Tania s’installa avec un soupir de satisfaction.
— Maintenant je boirais bien un peu de champagne ! soupira-t-elle en faisant glisser ses longs gants noirs qui montaient plus haut que le coude.
Pendant qu’Aldo établissait leur menu, elle caressait tour à tour ses bracelets et le diamant de son annulaire mais semblait à nouveau absente.
— Vous aimez vraiment les bijoux, n’est-ce pas ? fit Morosini qui l’observait depuis un instant.
— Je les adore ! Ils sont ce que la terre et les hommes font de plus beau !
— Vous êtes dure pour l’espèce humaine. Et si vous me parliez de ceux que vous recherchez ?
— Plus tard, s’il vous plaît. Il y a une question qui me brûle les lèvres depuis cet après-midi : cette perle que j’ai vue chez Félix, qu’en avez-vous fait ? Vous l’avez littéralement escamotée…
— Elle a regagné son coffre tout simplement.
— Vous l’aviez apportée à Félix pour qu’il l’achète ?
— Pas vraiment. Pour la lui montrer.
— À qui appartient-elle ? À vous ?
— Pas à moi, non. Quant au propriétaire, je ne suis pas autorisé à le nommer. C’est, vous le savez peut-être, l’une des lois de notre profession : le secret absolu sauf si l’on nous en délie, ce qui n’est pas le cas.
— Dommage ! Je n’ai fait que l’entrevoir et j’aurais aimé pouvoir la contempler à mon aise. Je ne pensais pas qu’en dehors de la Pérégrine il en existe une autre de cette taille. Elle a un nom ?
— Oui. La « Régente » !
— C’est joli…
Elle avait choisi des huîtres mais, avant de les attaquer, elle soulevait d’une petite fourchette délicate chacune de celles disposées dans son assiette.
— Vous cherchez les perles ? fit Morosini amusé.
— Un coup de chance est toujours possible. C’est arrivé à l’une de mes amies, un jour.
La salle se remplissait peu à peu d’hommes en habit ou en smoking et de femmes très parées, Tania se résignait à manger ses huîtres quand, soudain, elle se mit à tousser et son visage disparut dans sa serviette. En même temps, elle se levait :
— Excusez-moi ! fit-elle d’une voix étouffée. Je… je reviens !
Et elle disparut en direction des toilettes, si vite qu’Aldo eut juste le temps de se lever aussi comme le voulait le code des bonnes manières. Décidément cette soirée n’était pas une réussite ! Tout semblait marcher de travers à plaisir ! Abandonnant lui aussi son assiette, il alluma une cigarette et attendit…
Il attendit même un bon moment avec une nervosité croissante. Deux cigarettes se consumèrent sans que Tania reparût. Plus agacé qu’inquiet – il n’était pas possible qu’elle fût malade avec ce visage rayonnant de beauté ! –, il se disposait à aller voir ce qu’il en était quand Albert s’approcha pour lui dire que sa belle compagne le priait de l’excuser, que prise d’un malaise qui se prolongeait, elle choisissait de rentrer :
— Le chasseur lui a cherché un taxi et elle est partie.
Il n’avait pas besoin de chuchoter, le bruit de l’orchestre et des conversations les isolant suffisamment.
— Pourquoi ne pas m’avoir fait appeler si elle était souffrante à ce point ?
Albert toussota, visiblement gêné :
— En fait elle est partie depuis quelques minutes et ne s’est rendue aux lavabos que pour se laver les mains et laisser sa serviette à Madame Yvette. Elle semblait très pressée de s’en aller. Au point d’attendre son taxi sur le trottoir… Je vais faire changer les huîtres de Votre Excellence : elles vont être chaudes…
— Non. Enlevez seulement les siennes ! Je n’ai pas l’intention de lui courir après et je vais souper, parce que figurez-vous, Albert : j’ai faim !
— Si Votre Excellence le permet, je lui confierai que j’en suis enchanté, les visites de Votre Excellence sont trop rares. Je vais veiller personnellement à ce que ce repas soit… inoubliable.
— C’est gentil mais, Albert, connaissiez-vous déjà la comtesse ?
Cette fois le maître d’hôtel se pencha pour répondre à voix contenue :
— Son visage est de ceux que l’on oublie difficilement. Je crois qu’elle est venue deux fois, il y a de cela plusieurs mois et il me semble bien qu’elle était accompagnée d’un des invités de M. Van Kippert, le milliardaire américain qui est arrivé peu avant le malaise de madame la comtesse.
— Lequel ?
— Celui qui est en face de lui. Un noble espagnol, le marquis d’Agalar. Très riche lui aussi à ce que l’on dit…
— Eh bien, voilà de quoi me distraire ! Merci Albert ! J’essaierai de me faire moins rare… ajouta-t-il sans en penser un mot.
Tout en achevant son souper Aldo observa le groupe d’une dizaine de personnes qui entourait l’Américain : quelques très jolies femmes fort endiamantées dont Morosini attribua la provenance aux États-Unis et des hommes qui lui étaient inconnus. La plus jeune de ces femmes, une jeune fille sans doute, semblait la cavalière attitrée du marquis en question sur lequel il concentra son attention : très brun avec des yeux sombres d’oriental – le sang des anciens rois maures devait couler dans ses veines –, un profil acéré, une bouche dédaigneuse au sourire de loup. Aldo l’étiqueta aussitôt d’une brève formule :
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