— Malheureusement, il n’est plus dans les parages pour témoigner, fulmina le Roi... Je me demande ce qui vous a pris de renvoyer ce bon Giovanetti qui vous a si bien servie cependant ? Et sans attendre mon avis ?
— De toute façon, il aurait été rappelé : le nouveau grand-duc ne l’apprécie pas !
— Ah oui ? Et quel âge avait le nouveau grand-duc lorsque vous avez quitté Florence ? Huit ans ? Neuf ans ? C’est fichtrement précoce pour avoir des vues politiques à si longue distance, hé ?
Sentant accourir la scène de ménage, Sully se jeta dans la mêlée :
— Quoi qu’il en soit, cela n’a plus d’importance et nous sommes ici pour nous prononcer sur le meurtre du marquis de Sarrance. Je pense sincèrement que nous pouvons en décharger donna Lorenza ! Elle n’a pas pu le tuer !
— Mais elle a pu soudoyer quelqu’un !
Toutes les têtes se tournèrent vers Antoine qui se levait, visiblement animé d’une détermination farouche, et Lorenza sentit son cœur défaillir. Qu’avait-elle fait pour que celui qu’elle avait aimé au premier regard – et qui l’avait aimée aussi, elle en était certaine ! – soit devenu le plus implacable de ses accusateurs ?
— Où avez-vous été pêcher cette sornette ? demanda Sully avec la rudesse d’un homme qui déteste la contradiction. Vous n’avez rien vu : vous étiez à Londres !
— Thomas de Courcy, lui, était là, comme il vient de l’expliquer. Pourquoi donc ne serait-il pas... ?
Il n’eut pas le temps d’en dire plus. Emporté par une rage irraisonnée, Thomas venait de lui allonger un maître coup de poing dans la mâchoire qui l’expédia sur le tapis et se serait jeté sur lui si leurs gardes n’avaient réussi à le maîtriser.
— En voilà assez, Sarrance ! Tonna le Roi. Vous n’allez pas l’accuser maintenant ?
— Non, Sire ! Ce n’est pas ce que je voulais dire. Il se trouve que jusqu’à présent nous avons partagé un même logement et un même valet qui est d’ailleurs le sien...
Il expliqua alors comment Gratien, après avoir suivi son maître au matin du drame, avait vu sortir de l’hôtel de Sarrance l’un des ivrognes miraculeusement remis sur pied, ce qui l’avait conduit rue des Poulies où il habitait. Par la suite, il avait pu le filer jusqu’à chez un armurier afin d’y récupérer une dague ornée d’un lys rouge qu’il avait donnée à réparer et qu’on lui avait rendue avec une lame neuve. Ce qui l’avait mécontenté parce qu’il avait trouvé cet échange un peu trop onéreux...
— Quel est son nom ? Le pressa Sully.
— Bruno Bertini. C’est un Florentin, fort joli garçon, soit dit en passant, et il a l’heur de plaire aux femmes...
Lorenza avait bondi :
— Qu’essayez-vous d’insinuer ? Je ne connais pas cet homme ! Je ne l’ai même jamais vu...
— Point n’est besoin de « voir » quelqu’un pour le charger d’une mission ! Une chose est certaine : ce Bertini a passé toute la nuit chez mon père. Quand il en est sorti, ses vêtements étaient couverts de vin, ce qui est une adroite manière de dissimuler le sang et la dague qu’il a remise à l’armurier est arrivée à Paris dans vos bagages, Madame... Si elle était ébréchée, c’est parce qu’elle avait servi précédemment à attaquer mon père à la veille des noces et que la cotte de mailles dont il s’était revêtu l’avait préservé. D’après votre récit, le malheureux vous l’a montrée, n’est-ce pas ? Et c’est ce qui vous a valu d’être flagellée...
— Exactement. Elle ne pouvait donc pas être en possession de ce...
— Il l’aura trouvée dans la chambre après votre fuite...
— Ainsi cet homme, payé par moi, aurait deviné ce qui allait se passer, m’aurait laissée tranquillement être déchirée par le fouet de ce monstre – il a dû entendre mes cris, pourtant ! – sans même venir voir ce qu’il en était ?
— Au milieu d’autres braillards avinés ce n’est pas évident...
— Faut-il que vous me haïssiez pour imaginer que j’ai pu, même terrifiée, même rendue à moitié folle par la souffrance, me pencher sur un homme inconscient pour...
— Je veux bien admettre que vous n’avez pas frappé personnellement mais que vous ayez rétribué ses services, oui !
— Et je l’aurais connu où et quand ? Je ne suis jamais venue à Paris avant d’y être conduite par ser Filippo Giovanetti et entre notre arrivée et ce maudit mariage voulez-vous me dire combien de temps m’a été donné pour parcourir la ville, rencontrer cet homme qui – à ce que j’ai cru comprendre ! -est l’un de ceux qui ont accompagné la Reine quand elle s’est mariée- il y a neuf ans ! –, le convaincre d’accomplir ce meurtre, lui donner la dague et le payer alors que je ne disposais plus d’un liard ?
— C’est un compatriote. Vous pouviez l’avoir connu antérieurement.
— J’ai été élevée au couvent des Murate à Florence, pas dans un bouge. On n’y rencontre guère d’assassins à gages !
— Il était au festin de noces. Ce n’est donc pas un truand ! Et pourquoi pas un ami de votre famille ?...
