Elle agita une sonnette et ordonna au valet qui se présentait d’aller chercher donna Honoria Davanzati qui devait se tenir chez Mme Concini.
— Sa tante ? Réagit Antoine. Elle était là-bas ?
— Naturellement, puisque son père avait accepté bien volontiers de la recevoir chez lui afin de veiller à la conduite de la maison, ce dont cette jeune sotte était bien incapable... Elle a tout vu, vous dis-je !... D’ailleurs, la voici !
Soutenue par Leonora Galigaï, le visage découvert pour une fois, Honoria effectuait en effet une entrée légèrement chancelante. En grand deuil, bien sûr, et le visage plus jaune que jamais, elle battait des paupières tout en froissant de sa main libre un mouchoir qu’elle portait à ses lèvres tremblantes...
— Que l’on avance une chaise pour donna Honoria ! ordonna Marie. Venez çà, ma bonne ! ajouta-t-elle, soudain attendrie. Croyez-moi désolée de devoir vous imposer cette épreuve supplémentaire mais voici le marquis Antoine de Sarrance, fils de la victime. Il souhaiterait entendre de votre bouche ce que vous avez déjà confié à donna Leonora puis à moi-même...
— Oh ! C’était tellement affreux !... Je savais cette fille hautaine, dure et impitoyable mais de là à faire ce qu’elle a fait ! J’ai cru en mourir...
— Pourtant, vous ne connaissiez pas mon père ? dit Antoine qui ne pouvait s’empêcher de juger ce désespoir un rien spectaculaire ! Sa fin, même affreuse, ne devrait pas vous bouleverser à ce point !
Le « témoin » tourna vers lui un regard de noyée :
— Sans doute... mais songez que... sa meurtrière est la fille de feu mon bien-aimé frère et que ce m’est... une insoutenable douleur de l’avoir vue assassiner de façon... barbare celui à qui l’on venait de l’unir devant Dieu ! C’est une honte pour les siens... et pour la mémoire de nos ancêtres...
— Je suppose que vos ancêtres en ont vu d’autres, remarqua Antoine. Mais, pour avoir tout vu, il fallait que vous fussiez dans la chambre des époux ?
Coupée dans son lamento, elle lui jeta un regard noir :
— N’ayant rien à y faire, je m’étais retirée chez moi pour fuir l’orgie qui se tenait en bas où l’on menait grand bruit mais ce vacarme-là ne m’a pas empêchée d’entendre les cris qui me parvenaient de chez les époux. Alors je suis allée voir... et ce que j’ai vu m’a tellement épouvantée que j’en ai perdu le sens. Ils se battaient mais, quand j’ai recouvré mes esprits, le silence était revenu, le malheureux homme gisait à terre, la gorge tranchée et la diablesse avait disparu. Quelle abomination !...
— Et ce voyant, qu’avez-vous fait ? Vous avez appelé de l’aide ?
— Moi ?... Mais j’en étais incapable ! Tout ce sang m’avait tellement terrifiée que je me suis évanouie de nouveau... Je ne sais ce qu’a duré cette pâmoison mais, quand je suis revenue à moi, tout était silence. Les ivrognes de la salle du festin avaient dû s’en aller ou s’endormir. Aucun domestique n’a répondu à mon appel et j’étais seule... seule... seule avec ce cadavre horrible. Alors, je me suis enfuie aussi vite que j’ai pu.
— Pour essayer de retrouver la jeune femme ?
— Cette tueuse ? L’enfer l’a peut-être reprise mais je n’ai pas voulu le savoir et je suis revenue au Louvre en hâte me mettre sous la protection de notre si bonne reine. Je me soutenais à peine... Jetais presque morte quand donna Leonora m’a trouvée... autant dire à sa porte. C’est elle qui a ensuite prévenu la Reine... et celle-ci s’est montrée d’une telle bonté ! Elle a si bien compris ma détresse... ma honte !
— Allons, allons ! Remettez-vous ! Ronronna Marie en lui tapotant la main. La honte ne peut être pour vous et je vous défends même de nourrir cette idée car – ne l’oubliez pas ! – si vous êtes sa tante, elle est ma filleule et aussi ma nièce...
— Votre Majesté ne peut pas être parente d’une fille de bâtarde, ce qui entache gravement sa naissance et si vous voulez m’en croire...
— Oserais-je demander si l’on s’est mis à sa recherche, intervint Antoine, agacé par ce qu’il considérait comme un papotage futile au milieu d’une telle tragédie.
— Naturellement ! rétorqua la Reine avec aigreur. Pensant qu’elle s’était réfugiée chez lui, j’ai convoqué l’ambassadeur Giovanetti mais il a juré ses grands dieux qu’il n’en était rien. Il a même fait preuve de bonne volonté en acceptant que les hommes du prévôt fouillent sa résidence. Comme il s’agit d’une maison neuve, cela a été facile...
— Le meurtrier pourrait l’avoir enlevée ?...
— On se tue à vous dire que c’est elle la meurtrière ! s’écria la Reine de plus en plus courroucée. Elle a dû préparer son coup, s’assurer un refuge quelconque.
— Elle est bien jeune pour cela et, en outre, elle ne connaît pas Paris...
