Il fallut tout de même revenir à la prosaïque réalité. Un peu plus souvent en tout cas !

A Paris, fort heureusement, Enghien veillait au grain et se faisait le défenseur de son ami. C’est ainsi qu’il lui écrivit demandant de lui envoyer un mémoire détaillé sur les circonstances de son mariage1 , et Gaspard se mit au travail.

Avec une astuce rare chez les foudres de guerre, et afin de se concilier les bonnes grâces de la Reine et du Cardinal, Gaspard, après avoir longuement protesté de son respect et de son affection pour ses parents, expliqua adroitement que ses sentiments dont il ne s’était jamais écarté ne pouvaient pourtant aller jusqu’à compromettre son salut éternel, proclamant, en outre, la grâce que Dieu lui avait faite en lui accordant de découvrir la vérité de la religion catholique. Puis petit couplet sur les vertus et la piété de Mme de Bouteville, ainsi que sur les illustres qualités de sa fille. Enfin, il terminait en rappelant la persécution dont il était victime de la part de ses parents qui lui interdisaient de se rendre à la messe à Châtillon, mais en excusant cette opposition et sa propre résistance. Pour un peu, il se serait posé en martyr de sa foi…

Quoi qu’il en soit, ce beau morceau de littérature n’impressionna pas beaucoup le Parlement auquel Monsieur le Duc le présenta. Il y répondit par un monitoire constatant la preuve de la clandestinité du mariage à Château-Thierry. En revanche, Mazarin, poussé par la Reine, écrivit une longue lettre au maréchal pour le détourner de poursuivre son procès et lui prêcher la réconciliation, en promettant de veiller personnellement, avec l’approbation de Sa Majesté, sur la carrière d’un soldat de cette valeur…

La réponse du père offensé ne fut guère encourageante. Après avoir remercié le Cardinal de ses promesses, il laissait entendre qu’il n’était pas disposé à renoncer au procès.

Cette fois, les deux amoureux s’inquiétèrent sérieusement. Gaspard écrivit à Enghien, l’adjurant de voir le nonce et ne demandant rien moins que l’intervention du pape, mais Monsieur le Duc avait trouvé la parade, ce dont le jeune homme dans son trouble ne s’était pas avisé : il venait d’avoir vingt-cinq ans. Donc il était libre de se marier sans autorisation. Restait la clandestinité du mariage…

En recevant les instructions de son chef et ami, Gaspard ne put s’empêcher de rire.

— Mon cher amour, dit-il à sa jeune femme. Il faut retourner à Château-Thierry !

— Pour quoi faire, mon Dieu ?

— Nous marier !

— Est-ce que nous ne le sommes pas déjà ?

— Pas tout à fait selon la loi. Notre mariage a eu lieu « en secret », donc à la sauvette. Ce qui ne sera pas le cas cette fois. Nous devons y être dans trois jours et Monsieur le Duc écrit que tout sera prêt !

Et en effet, lorsqu’ils arrivèrent, ils trouvèrent la petite ville pavoisée et fleurie où, après leur avoir laissé le temps de faire toilette, on les mena à l’église Saint-Crépin. Là, ils furent mariés en bonne et due forme par l’archiprêtre entouré de son clergé au complet, en présence de la noblesse, des notaires royaux et de tout ce que l’on avait pu trouver d’illustrations urbi et orbi. Ils étaient si beaux tous les deux que le peuple les acclama, leur lança des fleurs quand ils sortirent de l’église, et les accompagna jusqu’à l’hôtel de ville où un vrai repas de noces les attendait. Rayonnante dans une robe de satin blanc qu’elle avait trouvée en arrivant – menu cadeau de Madame la Princesse ! –, Isabelle séduisit l’assistance : les hommes par sa rayonnante beauté, les femmes par sa gentillesse et son esprit.

— C’est irréel ! confia-t-elle à son époux. Nous allons enfin pouvoir être heureux chez nous et à la face du monde ! Mais pourquoi donc faites-vous cette mine ?

— C’est que… euh… nous allons continuer encore un peu d’être heureux à Stenay ! fit Gaspard, mi-figue mi-raisin.

— Comment cela ? Nous sommes dûment mariés, il me semble.

— Sans doute, mais, avant que nous ne puissions rentrer à Paris, il faut que le Parlement enregistre les minutes de notre deuxième mariage et déboute monsieur mon père et madame votre mère de leurs plaintes.

— Oh, non !

— Eh si ! Allons ! Ne vous désolez pas ! Est-ce que je ne suis pas auprès de vous, entièrement à vous, ce qui ne pourra se faire quand nous reverrons Paris ? Nous allons tranquillement regagner notre logis de Stenay et nous aimer tout à loisir sans que personne vienne nous importuner !

Pour seule réponse, Isabelle se jeta à son cou en riant.

— Comme vous avez raison ! Allons nous aimer, mon cœur !

Avant de quitter Château-Thierry, Gaspard écrivit à celui qui ne cessait de lui prouver son amitié une lettre de remerciement lui en promettant une plus longue une fois retournés « en la compagnie du bonhomme Chamilly ».

