Aussitôt Marie-Rosé prit une chandelle d'une main et poussa Pitou vers l'escalier, pressée par Cortey qui, avant d'aller faire face aux assaillants, murmura très vite :
- Tu as entendu ? Ils cherchent Batz. Va le prévenir si tu sais où il est.
- Je crois, oui.
En le quittant la veille chez Corazza, le baron lui avait dit son intention d'aller passer un ou deux jours près de Marie " pour se laver l'esprit et les yeux " après son entrevue avec le massacreur. Cependant, Pitou ne voulait pas s'éloigner sans avoir vu comment se terminerait l'incompréhensible visite domiciliaire. Une fois dehors, il fila vers l'ancien couvent abandonné, prit la rue Vivienne, la rue Colbert où il s'arrêta un instant près de la fontaine pour se rafraîchir la figure et chasser les fumées du vosne-romanée et du malvoisie de Cortey, puis revint par la rue de la Loi où il se dissimula dans une porte cochère d'où il voyait parfaitement ce qui se passait chez Cortey.
De toute évidence, on fouillait la maison de fond en comble, sous l'oil goguenard de l'épicier que Pitou pouvait apercevoir par la fenêtre, les bras croisés et la pipe au coin de la bouche, suivant les efforts des envahisseurs pour découvrir ce qu'ils ne pouvaient trouver. Le tout orchestré par les braillements de Marie-Rosé qui, criant au voleur, faisait un assez joli vacarme qui fit ouvrir bien des volets et attira du monde dans la rue. Ce qui permit à Pitou de se rapprocher. Prenant le quartier à témoin d'un pareil scandale, Marie-Rosé descendit rejoindre deux voisines à qui elle racontait avec indignation comment les gens de la section l'avaient empêchée de finir son dessert : " Un blanc-manger comme autrefois et que j'avais réussi à confectionner pour le " petit " et moi, rugissait-elle. Et venir me mettre mon ménage cul-pardessus tête que je vais en avoir pour au moins huit jours à tout remettre en ordre? Sans compter la casse? Et tout ça pour rien?... "
C'était l'évidence même. Les hommes de Vergne et de Lafosse qui avaient sorti de leurs lits tous les clients de l'hôtel de Calais, retourné leurs matelas et fouillé le moindre placard, étaient bredouilles. Sans se soucier de la poignée de curieux, les deux chefs tinrent conseil au milieu de la rue. Quatre hommes furent détachés pour conduire Cortey à la section aux fins d'interrogatoire, mais on renonça à emmener Marie-Rosé autour de laquelle de vigoureuses commères formaient un rempart inquiétant.
- De toute façon, grogna Vergne, on n'en a rien à faire ! C'est Bac qu'on veut, pas une mégère en furie !
- Il est pas là, dit l'autre. Alors on fait quoi ?
- On va être obligés d'marcher un peu. Le citoyen Maillard a parlé de la maison de campagne de sa bonne amie, la comédienne Grandmaison.
- A la campagne? gémit quelqu'un qui devait avoir mal aux pieds. Mais laquelle ?
- Charonne... C'est pas si loin.
- Ah, tu trouves? Et tu sais quelle heure il est?
- Y pas d'heure pour les braves ! Et puis ça suffit Lognon ! Ou tu marches ou j'te signale à la section... des fois qu'tu serais complice?
La menace était claire. Le nommé Lognon se le tint pour dit et tenta d'oublier ses pieds douloureux, mais déjà Pitou n'écoutait plus. Il avait regagné la rue Colbert où les hauts murs de la Bibliothèque du Roi entretenaient une obscurité propice. De là il s'élança vers la place des Victoires et s'enfonça dans le dédale des rues du Marais qu'en bon journaliste parisien il connaissait comme sa poche, pour rejoindre le désert mal éclairé où s'était élevée la Bastille et l'interminable rue de Charonne. Il fallait à tout prix qu'il arrive chez Marie avant les lourdauds qui s'apprêtaient à l'envahir, mais l'avantage était pour lui : il était jeune, alerte et ce n'était pas la première fois, à beaucoup près, qu'il effectuait le trajet.
L'inquiétude et l'amitié lui donnèrent des ailes et, une heure et demie après, il atteignait le porche couvert d'un auvent qui fermait le domaine de Marie. Tout était calme. Il n'y avait de lumière nulle part. Il actionna la cloche suivant le code prévu mais dut s'y reprendre à trois fois avant que la voix de Biret-Tissot se fît entendre :
- Qui va là ?
- Moi, Pitou! Ouvre... et vite!
Clés et verrous claquèrent, mais le vantail s'entrouvrit sans un grincement. Pitou se faufila à l'intérieur :
- Il est là?
- Le baron? Bien sûr! Il dort mais pas depuis longtemps... on a eu un petit souper avec deux amis qui dorment ici.
- Il faut les réveiller. Un détachement de la section Le Pelletier vient fouiller la maison. Je me charge de Batz.
Il le trouva en haut de l'escalier, drapé dans une robe de chambre. L'ombre blanche de Marie apparut aussitôt derrière lui et s'appuya à son épaule. En quelques mots, Ange Pitou raconta ce dont il venait d'être témoin.
- Vous devez ça à votre nouvel ami Maillard! cracha-t-il avec dégoût. Vous devez tous fuir... et vite!
