- Et si cela ne suffisait pas ? demanda-t-elle doucement. Deux précautions valent mieux qu'une et je me crois assez forte pour amener David à nous aider sans courir trop de risques.
- Jurez ! gronda-t-il. Jurez que vous n'y retournerez pas !
- Si je n'y vais pas au moins une fois, cela peut être imprudent. Si je déchaîne sa colère...
Cette fois il se retourna et elle vit son regard plein d'une sombre fureur :
- Êtes-vous folle ou faut-il tout vous dire? Le danger d'être violée par David n'est pas le seul que vous puissiez courir chez lui.
- Et quoi encore? fit-elle avec un haussement d'épaules en pensant qu'il la prenait vraiment pour une petite fille devant qui l'on peut agiter tous les épouvantails de la terre.
- Vous pourriez y rencontrer... votre époux.
- Mon... époux? Vous voulez dire... Pontallec?
- Je ne vous en connais pas d'autre, dit-il avec une grimace, conscient d'avoir enfin touché une corde sensible. Lui et David sont... sinon d'excellents amis, du moins de grandes relations d'affaires. Médusée, elle réussit tout de même à articuler :
- Mais... comment savez vous cela?
- Je vais vous le dire.
Et Batz raconta comment, à l'établissement thermal de Passy, il lui avait été donné de surprendre une conversation entre les deux hommes et les conclusions qu'il en avait tirées :
- Il m'est apparu qu'il valait mieux ne rien vous révéler. Si, pour s'emparer des affaires de celle qu'il a tuée, Pontallec est descendu - ou a fait semblant de descendre car il demeure certainement attaché au comte de Provence -jusqu'à s'acoquiner avec Lecarpentier, le bourreau du Cotentin, il est plus dangereux que jamais et je ne voulais pas que vous vous lanciez à l'assaut d'une forteresse dont le premier contact vous aurait brisée. Or telle que je vous connais, vous n'auriez rien voulu entendre. Surtout pas la voix de la raison !
Laura garda le silence un moment, s'efforçant d'assimiler ces extraordinaires révélations. C'était pire encore que ce qu'elle supposait : Pontallec la main dans la main avec des assassins, des terroristes ! Cela dépassait vraiment l'imagination.
- Quoi que vous en pensiez, murmura-t-elle enfin, je ne suis pas folle. Me jeter dans la gueule du loup n'est pas ce que je désire. Tout au moins pour le moment, ajouta-t-elle avec tristesse. Et puisque vous avez besoin de moi...
L'instant d'après elle était dans ses bras. Jean s'était saisi d'elle avec une violence qu'il ne mesurait pas mais qui traduisait trop bien le tumulte de son âme :
- Oui, j'ai besoin de vous ! Tellement plus que vous ne pouvez le supposer ! Pour mener à bien ma tâche, sans doute, mais aussi parce que je ne peux plus imaginer de ne plus vous sentir auprès de moi, de ne plus vous regarder, toucher votre main de mes lèvres ! Oh ! Laura, Laura ! Il y a si longtemps que je lutte contre cette passion que vous m'inspirez ! Depuis le jour, je crois, où je vous ai ramenée chez moi...
Il enfouit son visage contre le cou de la jeune femme que ses lèvres caressèrent. Éblouie, émerveillée par la soudaine réalisation de ce rêve qu'elle s'était efforcée d'étouffer, de cacher, elle se laissa aller contre lui, les yeux clos, uniquement consciente de cette caresse qui éveillait en elle une sensation à la fois terrible et délicieuse. Leurs lèvres s'unirent et le temps s'arrêta...
Ce fut un moment de griserie totale, d'oubli de tout ce qui existait autour du couple soudé qu'ils venaient de se reconnaître comme si, de tout temps, ils étaient destinés l'un à l'autre.
Ils étaient comme un arbre battu par une tempête dont ils ne voulaient s'apercevoir mais qui les poussait tout de même vers l'accomplissement absolu. Il faisait nuit, il était tard et autour d'eux la maison n'était que silence, attente de cet événement divin d'un amour qui s'éveille à la vie et va prendre son essor... Et Jean allait emporter Laura vers la chambre tiède, la douceur soyeuse du lit ou il allait la déposer pour la faire sienne, quand soudain un éclair de conscience transperça la jeune femme, lui arrachant un cri :
- Marie! Nous ne pouvons pas faire cela à Marie!
Aussitôt, il la lâcha si soudainement qu'elle manqua perdre l'équilibre et sans un mot alla s'asseoir au bord d'un canapé où il cacha sa figure dans ses mains. Laura put voir que ces mains tremblaient. Quand il releva la tête pour la regarder, il y avait des larmes dans ses yeux :
- Pourquoi ai-je laissé échapper mon secret? Je m'étais juré que vous ne sauriez jamais rien de cet amour et puis... je ne suis qu'un homme ! Il va falloir oublier... oublier que vous aussi vous m'aimez ! Cela va être beaucoup plus difficile...
- Ce sera peut-être plus facile pour vous que pour moi. Vous aimez Marie, quels que soient les sentiments que je vous inspire.
- C'est vrai. Je l'aime... aussi mais pas de la même façon : avec une infinie douceur, une infinie tendresse. Pas avec la violence que je ressens auprès de vous. Laura, croyez-moi... il n'y aura plus jamais dans ma vie d'autre femme que vous ! Et Laura alors s'entendit répondre avec autant de surprise que si une voix étrangère parlait en elle:
- Quelle part, dans tout cela, réservez-vous à votre fiancée ?
