La voix du jeune homme était douce mais, derrière son élégante silhouette, celles bien moins distinguées d'une escouade de gardes se montraient. Visiblement contrarié et peut-être inquiet, le peintre ambassadeur acquiesça de mauvaise grâce.

— Si vous y tenez vraiment ! Ma chère amie, souffrez que je vous présente donc messire Robert de Courcelles, écuyer de Monseigneur le Duc... Souhaitez-vous encore quelque chose, messire Robert ?

— Non pas, messire Van Eyck et je vous remercie ! Madame, ajouta-t-il en revenant à Catherine, mon maître, très haut et très puissant seigneur Philippe, par la grâce de Dieu duc...

— Abrégeons, mon ami, abrégeons ! coupa Van Eyck impatienté.

Outre que nous savons tout cela par cœur, on gèle dans cette rue !

Comme il vous plaira ! fit Courcelles vexé. Or donc mon maître m'envoie vers vous, madame, pour vous prier de vouloir bien m'accompagner car il désire, sitôt la cérémonie terminée, avoir avec vous un moment d'entretien.

— Vous accompagner où ? demanda la jeune femme avec hauteur.

— Au palais où l'on aura pour vous toutes sortes d'égards, où l'on ne vous retiendra pas longtemps à ce que l'on m'a dit et où...

— Et où je n'irai pas, messire ! Dites à votre maître que je le salue et lui rends l'hommage dû à son rang, que je le remercie de son...

invitation mais que je suis femme, lasse car je viens d'accomplir une longue route et que je ne souhaite rien d'autre, à cette heure, que me reposer au coin d'un bon feu...

— Le feu ne manquera point, coupa Courcelles soudain très agité et j'ai reçu l'ordre de ne pas revenir sans vous !

Catherine eut un haut-le-corps et fronça les sourcils.

— Est-ce à dire que vous m'arrêtez ?

— En aucune façon mais, je l'ai dit je crois, Monseigneur souhaite vous entretenir un moment, il me l'a fait entendre et vous savez peut-être qu'il n'admet pas que ses ordres soient discutés... ni ses invitations éludées. Venez donc sans plus vous faire prier, madame... ou bien, si vous préférez prendre un peu de repos avant l'audience, j'aurai le devoir de vous accompagner là où vous vous rendrez, d'y attendre votre bon plaisir... et de vous ramener ensuite au palais !

Van Eyck avait suivi cette joute oratoire avec un visage de plus en plus soucieux. Quand le regard de Catherine revint à lui comme pour lui demander conseil, il hocha la tête, murmura entre ses dents :

— J'ai peur que vous ne puissiez y échapper, Catherine, sinon...

Sinon je risquerais de mettre dans l'embarras ceux qui, dans cette ville, vont me donner l'hospitalité n'est-ce pas ? J'ai parfaitement compris ! Eh bien, messire, soupira-t-elle en se tournant vers l'écuyer ducal, je crois qu'il ne me reste plus qu'à vous suivre. Mais à deux conditions.

— Lesquelles ?

— Vous éloignerez cette escorte armée qui donne à votre ambassade une bien déplaisante couleur. Je la crois inutile du moment où j'ai décidé d'accepter... l'invitation !

— C'est trop naturel ! Ensuite ?

— Mes gens m'accompagneront et attendront la fin de l'audience pour me ramener là où je vais.

— Je vais aussi avec vous ! s'écria Van Eyck.

— J'aime mieux pas. Allez plutôt chez Symonne et demandez-lui si elle veut bien nous accueillir cette nuit. Eh bien, messire, vous ne m'avez pas répondu : puis-je me faire accompagner de mon écuyer et de mon page ?

Courcelles haussa les épaules avec plus d'agacement que de courtoisie.

— On ne m'a rien dit là-dessus mais les usages de la Cour vous y autorisent et moi je n'y vois pas d'inconvénient.

— En ce cas allons ! A tout à l'heure, messire Jean, ajouta Catherine en appuyant intentionnellement sur le « à tout à l'heure ».

Puis, serrant ses mains l'une contre l'autre comme elle avait coutume de le faire quand elle sentait venir un combat ou simplement un instant critique, elle tourna la tête de son cheval vers le palais et, sans même attendre Robert de Courcelles qui n'eut d'autre ressource que courir derrière elle, la dame de Montsalvy se dirigea vers la demeure de son ancien amant, bien décidée à n'en sortir qu'avec les honneurs de la guerre.

CHAPITRE VIII

La nuit royale

— Ainsi, c'était bien toi ! Je ne m'étais pas trompé...

Dans la galerie étroite, presque intime sous l'éclairage doux de ses hautes bougies rouges où Courcelles avait laissé Catherine en lui recommandant d'attendre, Philippe de Bourgogne venait d'apparaître et le temps, brusquement, s'abolissait à cause de ce ton familier, de ce tutoiement affectueux qui effaçait les années..

Autre chose encore les abolissait : le fait que le Duc n'avait pas changé. Bien sûr il y avait seulement sept ans qu'ils ne s'étaient rencontrés, depuis la tragique entrevue devant Compiègne où Catherine avait, vainement, tenté d'obtenir la libération de Jehanne d'Arc. Philippe était toujours aussi mince, aussi blond, aussi noble d'aspect... Peut-être quelques plis légers s'ajoutaient-ils à sa bouche mais, en vérité, non, il n'avait pas changé et il semblait penser qu'il en allait de même entre eux... Aussi Catherine refusa-t-elle le rapprochement.