- Non, dit Marie en venant se placer devant son amant. Lui doit fuir, mais moi je n'ai aucune raison. Bien au contraire! On vient fouiller ma maison? Eh bien, j'accueillerai moi-même les visiteurs...
- Marie, tu es folle ! protesta Batz en l'entourant de ses bras. Tu n'imagines pas que je vais te laisser faire ça?
- Eh quoi, reprocha-t-elle avec un sourire, vous me tutoyez en présence d'un tiers ? Vous n'avez pas le choix. Moi, je n'ai rien à craindre : mes papiers sont en règle et j'ai une carte de civisme en bonne et due forme. Ce qu'il faut, c'est que vous enleviez d'ici toute trace de votre passage : vêtements, papiers, tout ce qui peut être compromettant. Ensuite nous allons tous nous recoucher, ajouta-t-elle à l'adresse des " invités " qui accouraient. C'étaient La Guiche, Sartiges et un vieux comédien nommé Marignan que Marie aimait bien et qu'elle hébergeait depuis quelques jours.
- Vous voulez qu'ils soient arrêtés? s'indigna Batz.
Ce fut le marquis de La Guiche qui lui répondit :
- Marie a raison. On n'a pas le temps de remettre toute la maison en état comme s'il n'y avait eu personne. Sartiges et moi, le " citoyen Sévignon ", avons de faux noms, de faux papiers très bien faits. Dépêche-toi de vider les lieux, mon cher Batz. Nous, nous regagnons nos lits après quoi, on éteint tout... et on attend. J'espère tenir convenablement mon rôle, ajouta-t-il en souriant.
Les domestiques étaient là eux aussi, tous animés du même courage. Le regard de Batz passa sur ce cercle de visages déterminés et d'yeux brillants.
- Pressons! fit Pitou. Ils ne vont plus tarder maintenant ! Hâtez-vous de regagner vos chambres et d'éteindre. Je vais aider notre ami à déménager. Je me charge des vêtements, lui va prendre les documents qui ne doivent pas tomber aux mains de l'ennemi.
Mais Batz ne l'écoutait pas. Il s'était rapproché de Marie et l'étreignait :
- Viens avec moi, mon cour ! Je ne supporte pas l'idée de te laisser courir ce risque insensé. Je veux rester près de toi...
- Et moi je ne le veux pas ! Songez à... tous ceux qui ont besoin de vous ! En outre, je n'ai pas grand-chose à craindre.
Elle s'échappa de ses bras et remonta l'escalier suivie de Pitou qui allait fourrer dans un sac les vêtements de Batz - peu nombreux, car il en laissait toujours dans ses diverses résidences. Pendant ce temps, Jean enlevait de son cabinet de travail l'argent et les plus importants de ses documents. De cela non plus il n'y avait guère, car il savait qu'aucune maison en France n'était plus à l'abri d'une perquisition. Depuis longtemps il avait transporté le principal dans la cave secrète où était la presse à imprimer les assignats et dont il était certain qu'elle ne serait pas découverte.
La maison était redevenue obscure quand les deux hommes traversèrent le jardin en courant pour franchir le mur qui l'isolait du parc du château de Bagnolet, ancienne résidence du duc d'Orléans. Un parc abandonné qui retournait lentement à l'état sauvage et dans lequel Batz et Pitou se fondirent.
Pendant ce temps, Vergne, Lafosse et leurs hommes, un peu fatigués tout de même, étaient arrivés au village de Charonne où ils commencèrent par aller réveiller le maire, Jean Piprel, et le chef du poste de garde nationale de l'endroit afin de s'assurer une légalité absolue pour investir la demeure d'un dangereux conspirateur. L'officier municipal connaissait bien Marie Grandmaison et commença par envoyer promener les perturbateurs de sa nuit, mais ceux-ci se disaient envoyés par le Comité de sûreté générale et il n'était pas question de badiner avec ces gens-là. Il se laissa donc convaincre, fit chercher Jean Panier qui commandait la garde nationale, et tout ce monde s'en alla tirer la cloche de la citoyenne Grand-maison.
Marie joua son rôle en grande artiste. Quand les envahisseurs eurent pénétré dans la cour, elle parut au seuil, les bras croisés sur son déshabillé de batiste et de dentelle blanche orné de rubans de satin bleu pâle. Elle jouait à merveille la femme réveillée en sursaut, mais elle était si belle et si gracieuse que Vergne et Lafosse la saluèrent machinalement :
- Ce n'est pas à toi qu'on en veut, citoyenne Grandmaison. On cherche le baron de Batz - entretemps le maire avait rectifié la consonance du nom. On sait qu'il est ton amant...
- Peut-être, mais il n'est pas ici...
- Tu es seule dans cette maison?
- Avec mes " officieux [xx]" que vous pouvez voir et quelques amis qui se sont attardés et que j'ai gardés à souper... et que voici, ajouta-t-elle en désignant les trois hommes qui sortaient du pavillon.
- Et Batz n'est pas là?
- Je ne l'ai pas vu depuis au moins quinze jours.
- C'est ce qu'on va voir! Allez, vous autres! Fouillez-moi cette maison... ces deux maisons. Pendant ce temps-là on va vous interroger toi, tes " amis " et tes " officieux ".
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