— Mais elle pourrait avoir une adresse sûre ! Beaucoup de nos compatriotes sont venus dans mes bagages. Des gens de bien pour la plupart. D’autres aussi sans doute. Comment savoir ? Je dis, moi, qu’elle a tout prévu jusqu’à l’arme dont elle s’est servie ! Un étrange objet dans la cassette d’une vierge innocente, ne croyez-vous pas ?
— Et je peux certifier, moi, qu’elle avait emporté de chez nous une fort belle arme, une dague dont la garde s’ornait d’un lys rouge dessiné en petits rubis, renchérit Honoria. Ma fidèle Bona l’a vue dans ses coffres de voyage. Le grand-duc Ferdinand la lui a donnée après l’assassinat de son fiancé. Il y avait aussi un billet menaçant de mort celui qui oserait l’épouser. Cela explique tout il me semble...
Le jeune homme, cependant, ne parvenait pas à se laisser convaincre :
— Vous avez peut-être raison, Madonna, mais je ne peux me défendre d’un doute... Comme le Roi lui-même, mon père était un véritable guerrier, rompu à tous les combats et possédant une force peu commune. Son épouse était plus grande que lui certes mais mince, fine et, à l’évidence, d’une constitution infiniment plus fragile. Qu’elle ait pu le vaincre à la lutte me paraît insensé !
Un silence suivit que la Reine ne laissa pas s’installer :
— Vous êtes sourd, imbécile ou seulement entêté ? Donna Honoria vient de vous dire qu’elle les avait vus se battre ! Cela me suffit à moi et je ne vois pas pourquoi vous oseriez penser autrement !... De toute façon, cet entretien est clos ! Vous pouvez vous retirer !
Sous l’insulte, Antoine s’empourpra et recula vers la porte sans remarquer que celle du salon venait de s’ouvrir pour laisser passage à Concini, qui, apparemment, possédait le privilège d’entrer chez la Reine comme chez lui. Antoine avait toujours détesté ce bellâtre dont la faveur et la fortune semblaient grandir de jour en jour. Aussi fut-il médiocrement satisfait de l’entendre prendre son parti.
— Notre bien-aimée souveraine est cruelle pour M. le marquis de Sarrance ? Certes, donna Honoria certifie avoir vu les époux se battre mais elle affirme aussi qu’elle avait perdu connaissance et qu’en revenant à elle tout était fini, l’époux égorgé et l’épouse envolée. Pourquoi donc, pendant ce laps de temps, la belle Lorenza n’aurait-elle pas reçu l’aide de quelque amant rendu furieux par un mariage qui le privait à la fois d’une maîtresse et d’une fortune... Un amant qui se serait déjà manifesté à Florence en assassinant Vittorio Strozzi ? Cela me paraît beaucoup plus logique... Le vieux exécuté, l’assassin n’avait plus qu’à emmener sa belle vers une cachette très certainement préparée à l’avance.
Durant ce petit discours qu’Antoine avait écouté avec un mélange de dégoût, de colère et de vague soulagement – cette version semblait en effet plus crédible –, le visage de Marie de Médicis avait retrouvé une couleur plus normale. Elle offrit même un doux sourire au nouveau venu :
— J’ai toujours pensé que vous étiez l’homme le plus intelligent de Florence, mon cher Concino ! Et je crois volontiers que vous êtes dans le vrai ! Nous allons d’ailleurs en discuter... dès que M. de Sarrance se sera retiré...
Face à ce nouveau congé, pas plus nuancé que le premier, Antoine salua et s’apprêta à sortir mais, au moment où il allait franchir la porte, on le rappela :
— Un moment encore ! Nous allions oublier de vous dire combien la mort horrible de votre père nous a touchée...
— Oh, c’est sans grande importance... Votre Majesté !
En regagnant la cour du Louvre, Antoine se sentait glacé jusqu’aux os. Se retrouver l’obligé de ce gentillâtre qu’il avait dès le début méprisé d’instinct l’humiliait même s’il était obligé d’admettre que sa version pouvait fort bien être la bonne. Il regrettait d’être monté chez la Reine au lieu de rentrer directement chez lui et de s’y reposer en attendant d’obtenir du Roi l’audience qui lui remettrait certainement les idées en place.
Aussi prit-il sans plus tarder le chemin de la rue des Barres.
Chapitre VIII
Une lueur d’espérance
L’impression de malaise ressentie par Antoine quand M. de Sainte-Foy lui avait appris l’absence prolongée – pour ne pas parler de disparition ! – de son ami Thomas s’accentua en arrivant chez lui. Sans être illuminée, la maison offrait chaque soir plusieurs fenêtres où se reflétaient des chandelles. L’appartement du propriétaire était toujours bien éclairé et, dans les pièces occupées par les deux garçons, la fenêtre de la petite salle commune – le mot salon était peut-être excessif ! – révélait habituellement au moins la flambée de la cheminée. Cette fois, rien !
Au bruit que fit le jeune homme, un palefrenier muni d’une torche qu’il planta dans son réceptacle accourut, affichant une évidente satisfaction :
— Monsieur de Sarrance ! Ah, ça fait tout de même plaisir ! (Puis enflant la voix :) Gratien ! Viens un peu par ici !
"La dague au lys rouge" отзывы
Отзывы читателей о книге "La dague au lys rouge". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "La dague au lys rouge" друзьям в соцсетях.