— Alors pourquoi voulez-vous que j’y aille ? Mais vous-même, ma mère, j’espère que vous vous apprêtiez à partir.
— En laissant cette malheureuse aux prises avec un mal qui la désespère parce qu’elle redoute d’en sortir défigurée… en admettant qu’elle en sorte ? Ce qu’elle préférerait je pense !
— Je reconnais bien là votre bonté, mais vous pouvez aussi aller chercher le bon air de la campagne : je vais rester près d’elle !
— Vous ? Mais…
— Jusqu’à preuve du contraire, elle porte mon nom. Et, tant qu’il en sera ainsi, je lui dois aide et protection ! Partez tranquille !
Un instant, Charlotte de Condé contempla son fils sans rien dire. Puis elle l’attira à elle pour l’embrasser.
— Vous me surprendrez toujours, Louis ! Mais je suis fière de vous ! Nous allons donc demeurer ensemble !
— Je suppose qu’il est inutile de discuter ?
— Vous supposez bien !
— Qui le carrosse attend-il en ce cas ?
— Votre sœur, les deux petites Bouteville évidemment, et Angélique d’Angennes, la cadette de Mme de Rambouillet… Sa mère tient à rester dans sa Chambre bleue et Julie refuse de quitter Paris, ses poètes et sa gloire toute neuve !
— Et… les demoiselles du Vigean ?
La voix de la Princesse baissa de plusieurs tons :
— J’ignore pourquoi, mais votre sœur s’y oppose. Elle dit que ce ne sont pas les refuges familiaux qui leur manquent. Ce qui n’est pas faux…
— … mais ne vous semble pas une explication suffisante. A moi non plus, mais il me semble que ma chère Marthe a perdu sa place dans le cœur, chaleureux jusqu’à présent, de celle qu’elle considérait comme sa meilleure amie. Cela date de ce soir et je ne sais rien de ce qui a pu se passer chez Mme de Rambouillet…
— Je refuse de me tourmenter pour cette peccadille ! Nous avons suffisamment de soucis pour nous en fabriquer d’autres avec les caprices de Mlle de Bourbon-Condé ! Allez prendre un peu de repos à présent, mon fils ! Et occupons-nous de ceux qui en ont vraiment besoin !
1 Née Marie de Bragelongne.
2 En fait, le futur Grand Condé faisait une solide dépression nerveuse compliquée de problèmes respiratoires.
3 Voir, du même auteur, Marie des intrigues, Plon, 2005.
4 Elle avait épousé Charles d’Angennes, marquis de Rambouillet.
5 Future Mme de Maintenon.
6 La Fontaine honorait « maître Vincent » à l’égal de « maître François » (Rabelais) et de « maître Clément » (Marot).
7 De Montpensier, fille du premier mariage de Monsieur, frère du Roi.
3
La colère du Cardinal et ce qui s’ensuivit…
Que faire sinon des vers quand on est quatre belles jeunes filles pleines d’esprit non seulement exilées à la campagne mais encore obligées de décamper à plusieurs reprises devant les rejets d’une épidémie qui semblait décidée à errer çà et là sans but précis !
C’est ainsi qu’après avoir séjourné à Méru, puis à la Versine, puis à Mello et enfin à Liancourt, ces demoiselles, qui, à dire vrai, n’engendraient pas autrement la mélancolie mais trouvaient le temps long, écrivirent à quatre plumes un poème d’une ampleur comparable à celle des épopées des aèdes de la Grèce antique, destiné à faire connaître à l’hôtel de Rambouillet comme à celui de Condé ce qu’elles pensaient de la situation :
Quatre nymphes, plus vagabondes
Que celles des bois et des ondes,
A ceux qui d’un cœur attristé
Maudissent leur captivité.
Nous de qui tant de beaux esprits
Ont conté cent mille merveilles
Que nos beautés n’ont pas de prix
[…]
Nous qui prétendions en tous lieux
Etre incessamment admirées
[…]
Nous ne trouvons pas un seul lieu
Où retraiter en toute la terre
[…]
Au bruit de ce mal dangereux
Chacun fuit et trousse bagage
Car adieu tous les amoureux
Si nos beautés faisaient naufrage
[…]
Voilà celles que les mourants
Nommaient les astres de la France ;
Mais ce sont des astres errants
Et qui n’ont guère de puissance.
L’épidémie régressait. On rapatria les « nymphes errantes » un peu surprises et même légèrement vexées d’occuper moins de place qu’elles ne l’espéraient dans la vie et les préoccupations de leurs galants. L’éternelle guerre contre l’Espagne allait reprendre, mais s’y joignaient avec les mauvais résultats de santé du Cardinal une rumeur sourde, une vague atmosphère de conspiration. En fait, il s’en levait une, encore larvée, celle que menait le Grand Ecuyer de France – que l’on appelait Monsieur le Grand –, le jeune et beau Cinq-Mars pour lequel Louis XIII, déclinant lui aussi, s’était pris d’une profonde affection, qu’il traitait en fils préféré et qui, naturellement, en abusait. On chuchotait que, bien entendu, Monsieur, frère du Roi, en était, et que la Reine même ne l’ignorait pas.