Pliant le genou dans un profond salut qui maintenait les distances, elle murmura :

— Monseigneur !...

Repoussant le cérémonial qu'elle prétendait lui imposer, le Duc fut près d'elle en trois pas rapides, la prit aux épaules pour la relever avec une force irrésistible et la maintint à bout de bras pour mieux la regarder. Elle S'étonna du changement soudain qui s'était produit en lui. Le prince froid et solennel de tout à l'heure avait complètement disparu pour faire place à un homme heureux.

— Cela existe donc les miracles ? s'écria-t-il chaleureusement.

Voilà tant d'années, Catherine, que j'implore le Ciel de te ramener à moi ! Quand je t'ai aperçue tout à l'heure, quand j'ai compris dans un éclair qu'il m'avait enfin entendu...

— Il ne vous a pas entendu, monseigneur : je ne vous reviens pas...

Sur le point de l'attirer à lui, il s'arrêta, fronçant déjà le sourcil :

— Non ? En ce cas que fait en Flandres la dame de Montsalvy... et sous des habits d'homme ?

— Il y a bien longtemps que j'ai, pour voyager, adopté ce costume infiniment plus commode qu'une robe à traîne dans les longues chevauchées. Vous le saviez, jadis...

— Soit ! Mais cela ne dit pas ce que vous venez chercher dans mes États, madame, puisque apparemment la pensée... affectueuse d'en visiter le prince ne vous était même pas venue. Répondez-moi franchement : si je ne vous avais fait chercher, vous aurais-je rencontrée ?

— Non, monseigneur. Je ne me suis arrêtée à Lille que pour une nuit...

Elle sentit alors qu'il s'éloignait d'elle. Le duc de Bourgogne venait de reparaître dans sa majesté distante et son humeur soupçonneuse. Cela n'arrangeait pas plus Catherine que l'empressement de tout à l'heure.

Quelle raison valable lui donner de ce voyage ? Fallait-il à lui aussi en dévoiler la vraie raison, ressusciter encore une fois avec des mots l'horreur du Moulin-Brûlé, retrouver la honte, avouer qu'elle s'en allait à Bruges chercher l'avorteuse qui la libérerait du fardeau tangible de sa malédiction ? Brusquement elle sourit, sachant le pouvoir de cette arme bien féminine sur Philippe. Une idée lui venait...

— Le temps d'embrasser une amie chère, simplement ! enchaîna-t-elle si naturellement que le Duc ne remarqua pas l'hésitation.

— Le nom de cette amie ?

— Dame Morel-Sauvegrain, chez qui je suis restée quelque temps à Dijon cet automne.

— Tiens donc ? Voilà une amitié que j'ignorais et qui doit être bien vive pour avoir arraché la comtesse de Montsalvy à ses montagnes d'Auvergne, à la cour du roi Charles... à un époux bien-aimé, plus aimé que ne fut jamais époux sous la lumière du soleil ! À moins que ladite amitié ne soit que prétexte à une curiosité... peut-être profitable...

Le sourire de Catherine s'effaça. Redressant bien haut sa petite tête fière, elle planta avec indignation son regard violet dans les yeux froids du prince.

— Souffrez que je vous arrête, monseigneur ! Dans une seconde Votre Altesse va me traiter d'espionne.

— J'avoue que le mot me venait à l'esprit, fit-il avec un petit rire déplaisant. N'appartenez-vous pas corps et âme à l'ennemi ?

— L'ennemi ? Le duc de Bourgogne semble faire bon marché de ce fameux traité d'Arras si cruel au cœur de tout bon sujet du roi Charles ! J'avais entendu dire que les ennemis de Votre Seigneurie se cherchaient plutôt, à présent, de l'autre côté de la Manche et que les fleurs de lys de France et de Bourgogne avaient désormais le droit de pousser de conserve. Me serais-je trompée ?

— Non pas ! Le traité a trop d'avantages pour que je le dédaigne.

— C'est encore heureux !

Le ton était si raide que, malgré lui, Philippe se mit à rire : Il semble que vous n'ayez pas changé, comtesse ! Vous possédez toujours au suprême degré l'art, si féminin, de retourner les rôles et de vous faire accusatrice pour éviter d'être accusée. Pourtant... vous ne vous en tirerez pas si aisément. Je veux savoir pourquoi vous êtes allée à Dijon et pourquoi vous suivez à présent dame Symonne jusqu'ici.

— Messire de Roussay qui a escorté jusqu'ici le roi de Sicile n'a-t-il rien dit de ce qui s'était passé certain soir, dans la tour Neuve, voici quelques semaines ? N'a-t-il rien dit d'une tentative d'assassinat perpétrée contre la personne du Roi ?...

— Si fait ! C'est même la première raison qui m'a poussé à le faire venir ici. Le danger avait été trop grand et la réussite d'un tel projet pouvait avoir des conséquences dramatiques. Mais comment pouvez-vous savoir cela, vous ?