Ils trouvèrent la Reine en compagnie de la femme Harel qui lui donnait quelques soins. La santé de la prisonnière minée par de continuelles hémorragies, les épreuves subies, le manque d'air et la réclusion, se détériorait de façon inquiétante. Quand les deux hommes entrèrent, elle était étendu sur sa couchette, une couverture posée sur ses jambes. A la vue de Rougeville ses mains se mirent à trembler, mais elle les cacha sous la couverture d'un geste naturel comme pour les réchauffer.
La femme Harel ne paraissant pas décidée à quitter la place, Michonis l'entreprit afin de permettre à Rougeville de remettre l'argent. Le sujet de conversation était aisé à trouver : la santé de la prisonnière puisqu'on la trouvait étendue. Afin de pouvoir parler plus discrètement, Michonis entraîna la femme près de la fenêtre, son large dos faisant écran.
- On dirait que la veuve Capet décline? Tu ne trouves pas, citoyenne ?
- Bah, fit celle-ci avec un mauvais sourire, elle tiendra bien jusqu'à l'échafaud. C'est de la mauvaise graine : ça fait des manières mais c'est solide !
- Faut l'espérer, fit Michonis avec un gros rire. Ça serait trop triste qu'elle passe ici.
- On veillera à ce qu'elle tienne jusque-là, ricana-t-elle en écho.
Pendant ce temps, Rougeville se penchait sur le lit comme s'il voulait examiner la figure de la Reine et chuchotait tout en glissant doucement l'argent sous la couverture :
- Ce sera pour lundi soir. Mais aurez-vous la force ?
- Je l'aurai...
- Vos gardiens?
- Sont gagnés. Rosalie aussi...
- Et... cette femme ? dit-il en désignant du menton la femme Harel.
- Non. Elle ne m'aime pas et ne cesse de nie questionner...
- Alors, n'en parlons pas.
Le samedi et le dimanche parurent interminables à Rougeville, qui avait rejoint son amie Sophie Dutilleul mais, pour Marie-Antoinette, la plus dure fut la journée du lundi 2 septembre et ce fut dans la prière qu'elle trouva le meilleur refuge.
Les murs cependant épais de la vieille prison ne défendaient pas vraiment contre la chaleur qui, tout le jour, avait été pesante. L'air stagnait dans la cour des Femmes, difficile à respirer. Quand le soir tomba, la cloche du préau sonna pour ordonner aux détenues de regagner leurs cachots respectifs. Seule, en effet, la Reine était gardée au secret et quand elles passaient devant sa fenêtre les autres prisonnières élevaient toujours la voix afin de l'informer un peu de ce qui se passait dans la prison ou dans la ville.
Lorsque la grande horloge du quai sonna onze heures, les bruits de la Conciergerie s'éteignirent. Il y eut cependant le roulement d'une voiture, attelée de plusieurs chevaux puis des claquements de portes. Des pas se firent entendre dans le couloir et une lumière apparut au guichet tandis que le cour de Marie-Antoinette manquait un battement. La Reine qui était restée dans son fauteuil se tourna vers la porte que franchissaient quatre hommes : Michonis, Rougeville, Gilbert et Dufresne.
- Pas encore couchée, citoyenne ? dit l'administrateur. C'est tant mieux car nous venons te chercher.
- Où m'emmenez-vous ?
- Au Temple. La Commune a décidé que tu y serais ramenée dans l'intérêt de ta sécurité. Je dois t'escorter...
- Je vais donc revoir mes enfants ?
- Je n'ai pas d'ordres à ce sujet, fit Michonis le visage fermé. Prépare-toi !
- Je suis prête, Rosalie m'enverra le reste de mes affaires.
La jeune fille qui était entrée derrière les hommes jeta sur ses épaules une mante à capuchon puis, les larmes aux yeux, lui baisa la main. Émue, Marie-Antoinette l'embrassa. Entre Gilbert et Dufresne, elle quitta sa cellule, précédée de Michonis et suivie de Rougeville au supplice. On arriva dans le vestibule du concierge où Richard attendait, une lanterne à la main. Là on s'arrêta.
Richard alla chercher le registre pour la levée d'écrou et Michonis discuta un instant avec lui, sans difficultés d'ailleurs, car le concierge ne voyait rien d'extraordinaire à ce transfert nocturne. Les deux gardes enfin allaient ouvrir le guichet quand une voix railleuse retentit :
- Bien entendu, citoyen Michonis, tu as un ordre exprès du Comité de salut public qui te commande de ramener la veuve Capet au Temple ?
C'était la femme Harel. Grimaçant un sourire, elle sortait de derrière un gros pilier. Rougeville sentit une main de glace lui étreindre le cour mais Michonis, en face du danger, voulut jouer d'autorité :
- Naturellement, je l'ai.
- Alors montre-le !
- Je ne l'ai pas ici. Je l'ai laissé chez moi et nous n'avons pas le temps d'aller le chercher. Allons-y, vous autres !
Mais forte de sa haine qui la rendait clairvoyante, la femme Harel ne se laissa pas intimider.