Plein d’espoir, et Claire-Clémence une fois guérie, Enghien avait repris sa vie de célibataire en se félicitant d’avoir si rondement joué sa partie, avec l’aide de Dieu peut-être, ce qui le confortait dans sa volonté de laisser sa femme vierge. Aussi fut-il fort surpris par la visite inopinée de son père et du langage qu’il lui tint :
— Les gens mariés doivent vivre ensemble et il serait temps que vous cessiez de vous tenir loin de votre femme. Vous avez accompli votre devoir envers elle durant sa maladie, ce qui est louable, mais maintenant vous devez habiter tous deux votre propre demeure : j’entends ce bel hôtel tout neuf où vous ne mettez jamais les pieds. A moins que vous ne préfériez la Bastille ?
— La Bastille ?
— Naturellement, puisque vous agissez en rebelle… Mais, rassurez-vous, les princes du sang y sont convenablement traités !
Peu tenté, néanmoins, le jeune duc choisit la cohabitation… qui ne serait peut-être pas très longue ? Et c’est ainsi qu’un beau soir, la petite duchesse revit l’époux qu’elle s’obstinait à adorer au seuil de l’hôtel de La Roche-Guyon dans lequel ils pénétrèrent côte à côte. Après quoi, dès le vestibule, il la salua… et fila droit à l’hôtel de Rambouillet où il était pratiquement certain de retrouver Marthe du Vigean. Il passa en sa compagnie une charmante soirée, emplie d’espérance, avant de rentrer sagement chez lui, mais pas dans l’appartement de Claire-Clémence, qui attendait pourtant tellement sa visite qu’elle pleura toute la nuit.
L’écho de ses larmes atteignit à la vitesse du courant d’air l’oreille sensible de Richelieu et Enghien n’oublierait plus, de sa vie, cette nuit de janvier 1642 où, tandis qu’une tempête de neige aveuglait Paris, le Cardinal manda à son chevet ce garçon devenu son neveu à son corps défendant et pour lequel il n’avait eu jusque-là que des bontés. Cette fois le rebelle allait entendre un autre langage :
— Monsieur le Duc, commença-t-il, voici bientôt un an que vous avez épousé ma nièce, et non seulement elle ne présente encore aucun signe de grossesse, mais en plus on m’assure que vous ne la voyez autant dire jamais… hors ce temps de maladie où vous avez assumé votre devoir de protection, ce dont je vous remercie. Mais ce n’est pas en tant que garde-malade que je vous ai choisi, et je vous croyais plus soigneux de votre nom !
Enghien, impressionné en dépit de son audace, ne pouvait détacher son regard de cette longue forme maigre au visage émacié encore aminci par la splendeur des courtines pourpres et des oreillers d’une blancheur éclatante. L’homme s’amenuisait en son aspect physique, mais l’esprit restait le même : intact, impérieux, dominateur. Ne sachant que répondre, le jeune homme se contenta de courber les épaules, en attendant la suite qui ne tarda guère :
— Demain, reprit le Cardinal, je rejoins le Roi à Fontainebleau d’où nous partirons pour le Languedoc où se lèvent des troubles. Voyez-vous, hier Sa Majesté me priait de vous emmener afin de vous attribuer, aux armées, un rang digne de votre vaillance et de votre nom… soucieux de se continuer ! Qu’en pensez-vous ?
Louis se sentit pâlir. C’était sa vie qui allait se jouer dans cette chambre.
— Votre Eminence devrait comprendre que le jeune âge de la duchesse…
— Balivernes, Monsieur ! Votre épouse va avoir quinze ans. Elle est en âge de porter un enfant. Encore faudrait-il pour cela que vous vous y employiez !
— Ma santé a occasionné des inquiétudes pénibles à mes proches, et je n’ai guère eu le temps de…
Avec effort, Richelieu se redressa dans son lit, foudroya le jeune homme du regard et pointa vers lui sa main décharnée :
— Assez, Monsieur ! Ne jouez pas au plus fin avec moi ! Le temps ne me semble pas vous faire défaut pour fréquenter la Chambre bleue de Mme de Rambouillet. Je sais ce que vous pensez, ce que vous attendez, mais ne comptez pas sur ma mort pour faire vos affaires et vous libérer du serment prononcé devant l’autel. J’ai la promesse du Roi. Vous n’obtiendrez un commandement digne de vous que lorsque votre femme attendra un enfant !
— Mais…
— Pas de mais ! Allez, Monsieur, et songez à ce que je viens de vous dire. Il vous faut choisir : la gloire et ma nièce à vos côtés, ou la piètre auréole d’un muguet de ruelle avec Mlle du Vigean – dont j’ai d’ailleurs bien meilleure opinion que de vous-même ! C’est une âme pure, droite. Seule votre passion la détourne de Dieu qui l’attire. Elle méritait mon respect. De là vient que je ne l’ai pas fait écarter de la Cour. Elle le mérite toujours : vous le lui direz… quand vous lui ferez vos adieux !
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