Le second séjour fut nettement plus court. Cette fois l’union des deux fugitifs ne présentait plus d’irrégularité. Le cardinal Mazarin et le nonce réussirent à faire entendre raison au maréchal de Châtillon qui se résigna enfin à ne pas donner suite à son procès. Cependant, têtu comme une bourrique, il y mit une condition que le jeune couple apprit de la princesse Charlotte quand il arriva enfin à l’hôtel de Condé :

— Il veut que votre mariage soit solennellement confirmé à Paris !

— Quoi ? Le grand déploiement de Château-Thierry ne lui suffit pas ? explosa Gaspard hors de lui. Que veut-il encore que nous fassions ? Que nous allions à Rome nous faire bénir par le pape ? Je suis un soldat, moi, et je voudrais bien rejoindre Monsieur le Duc !

— Ne vous tourmentez pas ! Cela ne va pas être long…

En effet, quelques jours plus tard, le 19 juin, ce mariage en trois actes était béni à Notre-Dame par l’archevêque de Paris, Mgr de Gondi, en présence de la Reine, du cardinal Mazarin, de la Cour et d’une partie du Parlement, mais en l’absence du maréchal de Châtillon et de Mme de Bouteville, avec laquelle cependant Isabelle était allée faire sa paix, ainsi d’ailleurs qu’avec sa sœur qui était sur le point de partir pour Valençay.

Lorsqu’ils sortirent de la cathédrale au son des cloches en se tenant par la main et en répondant de leur mieux aux acclamations, Isabelle dit à Gaspard sans le regarder :

— Sommes-nous vraiment assurés à présent d’être mariés pour de bon ?

— Il faut l’espérer, mon cœur, fit-il en riant et en posant un baiser rapide sur la main qu’il tenait. Puisque même Sa Sainteté le pape est d’accord, je pense qu’il faudrait alors monter jusqu’à Dieu pour trouver meilleure caution, mais cela exigerait de quitter la Terre que je trouve si belle depuis que vous êtes à moi !

— Nous voilà devenus héros de roman ! La vie ne va-t-elle pas nous sembler un brin monotone ?

— Monotone ? Je vais tenter de vous apporter la gloire conquise auprès de Monsieur le Duc cependant que vous brillerez à la Cour en attendant les heures sublimes que nous goûterons à mes retours… Et puis peut-être pourrions-nous songer à des enfants ?

« Des enfants ? », pensait Isabelle en remontant dans le carrosse qui allait les reconduire à l’hôtel de Condé d’où la Princesse l’emmènerait à Chantilly tandis que Gaspard partirait pour les armées. Elle n’y avait encore jamais pensé et, à la réflexion, n’était pas certaine d’en éprouver l’envie. Pour ce qu’elle avait pu constater des joies de la maternité, elles débouchaient peut-être sur un triomphe du mari, mais, pour la femme, cela voulait dire des mois de nausées et autres ennuis, tandis que sa taille – si fine et si souple ! – enflerait jusqu’à ce que le ventre ait atteint une laide circonférence dont, enfin, des heures de souffrance seraient nécessaires pour la délivrer ! C’était bien un homme pour évoquer cela !

Mme de Longueville n’avait pas assisté au mariage, elle non plus, n’ayant sans doute pas jugé utile de quitter le magnifique château de Coulommiers, où elle attirait une foule de monde, pour un événement qu’elle considérait légèrement ridicule.

Son absence enchanta Isabelle, peu désireuse de servir de cible aux quolibets souvent cruels de son ennemie. D’autre part, elle n’était pas mécontente de recevoir des échos de Coulommiers où jeune belle-mère et belle-fille s’entendaient comme chien et chat, au point que Longueville avait choisi de prendre la poudre d’escampette en direction de son gouvernement de Normandie, où, selon les courants d’air locaux, il se serait trouvé une consolatrice en la personne, déjà un peu sur l’âge mais fraîche comme une laitue, d’une accueillante et bonne fille immensément fière de surcroît d’avoir été distinguée par M. le duc, et aussi gourmande qu’il pouvait l’être. Il fallait bien cela à ce malheureux chassé de chez lui par deux mégères et, par-dessus le marché, plus ou moins abandonné par sa maîtresse en titre. Depuis l’arrestation du duc de Beaufort, Mme de Montbazon avait obtenu, Dieu sait comment – peut-être parce qu’elle était l’épouse du gouverneur de Paris –, la permission de lui rendre visite dans sa prison deux fois la semaine afin de lui porter les consolations d’une maîtresse aimante et, sur un autre plan, quelques apaisements aussi utiles pour la santé mentale que physique… Le peuple de Paris, ce successeur du chœur antique, chantait à ce propos :

Beaufort est dans le donjon

Du bois de Vincennes

Pour supporter sa prison

Avec moins de peine

Il aura sa Montbazon

Deux fois la semaine…

Lassée des criailleries, Mme de Longueville finit par rentrer à Paris. L’été y était pratiquement aussi chaud qu’à Coulommiers, mais son hôtel pourvu de jardins nettement plus silencieux. Tellement plus agréable aussi pour y recevoir François de La Rochefoucauld – prince de Marcillac –, qui lui vouait une ardente et sombre passion où elle finit par s’embraser elle-même…