La mise au secret de Marie ayant été décrétée par Maillard - sans qu'il en eût le pouvoir - la jeune femme fut jetée dans un cachot en sous-sol qu'une ouverture à ras de terre éclairait à peine. Il n'y avait rien là-dedans qu'une paillasse à moitié pourrie et une couverture en lambeaux. Ce n'était qu'une cave humide et froide où la malheureuse s'efforça de se réchauffer un peu en s'enroulant dans ladite couverture et en se pelotonnant sur le mauvais matelas. Pour toute nourriture, on ne lui donna qu'un morceau de pain dur et une cruche d'eau, elle ignorait encore que, pour être un peu mieux traitée, elle devrait payer le nouveau concierge qui avait pour devise une phrase lapidaire : " Ici on n'a rien pour rien ! " D'ailleurs, elle n'avait plus d'argent. Maillard s'était servi.
Le soir venu, pourtant, ledit concierge lui apporta un plat de haricots, un peu de vin et une vraie couverture : le résultat de l'argent déposé par Pitou. Et comme, en se retirant, l'homme ajoutait :
- On dirait qu't'as des amis qui te veulent du bien, citoyenne. S'ils peuvent te tirer du secret, tu s'ras pas trop à plaindre ! Surtout s'ils continuent à payer !
Le lendemain, à l'heure où Laura pénétrait au Louvre, c'était chose faite. Extraite de sa cave, Marie fut élevée au rang de prisonnière normale. C'est-à-dire qu'on la transféra dans une cellule du rez-de-chaussée, à peine moins humide et pas beaucoup plus confortable. A Sainte-Pélagie, en effet " le corps de logis destiné aux femmes est divisé en longs couloirs fort étroits de l'un des côtés desquels sont de petites cellules [xxiii]... " On y trouvait une petite fenêtre garnie de gros barreaux de fer, une paillasse aplatie, un matelas, une couverture et, selon l'argent dont on disposait, une table, une chaise et divers ustensiles. La grande différence c'était le fait que, chaque matin, le gardien faisait jouer les gros verrous et ouvrait toutes les portes, les prisonnières ayant le loisir de sortir dans les couloirs, de s'asseoir sur les escaliers, dans la petite cour ou dans une salle répugnante où le ménage n'était jamais fait.
A peine Marie eut-elle le temps de " s'installer " qu'elle se retrouvait au centre d'une véritable volière composée de femmes de tous âges mais dont une bonne partie appartenait à la Comédie-Française du faubourg Saint-Germain. Elle fut tout de suite reconnue :
- Mais c'est la Grandmaison ! s'écria une grande et belle femme blonde qui était la fameuse Raucourt. Que venez-vous faire ici? Il y a des lustres que Paris ne vous a vue ?
- Je vivais à la campagne, dit Marie en tendant la main à la tragédienne. C'est pourtant là qu'on est venu me chercher.
- Sous quel prétexte?
- On veut obtenir de moi que je livre un homme.
- Un homme? Mais que je suis donc sotte! s'écria Françoise Raucourt en frappant un front qui avait porté tous les diadèmes antiques. Le baron de Batz, bien sûr ! Celui qui vous a enlevée à vos admirateurs ! Un fameux gaillard ! Il court sur lui toutes sortes de légendes. Un vrai chevalier égaré chez les fous !
De la part de Raucourt ce n'était pas un mince compliment car, si les amants " utiles " ne lui avaient jamais manqué, tout le monde savait que ses goûts l'attiraient plutôt vers ses jolies compagnes, ce qui ne l'empêchait nullement d'être femme jusqu'au bout des ongles, gardant au fond de cette prison une élégance et une bonne humeur incroyables. Elle fit faire à Marie le tour de la société, présentant celles que la nouvelle venue ne connaissait pas. Il y avait là en effet tout le " gratin " en jupons de la maison de Molière : Mmes La Chassaigne, Suin, Contât, Thénard, Joly, Devienne, Petit, Fleury, Mézeray, Montgautier, Ribou et Lange. Marie fut reçue en amie, même par les autres prisonnières n'appartenant pas au théâtre comme Mmes de Gouy, de Créqui-Montmorency, Mlle de Montcrif et les épouses de Brissot et Pétion - l'ancien maire de Paris -, deux des Girondins incarcérés au Luxembourg. Seule Mme Roland manquait à l'appel : elle ne quittait guère sa cellule où elle écrivait la plupart du temps.
- Vous ne serez pas si malheureuse ici, expliqua Raucourt. Toutes ces dames sont charmantes et quand nous sommes arrivées, au matin du 4 septembre, elles nous ont applaudies comme si nous entrions au théâtre. En échange, nous leur avons fait une belle révérence-Marie, cependant, remarquait une femme qui se tenait à l'écart, écrivant sur ses genoux dans un cahier et relevant de temps en temps la tête, les yeux au ciel, dans l'attitude de quelqu'un qui cherche à se rappeler quelque chose. D'une blondeur à peine marquée de blanc, elle pouvait avoir une quarantaine d'années. Cependant, sa beauté demeurait remarquable.
- Mais..., souffla Marie. C'est la Du Barry?
