— C’est on ne peut plus naturel… Et il est si mignon !

A bavarder ainsi à bâtons rompus, Isabelle, réchauffée, réconfortée, reprit son équilibre et finit par regagner son lit où elle acheva la nuit assez paisiblement.

Le jour amena un beau soleil et lui rendit son optimisme habituel. Elle employa son temps de fort agréable façon à faire l’inventaire de son nouveau domaine et de tout ce qu’il contenait, et, à l’issue de l’inspection, en conclut que le cadeau était vraiment royal et que, additionné à ce qu’elle possédait déjà, elle pouvait se considérer comme une femme riche. Même s’il lui fallait faire le deuil des célèbres perles que, très certainement, on ne lui donnerait jamais en dépit des ordres du Prince. Elle était trop coquette pour ne pas les regretter, mais avait acquis suffisamment de sagesse pour ne pas s’y attacher.

Mme de Brienne repartit en début d’après-midi pour rentrer à Paris. Comme la défunte princesse Charlotte, elle était liée à la Reine par une réelle amitié et se souciait de la savoir à présent seule avec son jeune Roi pour affronter une situation des plus déplaisantes. Que l’on aimât ou non Mazarin, il la déchargeait du plus lourd du gouvernement de l’Etat, et que tous deux soient unis par de tendres liens – voire des liens conjugaux  ! – ne changeait rien au fait qu’elle n’avait plus personne sur qui s’appuyer pour faire face à un peuple qui, ayant goûté aux joies de l’agitation, ne semblait pas décidé à y renoncer de sitôt !

— J’ai toujours su qu’elle était courageuse, avait dit la comtesse avant de monter en voiture, mais je pense qu’un peu de chaleur d’amitié sera peut-être la bienvenue !

Isabelle avait alors répondu :

— Voulez-vous me mettre à ses pieds et lui dire que je suis tout à son service au cas où elle aurait besoin de moi ? Et sans rien demander en échange. Simplement en mémoire de notre chère princesse !

— Soyez sûre que je ne manquerai pas de le lui dire… et je crois qu’elle en sera contente…

La journée se passa donc paisiblement et s’acheva par une lente promenade dans les jardins – le château intérieur et extérieur avait toujours été soigneusement entretenu – avec le petit Louis-Gaspard qui commençait à marcher. Etayé d’un côté par sa mère et de l’autre par Agathe, il lançait ses petites jambes dans tous les sens en riant aux éclats et il ressemblait si fort à son père – blond comme lui et ses beaux yeux bleus ! – que sa mère se sentait fondre quand il la regardait en penchant sa tête de côté, et plus encore quand il lui entourait le cou de ses bras potelés pour entamer un discours totalement hermétique mais qui ne pouvait qu’être des plus tendres.

En rentrant, elle le remit à Jeannette, sa nourrice, et regagna son appartement où elle avait l’intention de se faire servir un souper léger et de se coucher tôt afin d’effacer par une nuit réparatrice les traces de la précédente.

Or elle trouva Bastille qui l’attendait dans ce qui devenait son cabinet d’écriture.

— Tu m’attendais ? Pourquoi ne pas m’avoir rejointe au jardin si tu avais quelque chose d’urgent à me communiquer  ?

— En vous portant cela ? Je ne pense pas que vous auriez apprécié.

Il désignait un coffre de bois précieux et de moyennes dimensions que l’on avait posé sur un siège. Un large ruban scellé d’un cachet rouge le mettait à l’abri des curiosités et le cœur d’Isabelle battit plus vite en reconnaissant les armes des Bourbons-Condés.

— Il vient de Chantilly, ajouta Bastille, imperturbable. J’ai aussi cette lettre…

L’écriture en était extravagante et, cette fois, la jeune femme sentit une chaleur lui monter au visage. Sans regarder son serviteur, elle prit un coupe-papier pour faire sauter le cachet, lut… et devint ponceau.

« Cette nuit je viendrai à onze heures. Veillez à écarter vos domestiques et à laisser votre fenêtre ouverte ! Surtout ne refusez pas ! Je pars demain… »

En levant les yeux, elle vit que Bastille regardait au-dehors, mais sans bouger d’une ligne.

— Eh bien, merci ! Qu’attends-tu ?

— De savoir s’il y a une réponse, fit-il calmement.

— Aucune. Tu as ton couteau ?

Il le tira de la gaine accrochée à sa ceinture et le lui tendit en le tenant par la lame, mais elle désigna le coffre.

— Coupe ce ruban !

Le couvercle se soulevant révéla le contenu qu’elle espérait. Les perles ! Les magnifiques perles de Charlotte avec la « grande boîte de diamants » ! De grosses perles rondes, légèrement rosées, pour le tour de cou et d’autres, énormes, en forme de poires, en une longue chaîne que l’on pouvait draper sur une robe selon la fantaisie du moment. Isabelle, les mains jointes, les contempla à satiété avec un immense plaisir. Elle avait été tellement certaine de ne jamais les revoir sinon sur celles en qui elle ne pouvait plus voir que des ennemies : la Longueville et la « petite dinde » qui, depuis son équipée de Bordeaux, éclatait d’orgueil ! Et maintenant ces splendeurs étaient là, devant elle, à elle…

— Vous ne les essayez pas ? avança Bastille qui la regardait avec un demi-sourire au coin des lèvres.

