Thomas le considéra avec une sorte d’accablement :
— Morbleu, vous êtes têtu ! Et si je vous apprenais qu’à l’heure où M. de Sarrance passait de vie à trépas, je sortais de la Seine sa jeune femme à moitié morte ?
— Je dirais, moi, qu’épouvantée par le crime qu’elle venait de commettre, elle avait voulu se suicider !
— Par tous les saints du Paradis ! Explosa Thomas.
Il prenait déjà son élan pour faire prévaloir son
Point de vue en l’appuyant de quelques arguments frappants quand Jean d’Aumont lui barra le passage :
— Messieurs, Messieurs, je vous en prie ! Il est temps d’examiner la question avec calme et pondération...
— Et cesser de confondre l’Hôtel de Ville avec un champ de foire ! Appuya Sanguin. Un peu de bonne volonté, que diable ! Dans l’état actuel de l’affaire, je pense que ce qui importe avant tout est d’attendre le retour du Roi qui ne saurait tarder, en suspendant naturellement l’exécution de la sentence. Jusque-là, cette jeune dame devrait réintégrer sa prison...
— Pour y mourir de froid... ou d’autre chose ? Ricana Thomas, hors de lui. Je vous rappelle que j’ai retenu l’épée du bourreau en demandant à l’épouser !
— Vous êtes officier, fit remarquer d’Aumont. Il vous faut l’autorisation de votre colonel... et aussi du Roi. Sans compter votre père...
— Je réponds de mon père ! Et si je dois démissionner, je démissionne. Je me retirerai sur nos terres avec elle qui pourra enfin vivre en paix !
— En renonçant à servir le Roi ?
— Vous savez bien que non. Si la guerre venait, j’irai réclamer le droit de me faire tuer à ses côtés... Mais je ne veux pas que donna Lorenza retourne au Châtelet.
— Elle y a été... convenablement traitée !
— Ce convenablement ne vous suffirait sans doute pas ! Et je réitère que je veux l’épouser ! Sur-le-champ s’il vous plaît ! Il suffit de faire venir un prêtre et vous êtes assez nombreux pour servir de témoins ! Assena-t-il avec insolence.
— Encore faut-il que l’intéressée accepte ! susurra maître Fulgent, l’un des juges.
Thomas tourna vers lui sa colère
— Entre une vie convenable et une mort honteuse, vous hésiteriez, vous ?
— Moi ? Heu... non... mais le mariage n’est pas toujours un état paradisiaque... tant s’en faut ! Soupira Fulgent qui devait avoir son idée sur le sujet.
— Après ce qu’elle a subi aux mains du vieux Sarrance, vous croyez qu’elle l’ignore. Moi, je la respecterai ! Et si la cour la rejette, elle pourra vivre dignement – vivre ! Vous entendez ? – dans notre château de Courcy auprès de mon père et de ma tante.
— Selon votre fameuse loi, vous devez perdre tous vos biens !
— Je ne possède rien. Tout appartient à mon père qui, après le Roi, est bien le plus noble gentilhomme que je connaisse ! Et moi, si je n’ai plus ma place en France, j’irai mettre mon épée au service de Venise... ou du pape ! Encore une objection ?
Jean d’Aumont vint poser sur l’épaule du jeune furieux une main apaisante :
— Calmez-vous, mon ami ! Je suis aussi celui de M. de Courcy et je sais que dans vos domaines donna Lorenza connaîtrait la tranquillité. Mais il faut tout de même nous accorder du temps ! Car le fait est nouveau et l’affaire d’importance...
— Et moi j’entends que l’arrêt rendu soit respecté. Que l’on rappelle le bourreau et que la meurtrière du marquis de Sarrance soit exécutée sur l’heure !
Blême de fureur et l’épée au poing, Antoine surgit du fond de la salle. Ses yeux flambaient d’une rage proche de la folie. Thomas ne s’y trompa pas : il lui avait déjà vu, dans une bataille, ce délire de violence quasi incontrôlable qui en faisait une sorte de machine à tuer hors de tout raisonnement. Il tenta cependant de le freiner en se précipitant sur lui. Dans cet état d’esprit, le fils d’Hector était capable d’embrocher le conseil municipal et le tribunal du prévôt l’un après l’autre et sans respirer :
— Du calme, Antoine ! Tu déraisonnes et tu ne sais plus ce que tu dis !
— Ah, tu crois ? Ricana Sarrance. Toi, en revanche, tu sais pertinemment ce que tu fais en réclamant cette fille pour épouse ! Elle te plaît, n’est-ce pas, et depuis le premier jour ! La mort de mon père t’arrange à merveille ?... Peut-être, d’ailleurs, y as-tu pris part ?
Le poing de Thomas partit comme un boulet de canon et frappa Antoine au menton mais ils étaient de force à peu près égale et si, sous le coup, le jeune homme vacilla et laissa échapper sa rapière, il ne tomba pas. L’instant suivant, tous deux roulaient à terre et tentaient de s’étrangler mutuellement. Pas longtemps et le combat cessa parce que Sanguin appela « A la Garde ! », que six hommes les agrippèrent au collet, réussirent à les séparer et à les maintenir à distance.
— Je te tuerai ! Écuma Antoine. A moins qu’elle ne s’en charge comme du fiancé de Florence et de mon père !