Le « oh ! » indigné de Lorenza fut couvert par la voix sèche du Roi :
— Vous proférez des âneries, Antoine de Sarrance, et vous devriez avoir honte ! Tant d’acharnement n’est pas digne d’un gentilhomme ! Aussi Monsieur le prévôt, nous vous saurions gré de faire chercher ce Bertini et de nous l’amener...
— L’ordre d’arrestation est déjà parti, Sire ! La rue des Poulies n’est pas loin et la maison de la Maupin connue du guet ! En attendant, j’oserai demander au Roi s’il entend faire droit à la revendication de M. de Courcy se réclamant sur l’échafaud de l’antique loi d’Hugues Capet exprimant sa décision d’épouser donna Lorenza !
— Je m’y oppose ! Rugit Antoine. Qu’elle le veuille ou non, elle est la veuve de mon père, je suis le seul à pouvoir en disposer !
— C’est nouveau ça ! Gronda Sully. Ce damné mariage fait de vous l’héritier de votre père, donc de la dot de son épouse mais pas de sa personne !
— Je ne veux pas de la dot !
— Libre à vous mais la suite ne regarde que la justice du Roi ! Veuve de votre père, elle est la sujette du Roi ! Un point c’est tout !
— Si je peux encore donner mon avis, intervint Lorenza avec tristesse, je remercie de tout mon cœur M. de Courcy de son offre si généreuse mais je refuse qu’il sacrifie son avenir, presque son honneur, par compassion et pour m’éviter le trépas. En ce qui me concerne, je le libère de cette parole.
— Même si ce refus devait vous ramener au bourreau ?
— Même, Monsieur le prévôt ! Si j’en juge par ce que j’ai vécu depuis ma sortie du couvent, je ne suis pas faite pour le bonheur et j’en viens à penser que... que je porte malheur. Deux hommes ont payé de leur vie leur volonté de m’épouser. Tous deux sont morts... et je ne veux pas avoir à me reprocher son trépas !
— Ne vous tourmentez pas pour cela ! La rassura Thomas avec un grand sourire. Je sais parfaitement prendre soin de moi... et je serais heureux d’avoir le droit de veiller sur vous, ajouta-t-il avec une soudaine gravité. Aucune compassion là-dedans, je vous le jure...
— On a aucun mal à te croire, lança Antoine, hargneux. Si elle était affligée d’une bosse dans le dos, d’un nez de travers et d’yeux bigleux, tu ne t’y intéresserais pas si noblement ! Il faut un courage louable, voire admirable, pour mettre dans son lit une aussi belle fille... même un peu abîmée par la correction qu’elle a encaissée !
— Sire ! s’écria Lorenza, je vous supplie d’intervenir ! C’est... c’est intolérable !
Elle se leva, le visage inondé de larmes et se jeta aux pieds du souverain :
— Donnez-lui ma tête, Sire, puisque c’est son désir ! Qu’il me haïsse s’il croit que j’ai tué son père mais qu’il ne m’insulte pas !
Son désespoir était si visible que Mme d’Entragues la rejoignit, passant un bras autour d’elle :
— Un peu de pitié, Sire, je vous en conjure ! Elle est bien jeune pour endurer autant !
Haussant les épaules, Marie de Médicis fit entendre un petit rire :
— Comedia !
Henriette de Verneuil laissa échapper un oh ! D’indignation, rejoignit les deux femmes mais resta debout :
— Il est de notoriété publique que vous n’avez pas de cœur... Madame ! lança-t-elle véhémente. Tout ce que vous savez faire c’est parader en portant votre poids de joyaux. C’est faible charge pour une reine de France !... Quant à vous, Sire, et avec votre permission, nous ramenons Mme de Sarrance chez nous ! Elle en a suffisamment entendu pour aujourd’hui et, si vous décidez finalement de la tuer, au moins attendra-t-elle ce scandale en paix ! Mais je me réserve le droit de dire ce que je pense de votre justice ! Venez, mère ! Nous rentrons ! Acheva-t-elle tout en se penchant pour aider Lorenza à se relever.
Tandis que son épouse éclatait en imprécations, Henri, l’œil soudain pétillant, eut un bref éclat de rire :
— Allez, marquise, allez ! Vous n’avez pas tout à fait tort. Il y a des limites à ce qu’une jeune personne peut supporter ! Mais peut-être pourriez-vous accorder une once de respect à Sa Majesté royale, hé ?
— On récolte ce que l’on a semé, Sire ! répondit-elle en plongeant dans la plus gracieuse des révérences qu’elle accompagna sournoisement d’une œillade assassine. Quant à moi, rien n’altérera jamais le respect que je dois à mon Roi !... Le respect et l’amour ! fit-elle en baissant la voix jusqu’au murmure.
— J’irai très bientôt vous donner des nouvelles, chuchota-t-il en la caressant du regard. (Puis, haussant le ton et à la cantonade :) Que l’on accompagne ces dames à leur voiture avec tout le respect qui convient.
Elles sortirent dans un silence oppressant... qui ne dura pas. D’abord suffoquée d’indignation, la Reine entamait les préliminaires d’une de ces crises de nerfs dont elle avait le secret, agrémentés de halètements et de petits sanglots étouffés. Henri se tourna vers elle, lui prit la main, la tapota et appela :
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