— Il faut vous en repentir, ma fille !
— C’est difficile quand on vous a fait tant de mal !
— Je sais mais ce pardon n’en aura que plus de valeur auprès de Dieu et soulagera votre cœur.
— Vous croyez ?
— Bien sûr je le crois ! Avec l’aide de Dieu, aussi celle de Notre Dame, tout est possible. Nous allons prier ensemble !
Il dit les premiers mots d’une prière dont elle connaissait les réponses mais elle était longue et, quand le geôlier fit son apparition, ce n’était pas terminé. Devant les yeux pleins d’angoisse que la prisonnière levait sur lui, le frère Barnabé lui donna l’absolution in articulo mortis puis l’hostie qu’il portait dans une custode sous son scapulaire et enfin la bénit :
— Allez en paix, ma fille ! Je serai auprès de vous jusqu’au bout...
Soudain fébrile, elle se hâta de se préparer, remit de l’ordre dans ses vêtements, peigna ses magnifiques cheveux et les ressembla en une épaisse natte sans trop trembler, endossa son manteau et alla prendre place entre les archers debout dans l’escalier. On descendit jusqu’à la Voûte où attendait un tombereau. Là, on lui lia les mains et on l’aida à monter. Le frère Barnabé la rejoignit et l’attelage se mit en marche en cahotant sur les gros pavés de la ville.
Le chemin était court qui menait du Châtelet à la place de Grève mais, en dépit du ciel sombre menaçant pluie, la foule s’agglutinait, venant de partout. Même si la condamnée n’avait été jugée que par un tribunal de droit commun réservé aux gens de petit lieu afin d’ajouter l’humiliation à son désespoir, on savait qui elle était et un murmure ressemblant à un soupir de satisfaction s’éleva sur son passage. Elle choisit alors de regarder le ciel même s’il était triste à pleurer, même si aucun oiseau n’en traversait les nuages bas... Elle s’obligeait à penser que bientôt ce serait fini et qu’en somme elle courait vers cette délivrance à laquelle elle aspirait quand Filippo Giovanetti l’avait envoyée chercher. Mais comment imaginer que ce peuple qui saluait son apparition avec des grondements de colère et des cris de mort était celui-là même qui lui souriait le jour de son arrivée ? D’ailleurs, cette joyeuse commère qui lui avait lancé une pomme dans laquelle elle avait mordu à belles dents était peut-être présente ?
Le lugubre équipage avançait lentement à la suite des archers qui ouvraient le passage. Pourtant quelque chose se passait. Quand on entra rue de la Boucherie, on entendit une cloche de l’église Saint-Jacques sonner le glas. Cette unique note de bronze tomba sur la foule comme un rappel à l’ordre. Elle s’apaisa peu à peu. Quelqu’un cria :
— Elle est toute jeune, toute belle et riche ! C’est pour ça qu’on la tue !
— Respect à la mort ! Clama un autre.
Et ce fut le silence, troublé seulement par le grincement des roues et le lent battement, obsédant et lourd comme celui d’un cœur angoissé...
Avant même que l’on eût débouché sur la place de Grève, Lorenza avait vu l’échafaud dressé entre celle-ci et l’Hôtel de Ville. Tendue de noir, l’estrade dominait la houle de chapeaux et de bonnets. Un homme vêtu et cagoulé de rouge s’y tenait debout appuyé de ses deux mains sur une longue épée à large lame. Au-delà, sur une petite tribune dressée devant la maison commune, le Prévôt avait pris place encadré des juges et des échevins. La cloche tintait toujours. Elle ne se tairait qu’au moment où la tête tomberait.
L’attelage vint se ranger contre la plate-forme. Le moine aida la condamnée à descendre mais, en dépit de ses mains liées derrière son dos, elle voulut gravir seule le raide escalier. Il dut se contenter de suivre, un petit crucifix à la main. Il avait les larmes aux yeux et ne cessait de prier.
Parvenue sur l’échafaud, droite et fière, elle s’avança d’un pas ferme vers l’exécuteur qui, à son approche, mit un genou en terre pour obtenir son pardon.
— Je n’ai rien à vous pardonner, dit-elle. Mais ne pourrait-on me délier les mains pour que je puisse les joindre ?
Il acquiesça d’un battement de paupières, prit un couteau à sa ceinture et trancha la corde. Elle demanda encore :
— Devez-vous couper ma tresse ?
— Non. Il suffira que la nuque soit dégagée... C’est pour cela que je vais devoir échancrer le col de votre robe...
A ce moment, la rue de la Boucherie éclata en un énorme vacarme qui couvrit le glas : un cavalier hurlant « Place ! Place » à s’éclater les poumons fonçait à travers la foule qui s’ouvrait d’instinct. Au galop, il piqua droit sur l’échafaud, sauta de son cheval en voltige et grimpa l’échelle quatre à quatre :
— Ne touche pas à cette dame, bourreau ! Je suis Thomas, baron de Courcy et je veux l’épouser ! Et, par Dieu, je jure qu’elle est innocente !
Tandis que Lorenza, à bout d’émotions, cherchait l’appui du père Barnabé pour ne pas s’écrouler, la foule, toujours versatile, éclata en acclamations. L’arrivant faisait état en effet d’une loi antique permettant de libérer à l’ultime seconde un ou une condamnée si un homme ou une femme sans reproche demandait le mariage sachant parfaitement d’ailleurs que, ce faisant, il ou elle abandonnait tous ses biens. Il fallait donc aimer énormément pour en venir là et la loi en question avait fini par tomber en désuétude mais n’ayant jamais été abrogée, pouvait encore être utilisée...
