Il passa sur son visage une main qui tremblait un peu, ferma les yeux un instant mais, quand il les rouvrit, il s'aperçut qu'Hébert le regardait avec un méchant sourire qui lui fit froid dans le dos. Ce qu'il ne vit pas, c'est la tricoteuse qui, au premier rang du public, le dévorait du regard. Pour la comtesse de Sainte-Alferine, alias Lalie Briquet, le supplice qu'endurait Chabot était un vrai régal. Et ce n'était qu'un début.
- Je vous jure qu'il va payer ! lui avait dit Batz. Et que d'autres vont payer avec lui !
La séance terminée, Chabot prit son ami Basire par le bras pour l'entraîner sur la terrasse.
- Tu as entendu ce qu'a demandé Philippeaux?
- Oui, mais je ne vois pas pourquoi je me tourmenterais. Je suis le plus pauvre de nous tous.
- Peut-être, mais ce n'est pas sûr. Je t'ai tout de même fait profiter un peu de mes bonnes fortunes. Si ça se sait, tu pourrais avoir des ennuis...
- Ce serait tout de même un peu fort ! Que proposes-tu ?
- De te calquer en tout sur moi. Je vais faire en sorte de nous mettre à l'abri. Tu n'auras qu'à m'emboîter le pas quand je te le dirai...
- Et il va aller où, ton pas ?
- Chez Robespierre ! Ce que je lui apprendrai lui prouvera que je suis un bon et vrai patriote.....
- On y va tout de suite ? fit l'autre avec une grimace.
- Non. J'irai seul. Toi, tu te contenteras d'écrire ce que je te dicterai. Pour l'instant, je rentre chez moi où j'ai des affaires à mettre en ordre.
Il avait surtout besoin de réfléchir dans le calme pour mettre au point la tactique soufflée par son cerveau enfiévré et qui tenait en quatre mots : trahir tout le monde !
Les visites matinales étant de plus en plus à la mode en ces temps troublés, ce fut au tout petit matin que Chabot, le 14 novembre, se rendit rue " Honoré " dans l'espoir de trouver Robespierre au saut du lit. Ce qui déjà n'était pas une bonne idée : très soucieux de son apparence, l'Incorruptible avait horreur de se montrer en robe de chambre. Il n'était donc pas de la meilleure humeur quand il se trouva en face d'un Chabot bafouillant presque du soulagement d'être reçu sans témoins et qui, tout à trac, lui déballa le récit, un peu incohérent, de la plus grande conspiration qui eût jamais été montée contre la République. Avec la hâte de qui se débarrasse d'un fardeau trop lourd, Chabot accusa tous ses nouveaux amis, les protagonistes du dîner de Charonne, Batz en tête, mais en y ajoutant son ennemi Hébert, Fabre d'Eglantine et quelques autres et en proposant de les réunir chez lui pour les faire tous arrêter en même temps. Robespierre, le visage glacé à son habitude, l'écouta sans mot dire jusqu'à ce qu'il ait besoin de reprendre son souffle.
- Comment as-tu appris tout cela?
- Je pensais que tu avais compris? J'ai feint d'entrer dans ces plans monstrueux afin de les mieux découvrir. Autrement, c'était impossible.
- Tu as des preuves ?
- Oui. Ça !
Et il prit sur une chaise le paquet qu'il y avait déposé en entrant : les cent mille livres en assignats destinées primitivement à Fabre.
- Voilà un paquet qu'on m'a remis pour que je tâchasse (sic) de déterminer un membre de la Montagne à se désister des oppositions qu'il avait apportées aux projets de la clique. Je n'ai pas voulu rejeter cette commission pour ne pas me mettre dans l'impossibilité de dévoiler le fond de la conspiration mais mon intention était d'aller de ce pas au Comité de sûreté générale et de dénoncer les traîtres [xxxii].
- Excellente idée, coupa Robespierre. Vas-y donc et fais diligence !
Chabot s'attendait à un tout autre accueil et il n'avait prononcé le nom du Comité que pour mieux accréditer ses dires, alors qu'il espérait que l'affaire resterait entre Robespierre et lui. Il se voyait si bien devenu le bras droit du seul homme capable de le protéger efficacement...
- Tu ne m'as pas laissé finir ma phrase. J'ai dit mon intention " était " mais, ayant préféré venir d'abord à toi, je pensais que tu prendrais en main toute l'affaire ?
- Si elle est aussi grave que tu le dis, elle regarde le pays tout entier. Le Comité est là pour le protéger. Vas-y donc et porte-lui ceci ! ajouta-t-il en désignant du doigt le paquet ouvert auquel il n'avait pas touché.
L'entretien était clos. Il fallut bien que Chabot replie son paquet et quitte la maison Duplay avec l'impression que le fardeau de tout à l'heure lui était revenu en plus lourd ! Il savait que plusieurs membres du Comité étaient des amis de Delaunay, d'Hébert... et aussi de Batz. Qu'allaient-ils faire de sa dénonciation?
Pas grand-chose apparemment. Quand Chabot se fut enfin débarrassé de ses assignats, il répéta son récit devant trois hommes qui lui parurent ressembler beaucoup aux juges des Enfers : Amar, Jagot et Voulland. Ils l'écoutèrent en effet sans conviction apparente, se contentant de lui ordonner de mettre tout cela par écrit.
