- Non... chaque souffle est plus épuisant... que le précédent... J'ai... peu de temps ma fille! Tout à l'heure je vous ai entendus... avec le médecin mais je ne pouvais pas parler... Je sais... à présent... que j'ai épousé... un criminel...
- Où est-il maintenant?... Vous avez fait naufrage?
- Je... je ne crois pas. Sur le bateau... j'étais malade... II... il m'a donné quelque chose à boire... et je me suis réveillée dans l'eau... J'ai cru que j'allais mourir mais je sais nager... et en me débattant j'ai... heurté un morceau de bois... une planche où je me suis accrochée. Il faisait noir... je ne voyais rien et la mer... se formait... des vagues plus dures... plus hautes... c'est l'une qui m'a jetée sur les rochers... à plusieurs reprises... la douleur!... Une douleur terrible... et je ne sais plus.
- Un pêcheur vous a trouvée à Rothéneuf. Il savait qui vous étiez. Il a demandé du secours et l'on vous a ramenée. Mais il n'y avait pas trace de naufrage... ni de Pontallec.
- II... doit être... à Jersey... C'est un... monstre! Un monstre et je vous avais donnée à lui...
- Je le retrouverai, mère ! Je " nous " vengereai !
- Songez d'abord à vivre !... Écoutez !... Oh, mon Dieu... encore un peu de force... par pitié! Écoutez ! avant... ce mariage impie... j'avais pris des précautions... réalisé quelques affaires et rassemblé... de l'or. J'ai mis tout cela... à l'abri... à Komer... chez vous. Allez voir Conan Le Calvez! Il vous remettra... tout ce que... j'avais mis de côté... pour les mauvais jours... que je sentais venir! Ramassez tout... et puis allez-vous-en!... Ne le cherchez pas! II... il sera toujours... le plus fort!...
- Non ! Non ! Un jour viendra où il paiera ! J'en fais le serment !
Elle avait presque crié et ce cri rappela Mathurine et Bina qu'elle avait envoyées se reposer un moment. Elles virent la jeune femme agenouillée auprès de sa mère et celle-ci qui agrippait ses mains dans un geste qui était une supplication. Elles s'arrêtèrent au seuil.
- Non, souffla Marie-Pierre. Abandonnez-le à Dieu ! Je vais mourir... et je ne réclame pas vengeance...
Avec douleur, Laura lut, dans les yeux sombres de sa mère si semblables aux siens, une prière ardente qui la révolta :
- Vous l'aimez encore ? Après tout cela ?
- Pardonnez-moi!... mais... c'est vrai!... Je crois que je l'aime encore...
- Ce sont les derniers mots qu'elle a prononcés, soupira Laura. Ils avaient dû lui coûter un terrible effort. Elle étouffait et, peu après, elle a vomi une grande quantité de sang, juste au moment où le docteur Pèlerin revenait. La fin est intervenue très vite... et je me suis aperçue que j'avais du chagrin... beaucoup plus que je ne l'imaginais...
Visiblement, elle revivait ces derniers instants auprès d'une mère qu'elle avait si peu connue. Batz respecta un moment ce silence avant de demander doucement :
- Vous êtes repartie aussitôt?
- Non. Tant qu'elle est restée dans sa maison, je n'ai pu me résoudre à la quitter. Quelque chose m'en empêchait. Nous ne pouvions pas la garder longtemps. Je me suis souciée de l'enterrement, mais comment faire? Il n'y a plus d'église ni de prêtres dignes de ce nom... C'est alors que Mathurine m'a remis les dernières volontés de ma mère. Elles étaient surprenantes mais bien dans son caractère : n'ayant jamais pu enterrer mon frère aîné Sébastien disparu dans l'océan Indien, elle demandait que son corps soit confié à la mer, sans faste aucun, comme celui d'un simple matelot... Jaouen est allé au port avec M. Bedée et il n'a eu aucune peine à obtenir ce qu'il voulait : une barque de pêcheur qui, de nuit, a conduit le corps de ma mère au large... et l'y a laissé. A bord, sous la veste du matelot, il y avait un prêtre, un vrai... Ensuite, je suis allée à Komer.
- Et vous êtes revenue ici. Mais pourquoi pas chez nous ? Si je ne vous avais pas rencontrée ce soir, pendant combien de temps aurions-nous ignoré votre retour?
- Pas longtemps, je le jure ! J'étais déterminée à me rendre à Charonne un jour prochain. Pour embrasser Marie d'abord, vous confier ensuite le soin de ma petite fortune...
Batz se mit à rire :
- Jamais les femmes n'ont tant souhaité me donner de l'argent. L'autre jour, c'était lady Atkyns chez qui nous devions nous retrouver à Londres et qui a débarqué avec de l'or anglais pour sauver la Reine. Et aujourd'hui...
- Acceptez de m'aider! plaida Laura. Je n'ai confiance qu'en vous...
Il se leva et, se penchant sur elle, vint appuyer ses mains au bras du fauteuil où elle se trouvait :
- Alors pourquoi tout ceci, fit-il d'une voix basse et intime. Pourquoi n'être pas venue directement à moi?