— Elle n’a pas tué ton père, imbécile ! C’est un autre qui a abattu la besogne après qu’éperdue de douleur et déchirée à coups de fouet par ce vieux bouc, elle est allée tout droit dans la Seine !
— Ah oui ? Et comment sais-tu ça ?
— C’est moi qui l’en ai sortie à moitié morte ! Une dame entourée de ses serviteurs passait à ce moment sur la berge. Elle l’a emmenée chez elle pour la soigner...
— Vraiment ? Quelle dame providentielle ! Et elle s’appelle ?
— Cela ne te regarde pas ! Qu’il te suffise de savoir que le Roi a été informé !
— Et il serait resté coi pendant tout ce temps ? Faut-il que tu aies envie de cette pute pour proférer de tels mensonges !
— Je n’ai jamais menti ! hurla Thomas ! Et tu vas m’en rendre raison tout de suite !
— Je ne demande que ça ! Je vais te massacrer, faux jeton !
— Il suffit ! Tonna Jean d’Aumont. Que l’on emmène ces deux agités au Châtelet ! Ils sont capables de mettre Paris à feu et à sang ! Et dans des cachots séparés ! Je vais, sur l’heure, envoyer un courrier à Sa Majesté le Roi !
— Pourquoi ne pas commencer par prévenir la Reine ? Siffla Génin. Cela la regarde, il me semble !
— Non ! Tonitrua le Prévôt exaspéré. Il se pourrait bien qu’elle aussi ait des comptes à rendre quand le Roi sera là ! Et si, à son retour, il est de mauvaise humeur, nous pourrions passer vous et moi un très sale moment...
— De toute façon, vous en passerez un, lança Antoine que les gardes en question entraînaient déjà à la suite de son nouvel ennemi. On ne me fera pas taire et je peux vous promettre...
— Rien du tout ! Vous n’êtes qu’un blanc-bec et je suis homme d’expérience ! Un petit séjour en prison vous rafraîchira les idées !
— Cela m’étonnerait ! Et elle, la criminelle, qu’allez-vous...
Le reste de la phrase se perdit dans les profondeurs de l’Hôtel de Ville.
— C’est la question dont je vous propose, Messieurs, de débattre entre nous. Si Monsieur le prévôt consent à ce que nous abusions encore de son hospitalité..., s’enquit Jean d’Aumont.
— Tant que vous voudrez ! Accepta Sanguin. Siégeons donc, Messieurs ! ajouta-t-il en désignant la grande table où se réunissait habituellement le conseil municipal...
Une clameur de la foule qui ne se décidait pas à vider les lieux saluait l’apparition des deux prisonniers et de leur cortège. Sanguin s’empressa de refermer celle des fenêtres que l’on avait laissée ouverte pour aérer l’endroit malgré l’air froid et humide qui régnait à l’extérieur.
— Alors, Messieurs, commença Jean d’Aumont en s’asseyant, qu’allons-nous décider au sujet de donna Lorenza ?...
Pendant ce temps, personne n’imaginait ce qui se passait au Louvre.
Rentrant dans Paris, d’une humeur exécrable – ce qui était rare chez lui – et après avoir mis bon ordre aux intrigues du richissime et insatiable duc d’Epernon proche des Espagnols, qui avait été l’un des mignons d’Henri III, Henri IV avait entendu le glas sonner à Saint-Jacques de la Boucherie, demandé le pourquoi et, apprenant que l’on s’apprêtait à exécuter la « meurtrière de ce pauvre marquis de Sarrance », avait aussitôt expédié Bassompierre en hurlant :
— Va m’arrêter ça sur l’heure !
Puis tandis que le jeune homme partait en courant, il entra dans le Louvre au pas de charge et se rua chez sa femme qu’il trouva comme d’habitude assise à sa toilette devant une cassette de bijoux grande ouverte dans laquelle ses doigts boudinés picoraient comme dans une boîte de confiseries. L’entrée tumultueuse de son époux ne l’émut pas autrement mais elle referma vivement le coffret quand résonna à ses oreilles :
— C’est vous qui avez osé envoyer cette malheureuse Lorenza à l’échafaud ?
— Vous pourriez saluer, il me semble ?
— Au diable les salutations ! Répondez !
Marie de Médicis releva la tête et pinça les lèvres :
— Je ne l’ai pas envoyée : elle a été jugée et condamnée. J’ai seulement refusé d’accorder grâce !
— Le droit de grâce n’appartient qu’au Roi. Pas à vous ! Et vous devriez avoir honte ! Votre propre sang ?
— Abâtardi ! Et j’ai fait ce que je devais !
— Vous ne deviez rien faire du tout ! Et je sais pourquoi vous avez commis ce crime... Car c’en était un ! La pauvrette était entièrement innocente de ce dont on l’accuse !
— C’est faux ! Glapit-elle avec cette voix de tête qui horripilait tellement Henri. Il y a eu un témoin du forfait ! Elle a vu cette misérable égorger...
— Qui l’a vue ?
— Sa propre tante : donna Honoria Davanzati !
— Cette mégère ? Cela vous ressemble bien d’ajouter foi aux propos de ce genre de bonne femme ! Elle ne restera pas ici une heure de plus ! Qu’on l’arrête !
— Vous n’avez pas le droit !
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