— Vous oubliez le plus beau, le cadeau entre tous les cadeaux, la cerise sur le gâteau ! Le cardinal Mazarin au complet et en état de marche ! s’écria la Princesse sans plus retenir son fou rire.
— Et cela vous fait rire, ma mère ? reprocha froidement sa fille. Cela veut dire que ce lazzarone sorti de nulle part va entrer au Conseil pour y occuper la place de Richelieu et continuer sa politique ?
— Sans aucun doute, mais apaisez-vous, ma sœur, intervint Enghien. Songez que le Roi, lui aussi, est fort malade, et qu’il ne verra pas s’achever l’année qui s’ouvre dans quelques jours… Et alors…
— Et alors, gronda son père, nous les Condés servirons la Reine, qui recevra la régence, et le petit Roi comme nous avons servi celui qui va partir. N’oublions pas qu’une bonne partie du royaume repose sur nous et que j’ai de grandes charges ! Cela oblige…
Bien qu’il fît semblant de ne pas y croire tant que ce fut possible, Louis XIII s’en allait en effet vers sa fin… Le 22 avril suivant – 1643 –, au château de Saint-Germain, et après quelques semaines fluctuantes qu’il s’efforçait de maîtriser au moyen de tout ce qui lui restait d’énergie, il fut incapable de quitter son lit et comprit qu’il n’en sortirait plus. Alors il entreprit de régler ses dernières dispositions. D’abord il fit baptiser son fils – l’enfant n’était qu’ondoyé jusque-là ! Il choisit pour marraine la princesse de Condé… et le cardinal Mazarin comme parrain. La cérémonie eut lieu dans la chapelle du château en présence de toute la Cour, après quoi il demanda qu’on lui amène le petit garçon de quatre ans et demi.
— Mon fils, comment avez-vous nom à présent ?
— Louis XIV, répondit le petit sans hésiter.
— Pas encore, mais ce sera peut-être bientôt si c’est la volonté de Dieu.
Pourtant, fidèle à sa promesse si Claire-Clémence annonçait une grossesse, le Cardinal avait confié les armées du Nord à Louis d’Enghien et la campagne contre les Espagnols et Impériaux débutait. Le 12 mai, le Roi mourant eut une étrange prémonition et fit signe d’approcher au prince de Condé qui ne le quittait plus.
— Je viens de rêver, souffla-t-il, que M. le duc d’Enghien, votre fils, en était venu aux mains avec l’ennemi, que le combat avait été bien rude et opiniâtre et que la victoire avait été longtemps contrebalancée. Cependant, elle nous est demeurée avec le champ de bataille…
C’était la magnifique victoire de Rocroi que le mourant venait d’annoncer. Elle chassait les Espagnols de la terre de France pour de longues années et faisait du jeune duc de vingt-trois ans un héros !
1 Il avait reçu le « chapeau » peu de temps auparavant.
5
Le « chandelier »
La magnifique victoire, ce fut l’hôtel de Condé qui l’apprit en premier de la bouche de La Moussaye, à la fois rayonnant et exténué, mais tout de suite l’annonce se répandit à la vitesse d’une traînée de poudre enflammée. Avant même que le messager ne parvienne au Louvre, Paris éclatait d’enthousiasme, amassait paille et bois pour les feux de joie autour desquels on allait danser tandis que s’ébranlaient les cloches de toutes les églises, entraînées par le gros bourdon de Notre-Dame, où dès le lendemain on chanterait un Te Deum. On s’attroupait devant la demeure du héros pour acclamer sa famille et les cavaliers qui venaient apporter les drapeaux pris à l’ennemi, devant lesquels François de Bouteville, émerveillé, s’agenouilla pour en baiser la soie avec des larmes de bonheur.
La Princesse, Mme de Longueville et Isabelle eurent l’impression que le ciel s’ouvrait pour elles et il n’y eut jusqu’au plus petit marmiton qui ne se sentît grandi et honoré par l’intensité de cette gloire dont s’illuminait la demeure.
La Reine et le cardinal Mazarin se déclarèrent enchantés. Cette belle victoire tombait à pic pour conforter le pouvoir absolu que la Régente s’était fait attribuer en faisant casser le testament de son défunt époux par le Parlement… En résumé, tout le monde était content… sauf Monsieur le Prince qui déclara à Pierre Lenet, procureur général au parlement de Bourgogne, mais aussi son ami et conseiller très écouté :
— Souvenez-vous que, tant plus que mon fils acquiert de la gloire, tant plus que le malheur arrivera à ma maison !
Lenet ne se récria pas parce qu’il le connaissait parfaitement et savait réfléchir. Aussi, loin d’attribuer cette prédiction pessimiste à l’affreux caractère de Condé, se contenta-t-il de lui répondre qu’il pourrait bien avoir vu juste.
— Que cela ne vous empêche pas, Monseigneur, de demander un gouvernement pour notre vainqueur quand il sera de retour !
— Vous croyez qu’on me l’accordera ?