Un instant de silence, celui des grandes stupeurs, puis :
- Ma fiancée ? Je n'ai jamais eu de fiancée ! D'où la sortez-vous ?
- De la douleur de Marie qu'une jeune fille vêtue de noir est venue voir à Charonne, il y a peu... pour vous réclamer à elle. Une jeune fille qui a dit s'appeler Michèle Thilorier...
- Elle est allée à Charonne ? Elle a osé ? Mais de quel droit?
- De celui que vous lui avez donné sans doute ? De toute façon, ajouta Laura avec une rancune dont elle ne fut pas maîtresse, vous avez l'air de savoir très bien qui elle est ?
- Ce que je sais surtout, c'est ce qu'elle n'est pas ! gronda Batz, qu'une nouvelle colère envahissait. Jamais, je vous le jure, je n'ai demandé sa main à ses parents !
- Vraiment ? Alors pourquoi est-elle enceinte de vous?
- Par tous les diables de l'enfer, qu'est-ce encore que cette histoire de fous ? Michèle enceinte... et de moi ? Trouvez-moi quelque chose à boire, Laura ! Quelque chose de fort! J'en ai besoin...
Elle se rendit à la salle à manger, revint avec un flacon plein d'un liquide d'une belle couleur ambrée : l'eau-de-vie de raisin que les paysans faisaient en pays d'Armagnac et dont Jean lui avait donné une bouteille. Elle la lui tendit avec un petit verre qu'il emplit et avala d'un coup. Ce qui pour lui était une hérésie et donnait la mesure de son trouble. Ensuite il prit une profonde respiration et ordonna :
- Maintenant, dites-moi tout !
- C'est à vous, il me semble, de parler. Pourquoi cette demoiselle irait-elle inventer pareille chose si vous ne lui étiez rien ?
- Soit : Michèle Thilorier est fille d'un couple d'amis : lui, Jacques, était avocat au Parlement de Paris, elle, nettement plus jeune, d'une bonne famille de Bordeaux. Sa sour aînée a épousé le petit d'Epremesnil, fils d'un de mes amis. Je les voyais beaucoup avant les troubles, mais j'avoue les avoir un peu négligés tous ces temps... Dût ma modestie en souffrir, Michèle qui doit être un peu plus âgée que vous s'est amourachée de moi au point de me relancer, l'an passé, dans mon logis de la rue Mesnard qui est désormais sous scellés. Elle déteste Marie sans en savoir autre chose que le lien qui m'attache à elle.
- Au point de venir raconter n'importe quoi ?
- Je la crois prête à tout pour nous séparer. Je lui dois cependant une excuse : elle ne m'a pas vu depuis des mois, même lorsque son père est mort peu après le Roi. J'étais en Angleterre et, au retour, je ne suis pas allé les voir, elle et sa mère, qui est d'ailleurs une très jolie femme dont mon ami Jean-Jacques d'Epremesnil, le beau-père de sa fille aînée, est épris depuis longtemps. Un poète, Parny, a chanté sa beauté, et je ne vous cache pas que si j'avais dû m'éprendre d'une de ces trois femmes, c'eût été de Françoise Thilorier. Avant de rencontrer Marie j'en ai même été un peu amoureux. Voilà, vous savez tout !
- C'est vraiment tout ?
- Sur mon honneur ! Michèle a inventé cette histoire d'enfant à naître parce qu'elle veut que je l'épouse. Et moi, vous le savez, je ne me reconnais pas le droit de me marier... en admettant que je le veuille. Ce qui n'est pas le cas.
Il s'était levé, marchait à pas nerveux à travers le salon pour finalement s'arrêter devant Laura dans les yeux de laquelle il plongea son regard mais sans la toucher.
- Vous me croyez, au moins?
Bien sûr elle le croyait ! Son soulagement était si grand qu'elle aurait pu rire et chanter tant elle était heureuse de pouvoir lui rendre cette belle confiance que l'histoire de cette Michèle avait si cruellement entamée. Mais au fond des yeux noisette qu'elle aimait tant, il lui sembla apercevoir un autre visage, doux et désolé...
- Oui, dit-elle enfin, je vous crois, mais c'est Marie qu'il faudrait rassurer! J'ai la conviction qu'en refusant de fuir avec vous, en se laissant arrêter, elle s'est sacrifiée. Cette fille voulait le champ libre, ajouta-t-elle avec colère. Eh bien, elle le lui laisse... à elle et à son enfant!
- Vous avez raison. Il faut qu'elle sache la vérité ! Et vite ! Il faut lui rendre l'envie de se battre.
- Et d'abord la tirer de prison ! Qu'avez-vous fait pour cela pendant que... j'allais au Louvre?
Au regard noir qu'il lui lança, elle comprit que la plaisanterie n'était pas de mise.
- J'ai vu Lullier, un de mes amis. Il est procureur-syndic de la Commune. Il m'a promis de faire diligence.
Lullier tint sa promesse : deux jours plus tard, Marie quittait Sainte-Pélagie, à la condition de ne pas sortir de Paris. On lui assignait résidence dans son appartement de la rue Ménars où il serait plus facile de la surveiller : les chemins de Charonne ouvraient un peu trop largement sur la libre campagne...
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