— Sire ! Voici le dernier des Montmorency que je vous amène ! Faites-en ce que vous voudrez !
Puis, tournant les talons, elle était partie en laissant l’enfant ! Sans que d’ailleurs celui-ci cherche à la suivre. Ce petit bonhomme d’à peine cinq ans était resté debout, très digne devant les deux hommes. Et Louis XIII avait alors posé une main sur sa tête tandis que le Cardinal soupirait :
— Plus que jamais je regrette qu’un tel sang eût été répandu en vain… Il faut prendre soin de ce qu’il en reste !
Et c’est muni d’une lettre royale qu’il avait été ramené à l’hôtel de Bourbon-Condé dans une voiture de la Cour par le chancelier Séguier… Le dernier des Montmorency était confié officiellement à Monsieur le Prince, époux de la dernière du nom…
— Il me semble que nous nous sommes beaucoup écartés de notre sujet initial, fit soudain Isabelle pour rompre le silence qui s’était installé. Où en étions-nous donc ? Ah oui ! Vous disiez qu’Anne-Geneviève aurait préféré son frère à tout autre épouseur, mais ce n’est pas son cas à lui, n’est-ce pas ?
— La belle Marthe du Vigean pour laquelle il souhaitait si fort se démarier dès que le Cardinal aurait quitté cette terre de douleurs ? En fait il ne l’a aimée que parce qu’elle et notre cousine ne se quittaient jamais, l’une étant un peu le reflet de l’autre. En outre, il faut avouer qu’elle est vraiment ravissante, si blonde elle aussi ! C’était facile de reporter sur elle son amour pour sa sœur, mais souvenez-vous que les relations se sont refroidies entre les deux filles quand notre nouvelle duchesse a compris que c’était pour épouser son amie que son frère désirait tant être libéré d’un mariage qui l’insupportait et l’insupporte toujours ! Cela va être amusant d’observer ce qui se passera maintenant qu’Anne-Geneviève est libre…
— Libre ? Vous confondez, François ! Elle est mariée…
— Je sais, mais je sais aussi ce que je dis ! Réfléchissez ! Elle n’a plus aucun compte à rendre à personne, sinon à un vieux mari qui passera le plus clair de son temps en Normandie et qui ne se donnera pas le ridicule de l’enfermer ou seulement de la surveiller. Il entend bien continuer à batifoler avec sa Montbazon. En admettant que notre cousine en ait envie, elle va pouvoir prendre tous les amants qu’elle voudra !
— Est-ce que vous n’oubliez pas quelqu’un ? fit Isabelle en souriant.
— Et qui donc, mon cœur ?
— La belle-fille, pardi ! Cette Marie d’Orléans que Longueville a eue de son premier mariage avec Mlle de Soissons. Elle n’a que dix-sept ans et, sous son air paisible, je la soupçonne de savoir très bien ce qu’elle veut et aussi le moyen de l’obtenir.
— Oui, mais ne comptez pas là-dessus ! Comme elle la déteste déjà, elle n’aura aucune envie de cohabiter avec elle et se cantonnera dans le superbe château de Coulommiers, qui lui appartient d’ailleurs…
— Ne compliquez pas tout ! Une chose est certaine : me voilà débarrassée de la divine Anne-Geneviève désormais nantie d’un superbe hôtel à Paris, sans oublier…
— A votre place, voyez-vous, j’en serais moins sûre parce que…
Il n’acheva pas sa phrase. Soudain furieuse, Isabelle avait saisi le premier objet qui se trouvait sous sa main – en l’occurrence un innocent drageoir posé sur un meuble – pour le lui envoyer à la tête.
— Dehors, oiseau de mauvais augure ! On dirait que vous prenez un malin plaisir à me gâcher la vie avec vos prédictions fabriquées de toutes pièces…
Manquant son but, la boîte de faïence alla se briser contre la porte derrière laquelle le jeune garçon avait déjà disparu, en répandant ses sucreries sur le sol. Isabelle l’entendit rire aux éclats, renonça à le poursuivre, puis se baissa pour ramasser les dragées et en croquer pour se remonter le moral. Après quoi, s’affalant dans un fauteuil devant une fenêtre ouverte sur la senteur délicieuse des roses du jardin, elle se mit à rire à son tour. Ce François !
Et pourtant…
La belle tranquillité dont Isabelle se promettait tant de joie n’allait guère durer. Quelques jours après le mariage de sa cousine, Cinq-Mars, de Thou et les principaux conspirateurs contre la vie du Cardinal et la sécurité de la France étaient arrêtés, dénoncés par la Reine, prise d’un remords de conscience, mais aussi peut-être poussée discrètement par le cardinal Mazarin devenu le bras droit de Richelieu et dont la finesse retorse devinait et découvrait quantité de choses. Anne d’Autriche, consciente enfin de son rang et de la certitude que, bientôt veuve, elle allait devenir mère du Roi, avait fait parvenir à son ennemi de toujours copie du traité que les conjurés avaient signé avec l’Espagne… Or, parmi ceux-ci, il y avait le duc de Bouillon commandant alors l’armée d’Italie. Arrêté, il fallut le remplacer. Sans autre délai, un ordre royal arracha Longueville à sa lune de miel pour l’envoyer prendre le commandement abandonné.
