Et il partit en claquant la porte, mais deux jours plus tard, Laura recevait de lui le billet suivant :
" Sur un avis discret qu'il a reçu, votre ami s'est trouvé malade. Il a été transféré à Bicêtre et j'espère, en venant demain, pouvoir contempler une image supportable ! "
Pourtant, Laura n'eut pas le temps de se réjouir du changement de régime qu'on allouait à son ami.
- Bicêtre? s'exclama Jaouen mis au courant. C'est l'hôpital le plus affreux qui soit : on y entasse les fiévreux, les ulcéreux, les victimes d'épidémies, les malades les plus atteints. Pitou va respirer un air pestilentiel, côtoyer les pires misères humaines et s'il n'est pas malade il le deviendra ! Jolie grâce qu'on lui accorde là !
- Moi qui étais si contente qu'il ne soit plus à la Force.
- Il est certain qu'il ne risque plus la guillotine, mais ce n'est pas beaucoup mieux...
Laura n'en fut pas moins obligée de remercier David, mais elle le fit du bout des lèvres et il repartit aussi mécontent que la fois précédente, n'ayant pas obtenu le moindre sourire.
Sourire, Laura se demandait si, un jour, elle y parviendrait encore. David ne devait pas avoir atteint le coin de la rue quand elle vit arriver Elle-viou. Un Elleviou comme elle ne l'avait jamais vu : ravagé par le chagrin, inondé de larmes et secoué de sanglots : la veille 1er avril à neuf heures du soir, les dames de Sainte-Amaranthe, le petit Louis âgé de seize ans et M. de Sartine, l'époux de la ravissante Emilie, avaient été appréhendés dans leur propriété de Sucy-en-Brie et ramenés à Paris.
- Comment avez-vous pu être averti si vite? demanda Laura.
Il lui tendit un billet tellement froissé qu'il était difficile à lire, mais expliqua :
- J'ai reçu ceci de M. Aucane qui est leur protecteur depuis de longues années. Il est très malade et c'est la raison pour laquelle on l'a laissé chez lui mais il a pu me faire tenir ce message avec les dernières paroles d'Emilie : " Dites à mon cher Elleviou que ma dernière pensée sera pour lui... " Mais pourquoi, mon Dieu, pourquoi? Ils ne gênaient personne. Leur maison était la plus paisible du village et tout le monde adorait Emilie! Je ne comprends pas...
Laura le regarda pleurer un moment, sachant combien les larmes pouvaient apporter de soulagement, mais elles semblaient inépuisables. Elle alla alors emplir un verre de l'eau-de-vie chère à Batz et lui en fit boire, puis demanda :
- Permettez-moi une question... indiscrète.
- Vous êtes mon amie. Il ne peut pas y avoir d'indiscrétion entre nous. Que voulez-vous savoir?
- Étiez-vous toujours l'amant d'Emilie ?
- Bien sûr ! Vous ne pouvez imaginer l'intensité de notre passion commune ! Je ne peux supporter l'idée d'être séparé d'elle.
- Et la Mafleuroy, dans tout cela ?
- Je faisais tous mes efforts pour lui donner le change. Vous connaissez sa jalousie...
Donner le change ? A une femme à ce point possessive et jalouse ? Il n'y avait qu'un homme pour imaginer que c'était possible... Cependant, la dernière question faisait son chemin dans l'esprit du pauvre amoureux :
- Pourquoi me parler d'elle? Vous n'imaginez pas?...
- Une dénonciation ? Je n'en sais rien en vérité, et vous la connaissez mieux que moi.
- Elle en est capable, je crois... Oh, si elle a fait ça!
Tétanisé d'horreur, Elleviou ne pleurait plus. Il se leva et, sans ajouter un mot, se dirigea vers la porte du pas mécanique d'un somnambule.
- Où allez-vous ? Restez encore un peu ! plaida Laura, mais il ne l'entendit même pas et sortit de la maison en laissant toutes les portes ouvertes derrière lui. Découragée, Laura renonça à lui courir après.
Ce même jour, 2 avril (13 germinal), Danton, Camille Desmoulins, leurs amis et ceux que l'on supposait liés à eux, comparaissaient devant le Tribunal révolutionnaire. Ils apparurent libres de tous fers et prirent place sur deux lignes de façon à être vus de tous. Il y avait là, outre les deux principaux accusés, Fabre d'Eglantine, Basire, Delaunay d'Angers, Lullier, Philippeaux, Hérault de Séchelles, l'abbé d'Espagnac, les frères Frey, un certain Guzman, un avocat à la cour du roi de Danemark nommé Deiderischen... et Chabot. Un Chabot malade, verdâtre, car, à la suite de sa signification à comparaître, il avait concocté une tentative de suicide qu'il croyait géniale : après avoir écrit une belle lettre, il avait avalé une bizarre potion en criant " Vive la République " puis s'était hâté d'agiter sa sonnette pour appeler le concierge et être secouru. Malheureusement, ce qu'il avait ingurgité était plus néfaste qu'il ne le croyait et il avait bel et bien failli mourir. Mais enfin, il était là !
