Isabelle en pleura de joie, car elle voyait une preuve d’attachement de la part de celui qu’elle n’avait jamais cessé d’aimer et dont les réactions pouvaient se révéler parfois – et sans la moindre raison – d’une rare violence.
Mme de Bouteville, elle, exulta :
— Vous allez pouvoir prendre possession de ce charmant château de Mello qui est apanage des Montmorency et qui est, à une lieue près, aussi proche de Chantilly que l’est notre Précy5 ! Mais auparavant accordez-vous quelques jours de détente !
— Vous avez raison, mère, je crois en vérité que ce me sera nécessaire.
— Faut-il que vous soyez fatiguée pour en convenir…
Le repos n’allait pas durer. Bien que Mme de Bouteville se fût efforcée de le lui cacher, une bribe de conversation surprise entre sa mère et le cher président Viole venu prendre de ses nouvelles lui apprit qu’il lui restait encore un sujet de tourmente : tandis que la princesse Charlotte mourait à Châtillon, le grand Turenne, rencontrant près de Rethel l’armée royale commandée par le maréchal du Plessis-Praslin, subissait une écrasante défaite. Mais, ce qui était plus grave aux yeux d’Isabelle, son frère François de Bouteville devenu le bras droit de Turenne avait été blessé et fait prisonnier ! Elle ne resta pas davantage derrière la porte imprudemment entrouverte où elle s’abritait :
— François blessé ? François captif ? Et vous ne m’en avez rien dit, mère ?
— Je l’aurais fait si la blessure avait été préoccupante ! Quant à la prison, c’est la Bastille où nombre de gentilshommes ont séjourné sans dommage et…
— … Et mon père qui a été exécuté pour une peccadille ? Et notre cousin Henri ? Il est vrai que lui c’était à Lyon, mais…
— Mais le chef d’accusation était plus grave : haute trahison !
— Et qu’a fait François de différent en rejoignant Turenne… et les Espagnols ? Cher Président, si vous avez quelque amitié pour moi, obtenez-moi d’aller le visiter ! s’écria Isabelle.
— Mieux vaudrait se rendre auprès de la Reine pour lui demander sa grâce !
— L’un n’empêche pas l’autre ! Et moi je veux voir mon frère. Je suis certaine de pouvoir le ramener à la raison ! C’est le sort imparti à son chef bien-aimé qui l’a conduit à cette extrémité… Quant à la Reine, la défaite de Rethel devrait l’enchanter : n’est-ce pas une victoire pour son bien-aimé Mazarin ?
— Si nous nous aventurons sur ce terrain, nous n’en sortirons pas ! trancha Mme de Bouteville. Cher Président, pouvez-vous essayer de donner satisfaction à ma fille ?
— Je promets d’essayer. Elle sait bien que lui plaire est ce que je souhaite le plus au monde.
Isabelle eut son entrevue…
En suivant le geôlier dans l’escalier qui montait au troisième étage de la tour Bertaudière à la Bastille, le cœur d’Isabelle battait si fort sous ses vêtements et ses voiles de deuil6 qu’elle s’avoua qu’elle était inquiète. Il y avait une éternité, en effet, qu’elle n’avait rencontré son jeune frère et elle se demandait si leur ancienne et parfaite entente subsistait. Si même il en restait une bribe… et si François jouait encore de la guitare.
Quand la porte s’ouvrit et que le gardien s’effaça pour la laisser entrer, elle ne le vit pas tout de suite, seulement le feu qui flambait dans la cheminée. Ce fut sa voix moqueuse qui la fit se retourner vers le lit où il était à demi étendu, habillé, un oreiller sous sa jambe blessée.
— Une femme ? s’exclama-t-il joyeusement. Mais quelle heureuse surprise ! J’espère que vous êtes jolie, madame ?
— Pour quelqu’un dont la vie est menacée, vous me semblez de bien gaillarde humeur ! dit-elle en se débarrassant de l’ample cape noire à capuche qui l’enveloppait de la tête aux pieds.
En la reconnaissant, il eut un cri de joie.
— Isabelle ? Mais quel bonheur ! Je vous croyais au fin fond de vos terres !
Il voulut se lever, mais elle le repoussa gentiment.
— Restez tranquille ! Puisque votre jambe vous y oblige, profitez-en !
— Embrassez-moi, au moins !
Elle posa ses lèvres sur son front, puis s’assit au bord du lit cependant qu’il grognait, déçu :
— Quel enthousiasme ! Vous avez pris à tâche de me démolir le moral ? Et puis tout ce noir ! Vous êtes en deuil ou quoi ?
— Oui. Et vous devriez l’être aussi ! Je viens de ramener aux Grandes Carmélites le corps de notre princesse Charlotte…
— Elle est morte ?! Oh, non ! réagit-il, envahi par le chagrin. Et je n’y étais pas !
— Ni vous, ni ses fils, ni sa fille, ni sa belle-fille, ni son petit-fils qu’on ne lui a pas accordé la joie d’embrasser une dernière fois… Rien que Mme de Brienne, moi et les gens de Châtillon que sa bonté avait conquis ! Quant à vous, je considère comme une chance qu’elle ne vous ait pas vu et, surtout, qu’elle ait ignoré, ainsi que notre famille, que le dernier des Montmorency va bientôt laisser sa tête sur l’échafaud !