— S’il n’y avait que Mazarin, je dirais oui sans hésiter, car Rocroi l’enchante. Quant à la Reine, elle aurait applaudi la nomination sans hésiter si, depuis la mort du Roi, elle n’écoutait avec un tel plaisir les dangereuses sirènes de jadis…
En effet, dès que le testament de Louis XIII eut été détruit, tous ceux qu’il avait exilés s’étaient hâtés de revenir pour apporter leur soutien à Monsieur (Gaston d’Orléans), l’éternel conspirateur. A leur tête la dangereuse duchesse de Chevreuse, la plus chère amie d’autrefois, sans doute déçue à sa première visite de n’avoir pas reçu l’accueil espéré (elle avait changé et la Reine aussi), mais dont les alliances pesaient lourd puisqu’elle était fille du vieux duc de Montbazon dont l’épouse était la maîtresse du duc de Longueville. Le duc de Chevreuse était lui-même frère du duc de Guise, ce qui joignait les Lorrains à ces gens épris de vengeance qui reportaient sur Mazarin la haine recuite vouée à Richelieu, en y ajoutant une solide dose de mépris pour sa condition première. Mme de Chevreuse ne cachait d’ailleurs pas sa volonté de mettre son ancien amant Châteauneuf à la place de l’Italien maudit. L’intention générale étant de l’assassiner tout bêtement. Or, les Condés, au service du Roi avant tout, se retrouvaient du côté de son ministre et la gloire d’Enghien offusqua les revenants.
Résultat : le vainqueur peut bien être porté aux nues, il n’aura pas le gouvernement souhaité, son père se verra refuser la plupart des grâces demandées pour ses officiers et il ne recevra de la Reine que des compliments dépourvus de chaleur. Monsieur le Prince prit alors sa plus belle plume pour écrire à son fils : « Vos affaires vont mal, vos services sont peu reconnus, vos alliés maltraités et vos ennemis avancés… », ce qui ne parut pas troubler outre mesure le jeune homme qui répondit que, pour le moment, il avait Thionville à assiéger selon les désirs du cardinal Mazarin, mais pour le Roi, et que c’était tout ce qui lui importait…
Or l’un des premiers gestes d’Anne d’Autriche, Régente de France, avait été de rendre définitivement le domaine de Chantilly à la princesse Charlotte de Bourbon-Condé qu’elle aimait beaucoup. Si elle avait retenu jusque-là le présent annoncé peut-être prématurément, c’était en raison de la santé déclinante de son époux. Le Roi s’était pris d’affection pour le beau domaine des Montmorency, et surtout pour sa forêt où il aimait chasser, le préférant parfois à son petit Versailles. Lui demander la signature alors que sa fin approchait eût été cruel. Pourtant, elle avait su, peu de jours avant sa mort, qu’il ne s’y serait pas opposé.
Au soir du baptême de son fils, dont Charlotte avait été choisie pour être la marraine, il avait dit à son épouse :
— Quand je n’y serai plus, vous restituerez Chantilly à la Princesse…
— Que ne le faites-vous vous-même ?
— Non. C’est la trahison du duc Henri qui l’a rapporté à la Couronne. Je ne peux pas plus lui pardonner que rendre la vie au coupable. Venant de vous qui êtes son amie et offert à la marraine de votre fils, cela change tout !
A l’hôtel de Condé, la joie avait été immense, même si Monsieur le Prince avait continué de ronchonner sur ce qu’il considérait comme un déni de justice.
— J’aurais compris qu’on le donne à Enghien en récompense de sa magnifique victoire, mais à vous… !
— Eh bien, quoi, « à moi » ?
— A une marraine on offre des dragées, pas des châteaux !
— Quand on s’appelle Henri II de Bourbon-Condé peut-être ! Pas quand on est… Louis XIV ! Vous allez siéger au Conseil de régence, cela devrait vous suffire ? Au moins pour le moment.
— Avec ce faquin de Mazarin comme ministre ? Voulez-vous le fond de ma pensée ? J’ai l’impression de me retrouver une bonne vingtaine d’années en arrière après la mort de votre amoureux parfumé à l’ail, quand nous avons dû subir les caprices et les rodomontades de Concino Concini !
— Je n’ai pas remarqué que celui-là eût été cardinal.
— Non. Il était ce qu’il était et ne s’affublait pas d’une simarre ainsi que celui qui n’est même pas curé de village !
— Oh, vous m’agacez, Monseigneur ! Allez donc là où votre devoir vous appelle, c’est-à-dire au Louvre, et moi je vais donner l’ordre que l’on attelle et visiter mon cher Chantilly ! Ne soyez pas en peine de moi, ce soir, je demanderai l’hospitalité de notre cousine Bouteville ! Elle va être si heureuse de notre retour ! Son Précy n’est qu’à une lieue du domaine !
— Qui pensez-vous emmener ?
— Isabelle et François, naturellement, Marie de La Tour…
— Et Mme la duchesse de Longueville ?
— Ma foi, non, je vous la laisse ! Elle préfère attendre que le château ait retrouvé un semblant d’ordre.
— Ce qui signifie qu’elle s’apprête à recevoir dix ou douze thuriféraires venus encenser et cajoler la sœur du vainqueur, que l’on va chanter, danser ou Dieu sait quoi, et qu’il me sera impossible de trouver un endroit tranquille sous mon propre toit.
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