Il était si proche qu'elle pouvait sentir son odeur de lavande, de cuir et de tabac blond. Mais il lui était impossible de lui avouer qu'elle supportait de moins en moins l'idée de se trouver en tiers chez lui, témoin quotidien de son amour pour Marie, de leur complicité tendre. En le revoyant tout à l'heure elle avait eu un coup au cour, et ce cour s'était mis à chanter de joie. Et comme il répétait : "Pourquoi?" elle eut un petit rire gêné qu'elle jugea stupide et se recroquevilla dans son fauteuil.
- Je ne suis pas revenue seule. J'ai avec moi Jaouen et Bina. Il était impossible de vous encombrer de la sorte...
- Mauvaise raison : la maison est grande.
- Et puis... je suis engagée dans une autre guerre à présent. J'ai juré d'abattre ce Pontallec de malheur et je n'ai pas le droit de vous entraîner dans cette aventure-là.
- Autre mauvaise raison ! Oubliez-vous que je lui ai déjà enfoncé quelques pouces de fer dans les côtes ? Et qu'étant l'agent du comte de Provence il fait partie de mes ennemis personnels? Oubliez-vous enfin notre pacte ?
C'en était trop. D'un geste brusque elle le repoussa, l'obligeant à lui livrer passage :
- Je n'oublie rien de tout cela mais, ayant une vengeance à assouvir, je vous retire le droit que je vous avais donné de disposer de ma vie. C'est pourquoi j'ai voulu avoir une existence à moi puisque le Ciel m'en donnait les moyens. M. Bedée qui a désormais tous mes secrets m'a donné une lettre pour un ami sûr, notaire à Paris. C'est lui qui m'a trouvé cette maison et mise en rapport avec Julie Careau. Nous avons sympathisé.
Un instant déstabilisé par l'attaque de Laura, Batz était allé s'adosser à une console et, les bras croisés sur la poitrine, contemplait la jeune femme si charmante avec ses magnifiques cheveux blond cendré qu'elle laissait retomber sur ses épaules. Il pensait que Pontallec était sans doute un rude imbécile, mis à part ses instincts prédateurs, mais qu'il avait tout de même quelques excuses : en passant de son personnage de petite marquise effacée et timide à celui de libre Américaine, l'ex-Anne-Laure s'était épanouie, modifiée d'extraordinaire façon. Élégante, sûre d'elle, on la sentait en pleine possession de ses moyens... et que ces moyens étaient donc jolis ! En l'entendant revendiquer son droit à disposer d'elle-même, il ne put s'empêcher de sourire, de ce curieux sourire de loup, à belles dents blanches, qui mettait des flammes dans ses yeux noisette. Leur regard était si intense que Laura détourna le sien.
- Je n'ai jamais envisagé de vous envoyer à la mort, dit-il doucement. Je voulais simplement vous arracher à vous-même. Le pacte est donc moralement déchiré... mais ne croyez-vous pas que nous poumons encore travailler ensemble ?
La réaction fut spontanée :
- Je ne demande que cela ! Au fond, si j'ai loué cette maison c'est aussi afin de vous offrir un asile de plus dans Paris et dans un quartier que vous aimez puisque votre logis de la rue Ménars est maintenant sous scellés.
Il releva un sourcil ironique, prit une de ses mains qu'il ouvrit pour en baiser la paume :
- Pour moi ? Vraiment ? Pas pour moi seul, tout de même? Je suppose que vous y réservez une petite place à... Elleviou par exemple?
Passant de l'attendrissement à la colère, Laura rougit et arracha sa main :
- Pour qui me prenez-vous ?
- Pour une séduisante jeune femme... et qui aime à plaire, ce qui est bien naturel. Quant à notre ténor, il est loin d'être repoussant. Vous devriez l'entendre dans " Alexis ou le déserteur ", il y est irrésistible. C'est du moins ce que prétendent les femmes...
- Je l'ai vu et j'ai fort bien résisté !
- Vous sembliez pourtant très proches l'un de l'autre tout à l'heure? Et vous l'avez invité...
- Mais de quoi vous mêlez-vous ? N'aurais-je pas droit à quelques amis? Je le trouve charmant... mais c'est tout.
Le soupir que poussa Batz aurait pu éteindre le grand lustre de cristal accroché au-dessus de leurs têtes s'il avait été allumé :
- Acceptons-en l'augure et tenez-vous-en là. Vous risqueriez de vous lancer dans une aventure inutile et même... dangereuse.
- Dangereuse? fit Laura en haussant les épaules. Où allez-vous chercher cela ?
- Rue de la Loi ! C'est là qu'habité sa maîtresse, la danseuse Clothilde Mafleuroy, de l'Opéra. Elle est fort belle mais c'est la femme la plus jalouse, la plus vindicative que je connaisse et elle est folle de son amant. Elle serait très capable d'envoyer une rivale à l'échafaud !
- Vous n'exagérez pas un peu ?
- En bon Méridional que je suis ? Même pas. Si vous avez un faible pour ce garçon, gardez-vous de la Mafleuroy! En outre, je n'aimerais pas voir la grande dame que vous êtes jouer à son insu le rôle déplaisant du chandelier.
- Qu'est-ce que cela veut dire ?
- Qu'Elleviou est amoureux d'une très jeune femme qui vous ressemble un peu d'ailleurs et que je connais bien. Elle est mariée à Sartine, le fils du dernier lieutenant de police, mais, avant les massacres de Septembre, elle et sa mère animaient une luxueuse maison de jeu du Palais-Royal appartenant à un riche créole, M. Aucane, qui est le protecteur avoué des dames de Sainte-Amaranthe.
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