- A propos d'hommes! Ousqu'il est l'nouveau mari?
C'est justement la question que se posait Laura, tout en craignant fort de trop bien connaître la réponse... Soudain, sa décision fut prise. La porte de l'hôtel venait enfin de s'ouvrir, révélant les figures effarées de Bina, de Mathurine sa mère et de deux serviteurs déjà âgés ; elle s'élança à la suite du brancard sans permettre à Jaouen de la retenir :
- J'y vais! dit-elle seulement. Puis, un instant après : Laisse-moi entrer, Bina !
L'air effaré, la jeune servante restait figée. Sa mère, alors, s'en mêla :
- Qui êtes-vous?... D'où connaissez-vous ma fille?
C'était une dure à cuire, Mathurine. Depuis le temps qu'elle servait Mme de Laudren, elle s'était peu à peu calquée sur elle, il arrivait même que son ton fût plus cassant, ses manières plus autoritaires encore que son modèle.
- Allons, Mathurine, fit-elle sèchement, ne me dis pas que tu ne me reconnais pas ? Bina l'a bien fait... et elle est moins intelligente que toi... Et pour l'amour du Ciel, ne pousse pas de clameurs !
Un pâle rayon de soleil s'insinuant entre les hautes façades grises éclaira vivement à cet instant le visage de la jeune femme. Les yeux soudain écar-quillés, Mathurine ébaucha un signe de croix qu'elle retint juste à temps :
- Seigneur! C'est pas Dieu possible? Mad...
- Pas de nom ! souffla Joël Jaouen. On entre et on causera là-haut !
Avec autorité, il repoussa hors des murs ceux qui prétendaient entrer à la suite des brancardiers. On se dirigeait vers le grand escalier de bois tourné magnifiquement terminé par une ancienne figure de proue ayant appartenu à un navire appelé la Fortune et que de patients astiquages avaient débarrassée des attaques du sel et des embruns. C'était le père d'Anne-Laure qui l'avait placée là comme le double symbole du sort et de la richesse.
Bina précédait les porteurs pour ouvrir devant eux les portes. Laura et Mathurine suivaient avec Elias et Guénolé, les deux serviteurs qui regardaient la jeune femme avec une joie mêlée de crainte, se tenant un peu à l'écart comme si elle était un être surnaturel revenu de l'au-delà. Personne ne parlait. On n'entendait que les pas sur le bois et les gémissements de celle que l'on rapportait ainsi dans sa chambre.
Sans un regard au décor sévère, quasi espagnol mais magnifique encore qu'assez peu féminin, dont Marie-Pierre de Laudren avait fait son intimité - devenue " armateur " elle s'était contentée de reprendre la chambre du maître! - Laura remercia généreusement les porteurs dont l'un était le pêcheur qui avait ramassé sa mère. Elle leur remit un peu de l'or qu'elle gardait encore, ce qui les fit rougir de plaisir mais surtout, elle laissa parler sa reconnaissance, sachant bien que ce qui venait de jouer en faveur de Marie-Pierre c'était la vieille solidarité des gens de mer et non l'appât du gain... Ensuite, elle revint vers le lit où Mathurine et Bina déposaient leur maîtresse et coupaient avec de grands ciseaux et le maximum de précautions les vêtements déchirés et mouillés. Marie-Pierre devait souffrir de plusieurs fractures car, en dépit de son inconscience, des gémissements douloureux lui échappaient et sa respiration semblait difficile.
Au physique, la nouvelle Mme de Pontallec ne ressemblait pas à sa fille. Elle était petite, brune, d'apparence fragile en dépit d'une extraordinaire majesté naturelle qui lui permettait de dominer tous ceux qui travaillaient sous ses ordres, même les capitaines les plus boucanés. On la savait intelligente, juste mais inflexible dès l'instant où elle prenait une décision. En dépit d'un durcissement des traits dû à l'habitude du commandement, elle gardait des traces d'une beauté plus proche du soleil espagnol que des brumes bretonnes. C'était d'elle que sa fille tenait ses grands yeux noirs si profonds et si expressifs...
- Qu'est-ce qui a bien pu se passer? se lamentait Mathurine en lavant, avec une infinie douceur, le sang séché de plusieurs blessures. Et lui, le beau monsieur, où est-ce qu'il est?
Se rappelant brusquement qui l'aidait en ce moment dans sa tâche, elle offrit à celle-ci un regard plein de chagrin :
- Faites excuses, Mademoiselle Anne-Laure, je n'aurais peut-être pas dû dire ça ?
- Pourquoi? Parce que cet homme était mon époux avant de devenir le sien? Vous n'en direz jamais la moitié du mal que j'en pense. J'espère de tout mon cour qu'il a péri dans ce qui a dû être un naufrage...
- La mer était formée cette nuit mais pas trop forte, dit le médecin que Guénolé introduisait à cet instant. Et Tudal, le pêcheur qui l'a trouvée, n'a remarqué aucune trace de naufrage... C'est tout de même bizarre, non ? Voyons un peu les dégâts !