- Oui. Elle a été arrêtée récemment, à son retour de Londres où elle était partie à la recherche des joyaux volés dans son pavillon de Louveciennes. Telle que vous la voyez là, elle prépare sa défense au cas où elle serait traduite devant le Tribunal révolutionnaire. Marie ouvrit de grands yeux :
- Au cas où ? Ne sait-elle pas que c'est une quasi-certitude ?
- Si, mais elle ne croit pas qu'on puisse lui vouloir du mal. D'abord, elle n'est pas émigrée puisqu'elle est rentrée. En outre, elle pense qu'elle pourra toujours acheter son acquittement avec la fortune qui lui reste. Voulez-vous que je vous présente ? Nous sommes très amies, vous savez ? C'est à elle et au roi Louis XV que je dois mes premiers engagements... Et puis elle est vraiment charmante. Elle nourrit celles d'entre nous qui sont démunies.
- Avec plaisir, mais ce sera pure curiosité. J'ai, moi aussi, quelques moyens de survivre.
- De toute façon, on vous y aiderait. Nous formons une sorte de communauté, ici. C'est, ajouta la Raucourt avec une soudaine angoisse qui fit fléchir sa célèbre voix, la seule façon de faire face à la peur d'un lendemain dont nous nous efforçons d'oublier l'horreur
Troisième partie
L'IMMOLATION
CHAPITRE XI
CHABOT, LE CAPITULE ET LA ROCHE TARPÉIENNE
- David? Vous êtes allée voir David?
La colère qui vibrait dans la voix de Batz n'annonçait rien de bon. Le seul nom du peintre la déchaînait et Laura en éprouva un choc : c'était la première fois que Jean s'emportait contre elle. Elle n'en fit pas moins face avec détermination :
- Et pourquoi pas, s'il vous plaît ? Entre artistes on se doit de s'aider et cet homme peut faire libérer Marie. Talma m'a dit...
- Ce que peut dire Talma n'a aucune importance. Le malheureux a déjà suffisamment à faire entre ses amis girondins menacés de mort et l'accusation qui lui est faite d'avoir dénoncé ses anciens camarades de la Comédie-Française.
- Je suis certaine qu'il n'en a rien fait !
- Je le crois aussi mais, à moins de tâter lui-même de la prison, il aura du mal à s'en laver. Alors, comme il ne savait comment se débarrasser de vous, il vous a envoyée à son bon ami David?
- Vous n'y êtes pas du tout ! C'est moi qui lui ai demandé d'intervenir auprès de David. Lui et Julie m'ont alors répondu que je réussirais mieux si je m'en occupais moi-même.
- Et que vous a dit le maître? fit Batz avec un sourire féroce.
- Qu'il y apporterait ses soins si je lui permettais de faire mon portrait. Il a d'ailleurs jeté quelques traits sur des feuilles de papier.
- Votre portrait! Vraiment? Et, bien entendu, il viendra vous peindre ici, dans votre cadre ?
- Non. Ses toiles sont grandes en général. J'ai vu le portrait inachevé de Mme Chalgrin. Admirable quoique un peu grand. Je dois aller chez lui, mais je n'irai que lorsque Marie sera libérée !
- Vous êtes vraiment d'une innocence ! fulmina Batz. Je vais vous expliquer, moi, comment cela va se passer : il vous fera venir encore et encore en vous distillant l'espérance. Vous dites qu'il a fait le portrait de Mme Chalgrin ? Je ne sais comment il a pu obtenir cela d'elle, car je peux vous assurer qu'il lui inspire une peur affreuse. Sans doute en marchandant je ne sais quelle grâce! Mais elle ne l'aura, cette grâce, que lorsqu'elle aura accepté de devenir sa maîtresse. Et il vous en pend tout autant au nez, miss Adams !
Laura pâlit. Elle se souvenait trop bien de la scène violente dont elle avait été le témoin en arrivant au Louvre : Emilie Chalgrin s'échappant de l'atelier à demi dévêtue, poursuivie par les injures et les menaces d'un homme qui ressemblait davantage à un satyre qu'à un génie du pinceau.
- Il n'osera pas. Il me croit une étrangère plus ou moins protégée par le gouvernement actuel. En outre, si Marie n'est pas libérée quand j'y retournerai, je lui dirai que je ne reviendrai plus. Je refuse l'idée que Marie reste longtemps en prison.
- Alors il vous mettra le marché en main : ou vous couchez avec lui, ou il abandonne Marie à son sort!
- Eh bien, s'il faut en arriver là, je coucherai avec lui...
La gifle lui coupa le souffle. Les yeux soudain emplis de larmes, elle considéra avec stupeur le visage convulsé de fureur qui lui faisait face et porta d'un geste machinal sa main à sa joue endolorie. Alors il lui tourna le dos :
- Pardonnez-moi ! Vous imaginer dans les bras de cet homme m'est insupportable! Je vous défends d'y retourner, vous m'entendez? Je vous l'interdis ! Je... je n'ai pas besoin de vous pour sortir Marie de prison. J'ai déjà pris des dispositions.
- Je n'en doute pas, murmura-t-elle confuse, mais... êtes-vous certain qu'elles seront efficaces?
- Je le crois... Je l'espère de tout mon cour!
Elle se rapprocha de lui qui ne la regardait toujours pas, posa une main timide sur une épaule solide mais qu'elle sentit pourtant frémir.
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