— Non… J’ai toute la vie pour le faire ! Mais elles ne m’iront jamais mieux qu’à la princesse Charlotte… Ces perles roses surtout ! Elles avaient l’air de refléter son teint et elle les adorait. Mais il est temps de les ranger, décida-t-elle en se relevant. Et je te remercie infiniment pour cette joie que tu me procures… Au fait, qui te les a remises ?

— Monsieur le Prince en personne avec la lettre et dans son cabinet de travail.

— Je vais lui écrire pour le remercier et tu porteras mon message demain.

Elle rapporta la cassette dans sa chambre où Agathe effectuait de menus rangements et lui confia la précieuse boîte en lui recommandant de l’enfermer avec ce qu’elle avait de plus précieux. Celle-ci comprit aussitôt de quoi il s’agissait.

— Ah ! jubila-t-elle. On s’est décidé à vous les rendre ? Je ne l’aurais pas cru après la scène d’hier soir !

— Moi non plus, mais quand le maître ordonne !

— Il doit espérer un beau remerciement…

— Il fera mieux ! Il a l’intention de venir le chercher cette nuit ! Lis !

— Son Altesse semble savoir ce qu’elle veut, émit Agathe en rendant le billet. On dirait presque une injonction.

— Absolument… Et je ne le supporte pas. Nous allons cependant préparer le chemin comme on le souhaite, mais c’est dans mon cabinet que je l’attendrai… Et, à la réflexion, vous allez y reporter les joyaux ! Puis vous veillerez à ce que la maison soit telle qu’il espère la trouver. Après quoi vous reviendrez me coiffer ! Vous pouvez mettre Bastille dans la confidence, de façon qu’il veille à ce que Son Altesse ne rencontre personne !

— Il ne va pas aimer ! Il vous surveille comme du lait sur le feu !

— Si cela l’amuse ! L’important est qu’il exécute mes ordres… Ah, vous préparerez quelques friandises et du vin d’Espagne. Quels que soient l’heure ou l’endroit, Son Altesse est toujours affamée…

Sur ce Isabelle alla s’asseoir devant sa table à coiffer afin d’y méditer sur ce qu’elle allait mettre, tandis qu’Agathe partait suivre les directives de sa maîtresse en marmottant au sujet d’appétits qu’une assiette de petits gâteaux n’avait aucune chance d’apaiser…

Il était onze heures tapantes quand Condé attacha son cheval à un arbre en vue d’un château qu’il connaissait bien. Tout y était éteint à l’exception de deux fenêtres donnant accès à ce qui devait être la chambre de la châtelaine. Son sourire s’élargit en constatant qu’une main sans doute affectueuse avait prévu une échelle de corde arrimée au balcon. La nuit promettait d’être aussi belle qu’il la rêvait depuis longtemps… Le ciel de mai lui-même, d’un bleu profond piqué d’étoiles, dont l’une devait être la sienne, lui paraissait un encouragement.

L’escalade ne fut qu’un jeu pour lui, et en quelques secondes il eut atteint la fenêtre en écartant les rideaux à demi tirés…

— Me voici ! commença-t-il à voix contenue, mais son discours s’arrêta net en découvrant le chandelier à longues bougies roses qui brûlait au chevet du lit, celui-ci était encore recouvert de sa courtepointe bleue brodée d’argent.

Rendu méfiant tout à coup, il s’approcha, appela :

— Isabelle ! Où êtes-vous ?

— Ici, Monseigneur ! Si vous voulez bien venir jusqu’à moi…

Au seuil de la pièce voisine, elle exécutait la plus parfaite révérence. Tellement parfaite qu’elle permit à Son Altesse de plonger dans le large décolleté de la robe de velours noir dont les amples manches retroussées laissaient voir les mêmes bouillonnés de satin blanc que ceux encadrant les épaules et la gorge. Pas de bijoux, si ce n’est à la base du long cou gracieux un rang de perles qu’il n’eut aucune peine à reconnaître. Rien non plus dans les cheveux bruns coiffés lâche, aussi brillants que des coques de châtaignes…

Trop surpris pour trouver quelque chose à dire, il la suivit dans le petit salon voisin où, comme dans la chambre, un joyeux feu de bois crépitait dans la cheminée de marbre blanc. Il prit aussi le fauteuil qu’elle lui désignait tandis qu’elle-même s’installait dans son semblable… de l’autre côté de la table sur laquelle était disposée une collation.

Le sourire qu’elle lui offrait était positivement angélique, mais il n’en fut pas dupe à cause de cette pointe de malice qui brillait dans les beaux yeux sombres.

Sans répondre à son salut et pas davantage à son sourire, il prit une noix dans une corbeille, brisa la coque entre ses doigts, la mangea et en prit une deuxième. Son œil où brillait la colère ne quittait pas la jeune femme.

— Ce n’est pas ce que j’attendais ! fit-il sèchement.