Pour le plus grand bonheur de Lalie Briquet. Au premier rang du public, elle le dévorait des yeux, dégustant avec gourmandise les prémices d'une vengeance dont elle avait fait le but de son existence. Elle savait qu'elle ne serait pas déçue, qu'à l'issue du procès elle contemplerait enfin l'image qui hantait ses nuits sans sommeil : l'assassin de sa fille jeté dans la gueule de la guillotine par ceux-là mêmes qui lui avaient permis ses crimes ! Dans la poche de son tablier, il y avait un chapelet sous l'habituelle pelote de laine et, de temps en temps, elle le touchait pour que Dieu ne permette pas que Chabot échappe à l'échafaud. Il avait si mauvaise mine qu'on pouvait se demander s'il tiendrait jusque-là.
Ce procès qui porterait dans l'Histoire le nom de " procès des Indulgents " était en fait un déni de justice car on allait juger ces hommes, ces vrais républicains, non pour les crimes qu'ils avaient déjà commis mais pour ceux qu'ils ne voulaient plus commettre; leur grande faute était d'avoir poussé Hébert et les siens vers le bourreau parce que, à présent, ils se trouvaient eux-mêmes en première ligne face à la froide détermination de Robespierre et de Saint-Just [xxxix]. En fait, ces hommes croyaient profondément qu'il était temps d'en finir avec les tueries, de se réconcilier entre Français pour ramener la paix et la prospérité. Ils n'éprouvaient plus de haine pour leurs anciennes victimes, peut-être parce que les nantis c'étaient eux et qu'ils avaient envie d'en profiter. C'est de cela qu'ils allaient mourir : dans le domaine de Robespierre, il n'y avait plus de place pour eux. Et l'Incorruptible n'avait plus qu'à laisser agir son ami Fouquier-Tinville.
Celui-là s'entendait à merveille à faire place nette. Ses réquisitions avaient force de loi devant un tribunal et des jurés dont le seul rôle était de les approuver. Il n'hésitait pas d'ailleurs à ajouter des accusés en cours de procès. Ainsi, au lendemain de la première audience - les " débats " allaient durer trois jours -, on vit arriver le général Westermann. Le négociateur de Valmy, le bourreau des Vendéens dont les Colonnes infernales avaient ravagé et saigné le pays, se retrouvait avec les "Indulgents ". Le pauvre Lullier fut amené lui aussi. Il n'avait pas grand-chose à voir là-dedans mais il appartenait à la Commune, comme Hébert et son ancien métier de prêteur, son administration de biens d'émigrés lui sautait à présent à la figure. En fait, ce " montage " savant dirigé contre Danton entendait le couvrir de la même boue qu'un Chabot. Au bout des trois jours, la sentence de mort tombait pour tous, mais Lullier réussit à s'ouvrir les veines dans sa prison. Et le 5 avril au soir, ce fut la marche au supplice.
Deux charrettes pleines se dirigèrent vers la place de la Révolution au milieu d'une foule immense. Tous voulaient voir Danton, que le peuple aimait et dont la silhouette colossale, le masque léonin, l'attitude fière et dédaigneuse commandaient le respect. Il ne regardait personne, occupé seulement à calmer Camille Desmoulins qui hurlait son désespoir et se débattait si fort dans ses liens qu'il était à demi nu en arrivant à l'écha-faud. Chabot, lui, se tenait prostré, tête baissée et regard égaré, visiblement accablé par ce sort qu'il avait tant voulu éviter. Il tremblait de tout son corps.
Au moment où on le hissa sur la plate-forme, une femme réussit à repousser les soldats et les tricoteuses qui ne la reconnurent pas. Ce n'était plus, en effet, la citoyenne Lalie Briquet mais une autre. Toute vêtue de noir et selon sa condition de noble dame, une croix d'or au cou et un missel au bout de ses doigts gantés de mitaines en dentelle, elle apostropha le condamné :
- Regarde-moi, Chabot! Tu me reconnais, j'espère ? Je suis celle dont tu as violé et tué la fille ! Je suis la comtesse de Sainte-Alferine et je suis venue voir mourir le lâche assassin que tu es ! Sois maudit maintenant et à jamais !...
L'instant de surprise passé, les soldats s'emparèrent d'elle pour l'emmener, mais elle avait eu le temps de voir son ennemi hurlant sous le couperet et d'entendre le bruit sinistre qu'il faisait en tombant. Et c'est avec le sourire que " Lalie " se laissa emmener en prison... Danton mourut le dernier. Un instant, tout droit sur la plate-forme, il regarda le soleil couchant l'envelopper de sa lumière rouge puis, se tournant vers le bourreau, il dit :
- N'oublie pas de montrer ma tête au peuple!
Elle en vaut bien la peine ! Le cimetière de la Madeleine refusant du monde, ce fut dans le parc de Monceau, la " folie " du duc d'Orléans, que l'on ouvrit pour eux une nouvelle fosse commune.
Le 10 mai, le corps décapité de Madame Elisabeth, la sour de Louis XVI, y était jeté à son tour.
C'est de la bouche de David que Laura apprit cette nouvelle. Il venait chaque jour à présent, moins pour peindre que pour causer, s'installant peu à peu dans le rôle de l'ami fidèle. Il apportait les bruits de l'extérieur, des fleurs, parfois des fruits mais sans parvenir à vaincre la méfiance de son hôtesse. Méfiance qu'évidemment elle cachait de son mieux. En fait, si elle acceptait sa présence, c'était plus par lassitude que par crainte de ce qu'il pourrait faire si elle le rejetait.
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