Laura connaissait le docteur Pèlerin qui s'était occupé de la famille bien avant sa naissance. C'était un ancien chirurgien de marine qui avait beaucoup bourlingué, beaucoup vu et surtout beaucoup retenu. De ses voyages, il avait rapporté une connaissance des plantes et de la mécanique humaine qui lui était fort utile depuis qu'à trente ans, il avait dû mettre sac à terre à la suite d'une vilaine blessure au genou droit qui le laissait boiteux mais, à cet inconvénient près, en pleine possession de ses moyens.
Débarrassé de son manteau et de son habit, il s'emparait de sa patiente sans regarder quiconque et commençait son examen, palpant de ses doigts courts et larges mais extraordinairement légers les membres et le corps. Et son visage s'assombrissait à mesure de sa progression.
- Elle a plusieurs fractures mais surtout la cage thoracique enfoncée. D'où cette respiration pénible et bruyante. C'est une chance qu'elle soit inconsciente parce que à part la bourrer d'opium et remettre les os des jambes en place, je ne vois pas ce que je pourrais faire pour elle...
- Cela veut dire que ma mère va mourir? demanda Laura.
A ces paroles, Pèlerin releva la tête et resta muet quelques instants, considérant avec stupeur le visage tendu vers lui de l'autre côté du lit :
- La petite Anne-Laure! s'exclama-t-il enfin. Vous n'êtes donc pas morte ?
- Comme vous pouvez le voir !
- Pourtant... c'est bien votre mari que Mme de Laudren a épousé il y a quelques semaines ? On a dit que vous aviez été massacrée devant la prison de La Force en même temps que la malheureuse princesse de Lamballe.
- Pourtant je vis... mais j'ai fait en sorte que l'on me croie morte. Surtout M. de Pontallec! Il s'est donné tant de mal pour devenir veuf que je lui devais bien cette satisfaction, ironisa-t-elle. Évidemment, je n'imaginais pas un instant qu'il oserait épouser ma mère...
- Il a essayé de vous tuer?
- A plusieurs reprises.
- Cela ne m'étonne pas. L'homme est mauvais, du moins je l'ai toujours jugé ainsi, mais... il a du charme et tout ce que j'ai pu dire à votre mère pour la détourner de ce mariage est resté lettre morte. Vous savez comment elle était lorsque quelque chose lui tenait à cour? Et où est-il à présent?
- Tout ce que je sais est qu'avec ma mère, ils se sont embarqués la nuit dernière pour Jersey, fit Laura avec un geste d'ignorance. Peut-être est-il noyé?
- Vous y croyez ?
- En dépit de ce que je souhaite, j'ai peine à y croire...
- Moi aussi. Aucun naufrage n'a été signalé entre ici et Cancale.
- Alors dites-moi comment elle en est arrivée là... et en cet état?
Le médecin hocha la tête avec une moue significative tout en reprenant son travail. Pendant une grande heure on n'entendit plus rien sous les courtines de velours pourpre sinon parfois un faible gémissement, mais les yeux de la patiente restaient clos et sa respiration semblait aller s'affaiblissant. Lorsque ce fut fini et que la blessée reposa enfin, soigneusement bandée dans du linge immaculé, le médecin revint à la jeune femme.
- Êtes-vous venue dans l'intention de reparaître... de façon officielle?
- Je ne sais pas encore. Jusqu'à présent j'ai vécu sous un nom et une personnalité d'emprunt... qui me servent encore ici.
- Alors un bon conseil : gardez-les ! Et obtenez de ceux d'ici qu'ils se taisent.
- Vous nous prenez pour qui, docteur? s'insurgea Mathurine.
- Je ne parlais pas de vous, fit-il en lui tapant sur l'épaule avec un sourire. Mademoiselle Anne-Laure doit rester ce qu'elle est... au fait qui êtes-vous à présent ?
- Laura Adams, de Boston, Massachusetts.
- Une Américaine? Ce n'est pas une mauvaise idée. Eh bien, restez-le jusqu'à ce que l'on soit certain que Pontallec est mort. Jusque-là...
- Je sais, docteur! Voyez-vous, j'ai l'habitude. En attendant, je veux rester ici... jusqu'au bout! ajouta-t-elle avec un regard vers sa mère.
- Alors portes closes, ma chère! Portes bien closes! Je ne crois pas d'ailleurs que ce sera très long. Je reviendrai à l'aube.
- Anne-Laure...
La voix était faible, pourtant elle réussit à percer le sommeil, fragile à vrai dire, où la jeune femme avait sombré peu après minuit. Elle se redressa dans son fauteuil placé près du lit et vit que sa mère la regardait, la tête légèrement tournée vers elle. Aussitôt elle fut à genoux près d'elle.
- Mère ! murmura-t-elle sans se rendre compte que des larmes montaient à ses yeux. Vous m'avez reconnue ?
- Une mère... reconnaît toujours son enfant-même... une mère... comme moi!... J'ai soif!...
Il restait un peu de tilleul dans la tisanière éteinte posée à l'un des chevets. Laura y ajouta du miel et, passant son bras sous l'oreiller, souleva le buste qui lui parut léger. La blessée but quelques gorgées puis se laissa aller en arrière.
- Vous vous sentez un peu mieux?...
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