- Il vaudrait tout de même mieux, pour toi comme pour ceux qui sont ici, que tu prennes le temps de faire un saut chez toi. Puis, se tournant vers le concierge et les gardiens, et changeant de ton : Vous savez ce que cela signifierait pour nous tous si le citoyen Michonis n'était pas ce qu'il paraît et si la veuve Capet n'allait pas au Temple ? Vous avez envie de faire connaissance avec la guillotine ?
- C'est ridicule, gronda Michonis. Tout le monde ici me connaît et connaît mon civisme. Toi aussi, citoyenne, et tu devrais savoir que je suis homme à te faire payer... très cher une insulte comme celle-là.
- Quand tu reviendras avec ton papier, je te ferai toutes les excuses que tu voudras. D'ailleurs, à propos de papier, qu'est devenu celui que la citoyenne Richard a trouvé sur le gendarme Gilbert ? C'est toi qui l'as ?
- Bien entendu, puisqu'on me l'a remis... Tout en parlant Michonis regardait Rougeville, le vit blême, prêt à défaillir, et détourna les yeux pour constater que les autres n'étaient guère plus frais. Il comprit que tout était perdu. Même un coup de force était impossible : lui et Rougeville étaient sans armes et les deux autres, en dépit de l'or qu'on leur avait donné, avaient bien trop peur pour ne pas changer de camp. Certes, il y avait dehors Batz, sur le siège de la voiture avec les deux faux gendarmes, mais l'épaisseur des murs les mettait hors de portée de voix et l'on pouvait compter sur la femme Harel pour appeler à la garde et ameuter tout le quartier. Pourtant, il allait peut-être se lancer dans l'aventure. Ce fut la Reine qui l'en empêcha.
- Ne vaut-il pas mieux, dit-elle avec douceur, que vous alliez chercher ce malheureux papier? Cela nous retardera peut-être un peu mais est-ce si important ? Quant à moi, j'ai tout mon temps et je préférerais attendre dans ma cellule.
D'elle-même, détournant la tête pour ne pas voir l'expression torturée de Rougeville, elle reprit le chemin de sa prison, suivie par les deux gendarmes qui tremblaient comme feuilles au vent. Michonis haussa les épaules :
- Elle a raison. Allons-y !
Au-dehors, ils rejoignirent Batz déguisé en garde national. Un simple coup d'oil fit deviner au baron qu'une fois de plus, le coup était manqué. Tandis que Rougeville s'effondrait dans la voiture, secoué de larmes, Michonis sauta sur le siège pour raconter ce qui s'était passé.
- Quelle stupidité! gronda Batz. Tu avais bien un ordre de la Commune ? Celui que je t'ai donné.
- Oui, et cela aurait suffi sans cette femme affreuse...
- Au fait, que faisait-elle là en pleine nuit ? Elle n'habite pas la Conciergerie, que je sache ?
- Ça, c'est un mystère !
- Que j'éclaircirai. En attendant, tu vas rentrer chez toi mais comme il faut à tout prix que tu gardes tes fonctions, tu vas crier bien haut que tu as été trompé par le citoyen Gousse - que je vais faire disparaître dès cette nuit - et que tu es innocent. Tu apporteras même le fameux papier aux trous d'aiguille sur la table du Tribunal révolutionnaire après l'avoir rendu illisible avec d'autres trous. Quant à l'ordre resté prétendument chez toi, il t'aura été volé et tu te poseras en victime d'une infâme machination. A présent, séparons-nous! Toi, tu rentres chez toi.
Il avait arrêté la voiture au-delà du pont-au-Change, sautait à bas du siège, ordonnait à Roussel, l'un des faux gendarmes, de conduire la voiture et Rougeville chez lui, confiait l'autre cheval à La Guiche - le second gendarme.
- Et toi? demanda celui-ci, que comptes-tu faire?
- Moi ? Je retourne là-bas, dit-il en désignant les tours pointues qui se découpaient sur le ciel nocturne. Il y a quelque chose que je veux savoir... Ne t'inquiète pas !
- Tu ne veux pas que j'aille avec toi ?
- Et avec toute cette cavalerie? Merci, La Guiche ! Et à bientôt. Prends soin de toi !
Il s'élança vers la Conciergerie, poussé par une hâte, une impulsion qu'il ne s'expliquait pas. Cela lui arrivait parfois et il savait que s'il n'obéissait pas à cet ordre mystérieux que l'on pourrait appeler un pressentiment, il le regretterait. En fait, il était persuadé que, sa vilaine besogne accomplie, la femme Harel ne resterait pas plus longtemps à la prison et il voulait la suivre jusqu'à son logis dans l'espoir qu'il se situerait dans un lieu assez obscur et retiré pour qu'il puisse effacer cette misérable de la surface de la terre. Qu'au moins la Reine ne revoie plus jamais ce visage haineux !
Il était décidé à attendre le temps qu'il faudrait, fût-ce jusqu'au matin et même au-delà, avec la patience du chasseur à l'affût. Ce ne fut pas si long. Une demi-heure ne s'était pas écoulée qu'une femme en cotillon rayé et caraco foncé sous un fichu bariolé quittait la Conciergerie, saluée par l'une des sentinelles d'un :
- T'es encore là, citoyenne Harel ? Tu te plais tellement là-dedans que tu travailles la moitié de la nuit?
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