A la grande joie de la nouvelle duchesse qui rentra à Paris toutes affaires cessantes. Mais pas à l’hôtel de Longueville.
— Je viens me réfugier chez vous, mère ! fit-elle avec des effusions tout à fait révélatrices. Mon hôtel est aux mains des ouvriers qui le rénovent de bas en haut. A ma demande d’ailleurs ! Je ne pouvais pas me supporter dans ces vieilleries… Et puis on s’amuse tellement mieux ici !
— Vous ennuyiez-vous donc à ce point ? Votre époux ne vous a-t-il point offert les honneurs de sa Normandie ?
— Oh, si ! s’exclama la duchesse de fraîche date avec un soupir qui en disait long. J’ai été assommée de harangues, de fanfares, de compliments, de banquets interminables où tout un chacun tenait à célébrer ma beauté et le bonheur de mes nouveaux sujets. Ainsi que de mille autres prétendues distractions !
— Et vous n’avez pas pu vous amuser un peu au milieu de tous ces plaisirs ? demanda Isabelle, l’air ingénu.
— Je n’aime pas les plaisirs innocents ! lui assena celle qu’il fallait bien appeler son ennemie. C’est bon pour le petit peuple ! Et puis il pleut tout le temps ! Sait-on quand rentre mon frère ?
— Et moi, on ne s’enquiert pas de mes nouvelles ? bougonna Monsieur le Prince qui, rentrant de l’Hôtel de Ville, venait se joindre au comité d’accueil.
Sa fille alluma à son intention un éblouissant sourire en glissant vers lui de cette démarche à la fois lente et aérienne qui faisait se récrier d’admiration les thuriféraires de l’hôtel de Rambouillet.
— C’était mon intention, mon père, et, si j’ai donné la préférence à Enghien, c’est parce qu’il est aux armées et plus en péril que vous qui gouvernez Paris !
— Il peut arriver qu’on y reçoive un coup de couteau ! Demandez plutôt à madame votre mère ! lâcha-t-il avant de repartir en haussant les épaules… et de revenir sur ses pas presque aussitôt. A propos, je savais bien que j’avais quelque chose à vous dire ! Si toutefois cela vous intéresse. Ce dont je ne suis pas certain !
— Voyons cela, Monseigneur ! pressa sa femme, agacée par cette manie qu’il avait de distiller les nouvelles goutte à goutte lorsqu’il en tenait une.
— Sa Majesté le Roi a perdu sa mère ! Marie de Médicis vient de mourir à Cologne, au bord du Rhin… dans la misère, à ce que l’on prétend !
— Dans la misère ? s’écria son épouse. Comment est-ce possible, quand on pense à l’énorme fortune en joyaux qu’elle avait emportée ? Jamais, femme, Reine, impératrice ou qui que ce soit d’autre n’en a possédé autant. De plus, elle se laissait entretenir par tous les ennemis de la France, et en particulier ceux de son fils. Je jurerais qu’elle trempait dans la conjuration de Cinq-Mars. Comme toutes les autres conspirations précédentes !
— Inutile de jurer ! Tout le monde sait cela ! Mieux encore. Si j’en crois Châteauneuf, elle venait de dépenser ses derniers deniers à l’achat de mules et du nécessaire vital pour rentrer en France. Sachant le Roi quasi à l’agonie, elle pensait qu’une fois mort elle pourrait siéger au Conseil de régence et imposer de nouveau ses idées !
La Princesse eut une grimace de dégoût, puis se signa.
— Fi donc ! Il convient de souhaiter que Dieu ait son âme, mais, si j’étais lui, je ne saurais trop qu’en faire !
— Je ne suis pas en peine pour lui, mais bien pour le Roi ! En arrivant dans l’autre monde, c’est elle qu’il va rencontrer en premier… De quoi vous gâcher votre éternité !
— Voulez-vous vous taire ! Ce genre de discours est inconvenant devant de jeunes esprits…
Mais la nouvelle duchesse de Longueville ne l’entendit pas. Elle sortait déjà pour aller procéder à sa réinstallation, et Isabelle lui emboîta le pas, désireuse de cacher sa déception au jardin. C’en était fini des douces rêveries dans l’attente du héros de son cœur. Elle se faisait une fête d’être la première qu’il saluerait après sa mère – peut-être même qu’il l’embrasserait ? –, mais non, sa sœur serait là qui l’accaparerait comme elle en avait l’habitude et, pour peu que le commandement de Longueville le retienne plus longtemps au loin, on ne verrait presque jamais Enghien. D’autant que sa femme était enceinte, ce qui l’obligeait à des égards. C’était à pleurer !
Le mois de septembre marqua le terme des opérations dans le Roussillon. Perpignan tomba le 9 et la prise de Salse, quelques jours plus tard, signa la conquête définitive, mais, entre-temps, à Toulouse, Henri d’Effiat, comte de Cinq-Mars, et son ami de Thou étaient montés à l’échafaud. Sur une autre frontière, le cardinal Mazarin1 prenait possession de Sedan, abandonné par le duc de Bouillon en échange de sa tête, y installait le maréchal Fabert puis rentrait à Paris où la santé de Richelieu se détériorait presque à vue d’œil. Mais Enghien ne revenait pas. Il avait rejoint la Bourgogne où monsieur son père s’était rendu lui aussi.
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