— L’échafaud ? Perdriez-vous le sens ? Je suis prisonnier de guerre…
— On ne met pas des prisonniers de guerre à la Bastille ! Mais des traîtres, oui ! Comme le fut, hélas, notre cousin Henri ! Il avait fait pacte avec les Espagnols, tout comme vous…
— J’ai suivi mon chef, c’est le devoir d’un bon soldat. M. de Turenne ne s’est employé qu’à chercher les moyens de libérer le royaume du pire fléau qu’il ait jamais connu.
— Non ! D’imposer votre loi à vous ! La France entière, je pense, déteste Mazarin au même degré qu’elle a détesté Richelieu dont chacun s’accorde à présent pour reconnaître qu’il fut grand…
— Mais il était français ! Vous entendez, ma sœur ? Français !!! Et il ne couchait pas avec la Reine qui, entre parenthèses, est espagnole !
— Elle a cessé de l’être en épousant Louis XIII ! Et vous n’oubliez qu’un détail, messieurs les mutins ! Qu’elle est la mère du Roi et que Mazarin en est le ministre !
— Un ministre dont il sera ravi d’être débarrassé…
— Qu’en savez-vous ? Vous aurait-il fait l’honneur de vous le confier ? Vous ne l’avez pas vu depuis longtemps, n’est-ce pas ? A votre place, je prendrais garde.
— A quoi ? Il nous remerciera, vous dis-je !
— De mettre son royaume à feu et à sang, et, pour réaliser cette belle prouesse, de faire appel à l’ennemi héréditaire. Dans quelques mois seulement, il atteindra la majorité royale et sera sacré à Reims. Dès à présent je me méfierais de lui ! En ce qui me concerne, je n’oublierai jamais le regard qu’il a posé sur le coadjuteur de Gondi au premier soir de la Fronde. Louis XIV sera un maître omnipotent… A moins que vous ne laissiez vos chers Espagnols l’assassiner ?
— Etes-vous folle ? Pour qui nous prenez-vous ? Nous sommes tous fidèles sujets de Sa Majesté…
— Allons donc ! Vous n’êtes même pas capables de vous en remettre à l’avis du plus grand d’entre vous ! Jamais, vous m’entendez, jamais le vainqueur de Rocroi ne se vendra au Roi d’Espagne auquel il a si glorieusement fait mordre la poussière ! Parce que lui n’est pas un traître ! Pensez-y quand vous vous agenouillerez devant l’épée du bourreau, François de Montmorency-Bouteville ! Qu’importe, après tout, si votre mère et vos sœurs en meurent de chagrin et de honte ! Geôlier !
Saisissant sa mante au passage, elle courut à la porte que l’homme ouvrit et s’élança dans l’escalier au risque de se rompre le cou. Aveuglée par ses larmes, elle se fût abattue au seuil de la tour si l’un des gardes ne l’avait saisie à temps et remise à Agathe qui l’attendait dans la voiture.
— Nous rentrons ! cria celle-ci au cocher.
1 Un an plus tard, les troupes royales durent en faire le siège.
2 L’usage voulait qu’une femme signe toujours de son nom de jeune fille. Lettre tirée des papiers de Lenet à la Bibliothèque nationale.
3 Aujourd’hui église Saint-Paul-Saint-Louis.
4 Bien des années plus tard, elle devait écrire dans son testament : « […] quelque lieu que je meure, je veux que l’on prenne mon cœur sans m’ouvrir tout à fait et qu’on le porte au couvent des Carmélites, près du corps de Madame la Princesse qui m’a tendrement aimée et qui m’a fait du bien dont je conserverai la reconnaissance jusqu’au tombeau… On mettra un marbre dessus qui en fera mention et l’on donnera deux mille livres aux religieuses pour qu’elles aient la bonté de le permettre… »
5 Les trois domaines forment en effet un triangle rectangle dont Chantilly et Précy forment la base et Mello le sommet.
6 Elle portait toujours celui de la Princesse.
11
La châtelaine de Mello
En reprenant contact avec la vie parisienne, Isabelle, semblable à une lectrice de roman-feuilleton à la feuille qui a manqué quelques publications, s’aperçut qu’à l’abri feutré des salons on n’avait pas cessé de comploter contre Mazarin.
Ainsi une amie de Mme de Longueville, Anne de Gonzague, princesse Palatine1, s’était efforcée de réunir autour d’elle ceux des mécontents qui pouvaient avoir une quelconque importance dans cette histoire de fous : frondeurs comme Beaufort et le coadjuteur de Gondi, amis de Condé comme Nemours et La Rochefoucauld, ambitieux de tous poils avec en tête Monsieur, duc d’Orléans, le pire de tous, sans oublier les parlementaires tirés de l’obscurité comme Broussel devenu plus enragé que les autres. Agissant dans divers milieux, ceux-là poursuivaient un unique objectif : Mazarin, dont ils avaient juré la perte à l’unanimité ! Or la bataille de Rethel, en écrasant Turenne et en envoyant Bouteville blessé à la Bastille, représentait un éclatant triomphe pour le ministre exécré et presque une injure personnelle envers le duc d’Orléans qui se voyait assez bien Régent, même si la majorité royale n’était plus très éloignée.
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