Il y eut évidemment un instant de flottement sur la lugubre plate-forme mais déjà Jean d’Aumont y grimpait avec un piquet de hallebardiers destiné à mettre de l’ordre et tenir à l’écart le peuple qui menaçait cette fois de prendre l’échafaud d’assaut tant il y mettait d’enthousiasme.
— Nous allons, dit-il, rentrer dans l’Hôtel de Ville afin de discuter au calme ! Je vous avoue, baron, que je ne sais pas si votre requête est toujours recevable mais comme vous êtes le témoin indispensable que l’on croyait perdu, la sentence se retrouve invalidée jusqu’à preuve du contraire ! Mais, peut-être, devriez-vous assister donna Lorenza qui, j’ai l’impression, est en train de perdre connaissance.
C’était vrai, à la grande confusion du petit moine qui, peu habitué à soutenir les pâmoisons des dames, ne savait trop que faire de sa pénitente. Thomas se mit à rire, enleva Lorenza dans ses bras et sauta à bas de l’échafaud plus qu’il n’en descendit pour s’engouffrer dans le palais de la capitale tandis que le bourreau remettait sa lame au fourreau. Le ciel, lui, s’assombrissait à vue d’œil, prêt à se répandre, mais la foule ne bougea pas d’un pouce, décidée de toute évidence à attendre la fin d’un épisode aussi passionnant et ne regrettant pas l’exécution. Cela changeait de l’ordinaire et c’était bien plus amusant !
Certains, bien sûr, étaient déçus de ne pas avoir vu couler le sang. Cela donna lieu à de petites bagarres ponctuelles bien propres à calmer les nerfs et réchauffer les muscles en ce froid matin d’hiver.
Perdu au milieu de toute cette agitation, Antoine de Sarrance semblait frappé par la foudre. S’il n’avait été appuyé contre la fontaine qu’Henri IV venait de faire édifier en remplacement du vieux gibet permanent, il fût sans doute tombé comme celle qu’il était venu voir mourir dans l’espoir d’être délivré du sortilège dont elle le tenait captif.
Le chapeau enfoncé jusqu’aux yeux, enroulé dans un manteau noir, il s’était posté à l’issue d’une nuit sans sommeil, près de la Voûte du Châtelet avec, dans l’esprit, un mélange d’angoisse et de hâte...
Depuis qu’elle lui était apparue ce maudit soir de Fontainebleau, elle s’était emparée de son âme et lui qui en rencontrait si peu de cruelles, s’était senti faible comme un enfant quand le beau regard de velours noir s’était posé sur lui... D’instinct, il s’était élancé à sa rencontre afin de recevoir dans ses bras ce merveilleux cadeau du Ciel mais un autre s’était jeté à la traverse et cet autre était son père qui l’avait fait basculer dans le grotesque : cette enfant exquise modelée par l’Amour allait devenir sa belle-mère ! Quoi de plus risible ? Evidemment, le Roi lui avait permis de fuir jusqu’en Angleterre mais la belle image l’avait suivi, hantant ses rêves, surgissant partout même du fond des gobelets de vin quand il demandait à l’ivresse de lui accorder un moment d’oubli... Et il en avait cherché une à sa ressemblance parmi les jolies femmes de la cour anglaise sans en trouver une seule qui lui ressemblât. Au pied de Ses autels, il avait imploré Dieu lui-même de mettre fin à son supplice. Et la lettre était venue réclamant son retour : la trop jeune et trop belle épouse du vieux soldat l’avait assassiné, égorgé comme un porc à l’abattoir. Il n’avait pu que rentrer, traînant derrière lui un autre genre de tourment : intolérable pour un homme d’honneur : l’immonde satisfaction secrète de savoir qu’elle n’aurait pas à subir les assauts de ce vieillard et que lui-même ne verrait jamais la porte d’une chambre à coucher se refermer sur ce couple par trop disparate, le sauvant ainsi de son envie de meurtre.
Revenu à Paris, il avait presque réussi à se persuader de l’innocence de Lorenza mais, en dépit de toutes les objections qu’il formulait, il s’était heurté au témoignage effarant de la tante, aux certitudes de la Reine, sa parente cependant. Un nouvel espoir était venu avec les découvertes de Gratien mais que la dague au lys rouge soit aux mains de ce Bruno Bertini ne signifiait pas que Lorenza n’eût pas sur les mains le sang d’Hector. D’abord elle avait admis l’avoir frappé avec un objet lourd. En outre, le faux ivrogne était sur place et le fait qu’elle n’eût pas achevé elle-même l’ouvrage ne l’innocentait pas. Le Florentin avait agi pour elle. Cet homme qui était peut-être son amant.
Alors, même s’il avait relevé des discordances dans le récit de la tante Honoria, il avait senti un soulagement quand l’arrêt de mort était tombé : tout était fini ! Il n’y avait plus à y revenir : l’ensorceleuse disparaîtrait et lui, délivré de ce charme qui le tenait en si dure captivité, il redeviendrait l’Antoine d’avant et finirait par oublier. Mais les derniers instants de sa vie, il voulait y assister...
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