Il fallut bien s'exécuter et, dans la nuit, il revint avec ses papiers auxquels il avait joint la dénonciation dictée à l'innocent Basire. On lui donna quittance de ce bel ouvrage et on le renvoya persuadé que les ordres d'arrestation allaient suivre. Afin d'être certain qu'Hébert, son plus dangereux accusateur, n'échapperait pas, il voulut même s'assurer qu'il était bien chez lui. Il y était, et rien n'annonçait aux alentours le moindre signe d'arrestation. Furieux, Chabot retourna au Comité, y trouva Jagot et laissa éclater sa colère :
- Si vous n'agissez pas, je dénoncerai le complot à la Convention nationale dès demain.
- Nous saurions te répondre, fit Jagot si froidement que Chabot y sentit une menace. Alors il baissa pavillon :
- Écoute-moi, voyons ! Je ne demande que vingt-quatre heures pour faire saisir les conspirateurs et leurs preuves !
- Cesse de t'en occuper! Tout cela regarde le Comité....
A l'aube du 17 novembre, Chabot était arraché à son nid douillet, aux bras de sa Poldine éplorée, et conduit à la prison du Luxembourg où le pauvre Basire le rejoignit dans la journée. D'autres ordres d'arrestation furent lancés mais comme par hasard aucun ne réussit à atteindre ceux qu'ils visaient. Sauf un seul...
- Delaunay a été pris, annonça Batz soucieux. Il était chez Louise Descoings où la police est allée tout droit, alors que le billet qui le prévenait attendait chez lui.
- Et les autres ? demanda Pitou.
- Tous partis! Benoist pour la Suisse. Depuis longtemps il avait pris ses précautions et tout était prêt. Julien, lui, n'était pas rue Saint-Georges chez Mme de Beaufort mais à Courtalain où il s'occupe de la manufacture de papiers. Par chance, sa femme arrivée de Toulouse il y a deux jours a dit qu'il était absent de Paris. Elle a dû le faire prévenir.
- Et les Frey ? Et Léopoldine ?
- Pas encore arrêtés mais cela ne saurait tarder. Si j'étais eux je prendrais le large, soupira le baron en tendant ses mains au feu de la cheminée et en les frottant doucement.
- Mais enfin, dit Laura, lui offrant une tasse de café, comment cela a-t-il pu se produire ? C'est une catastrophe, non?
- Pas tant que nos " complices " sont encore en place. J'admets que je ne croyais pas Chabot à ce point stupide et lâche : aller raconter tout ça à Robespierre en déclarant bien haut qu'il y est mêlé, c'est pour le moins inattendu. Peut-être Julien a-t-il été un peu trop vigoureux quand il lui a fait comprendre qu'il ne pouvait plus reculer mais devait marcher avec nous jusqu'où je voulais l'emmener. Juste un peu plus loin ! Cependant je pense que le mal est fait : la Convention est bel et bien gangrenée et c'est un mal irréversible...
- A moins de trancher la partie malade ?
- C'est ce que Robespierre ne manquera pas de faire, mais il va falloir qu'il taille très profondément et beaucoup de nos chers députés vont y passer, ajouta-t-il avec le froid sourire qu'il avait parfois et que Laura n'aimait pas.
- On n'a tout de même pas arrêté Hébert et Fabre ? reprit Pitou.
- Non, mais cela viendra. Quand les Frey seront arrêtés, par exemple ! Caroline Rémy, la maîtresse de Fabre, est l'amie de Léopoldine. Elle fréquente la rue d'Anjou et Fabre lui-même s'y rend de temps en temps. Robespierre saura tout cela, s'il ne le sait déjà. Quant à Hébert, il se contente d'être inquiet et cette inquiétude, nous allons l'utiliser à notre profit. Laura, ma chère, je vais prendre congé de vous pour quelque temps. Je dois faire un petit voyage en province.
- Celui dont vous m'aviez parlé? s'inquiéta Laura.
- Non. Les choses se précipitent et je n'ai malheureusement pas le temps. Je vais, plus simplement, en Normandie. De vaux viendra avec moi et je l'y laisserai peut-être.
- C'est grand, la Normandie, grogna Pitou avec un regard sur Laura. Ça touche même la Bretagne pas bien loin de Saint-Malo...
La jeune femme tressaillit et ouvrait déjà la bouche pour dire qu'elle voulait y aller aussi, mais Batz alla prendre sa main sur laquelle il mit un baiser.
- Soyez tranquille, j'ai, pour l'instant, d'autres chats à fouetter que courir sus au sieur Pontallec. Il aura son tour mais pour le moment je vais préparer les relais pour la fuite du Roi. Il ne peut plus être question de Jersey. Lecarpentier fait régner la terreur sur toutes les côtes qui pourraient servir de points d'embarquement. Louis XVII gagnera l'Angleterre...
- Par Boulogne ? compléta Pitou. Sur l'un de vos deux navires ?
- Laissez votre imagination tranquille, Pitou! C'est moi que Robespierre cherche en premier et vous pensez bien qu'il doit savoir ce qu'il en est de ma petite organisation. J'ai d'ailleurs rendu leur liberté à mes hommes en leur faisant cadeau des bateaux. C'est Swan qui se charge de la traversée de la Manche. On embarquera sur la côte au nord de Caen et moi je vais d'abord à Carrouges où l'enfant pourra prendre un peu de repos. C'est une vraie forteresse au bord de la grande forêt d'Ecouves et il y a des souterrains en cas d'alerte.
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