— Merci, Monsieur, murmura-t-il tandis que la haute et mince silhouette s’écartait de lui avant de s’arrêter au bout de trois pas et de se retourner :
— Au fait, comment se fait-il que Courcy ne soit pas avec vous ?
— Courcy ?
— Oui, Courcy ! Vous arrivez bien d’Angleterre ?
— En effet... mais je ne l’ai pas vu.
— Sa Majesté l’a pourtant envoyé vous chercher dès le lendemain du drame...
— Je vous assure, Monsieur, que je ne l’ai pas rencontré.
— Sinon vous seriez sans doute revenus ensemble ! Encore un mystère qu’il va falloir élucider ! Et moi, je vais devoir demander au Roi qu’il embauche ses messagers ailleurs que chez mes chevau-légers ! Il a, pour ces besognes, des courriers et des ambassadeurs qui n’ont rien d’autre à faire !
Très mécontent, cette fois, le colonel rejoignit le cheval qu’on lui amenait, s’enleva en selle et quitta la cour du Louvre salué par les soldats qui s’y trouvaient.
Laissé à lui-même, Antoine se décidait à regagner son logis quand un écho de violons se fit entendre.
Levant les yeux, il vit les fenêtres de la Reine illuminées. Tout le monde savait qu’elle adorait la musique et, ce soir, il devait y avoir concert. D’ailleurs, elle détestait se coucher tôt. A défaut de son époux, elle pourrait le renseigner. Mieux que lui peut-être : cette Lorenza Davanzati n’était-elle pas sa filleule ? L’idée lui traversa l’esprit d’aller se changer avant de se présenter chez elle mais il était vraiment éreinté et la rue des Barres lui parut au bout du monde. Quittant le grand degré, il se dirigea vers l’escalier de la Reine qu’en dépit de sa fatigue il escalada presque en courant... Après tout, la lettre qui lui avait fait quitter Londres venait de sa maison !
Dans l’antichambre, il trouva le chevalier d’honneur, M. de Châteauvieux, aux prises avec deux filles d’honneur, Mlles de Sagonne et de Saint-Nom qu’il avait surprises alors qu’elles s’efforçaient de quitter en catimini l’appartement royal, arguant d’une foule d’excuses plus ou moins bancales qu’il se refusait à entendre. L’arrivée d’Antoine apporta une agréable diversion à cela près que ces demoiselles n’eurent plus aucune envie d’aller courir l’aventure. On l’accueillit avec toutes sortes d’exclamations apitoyées, de condoléances et d’assurances d’amitié suscitées par le fait qu’en dépit de son air exténué et de sa triste mine, il demeurait l’un des garçons les plus séduisants de la cour. M. de Châteauvieux réussit cependant à faire taire ces bécasses pour dire :
— Plus que ces jeunes folles, je partage votre douleur, mon ami. Vous souhaiteriez être reçu par Sa Majesté ?
— C’est cela même, Monsieur, et je vous remercie de l’avoir compris. Seulement je crains de tomber mal ! Il y a concert ce soir ?
— Comme vous pouvez l’entendre ! Néanmoins voilà plusieurs jours que Sa Majesté a donné ordre de vous conduire à elle dès votre retour...
— Et nous allons vous y mener sur l’heure..., commença Mlle de Sagonne.
— Parce qu’elle est dans une grande impatience de vous entretenir... Venez avec nous ! Acheva sa compagne.
Elles prirent Antoine chacune par une main pour l’entraîner mais le chevalier d’honneur s’interposa :
— Mesdemoiselles, Mesdemoiselles ! Un peu de calme s’il vous plaît. C’est à moi qu’il incombe d’aller prévenir la Reine... mais je ne vous empêche pas de tenir compagnie à M. de Sarrance !
Elles ne se le firent pas répéter deux fois et sans lâcher les mains du voyageur, elles l’attirèrent vers une banquette où elles le firent asseoir entre elles deux :
— Quelle horrible histoire !
— Et comme nous vous plaignons ! Votre pauvre père si vilainement occis !
— Qui aurait pu s’attendre à pareille sauvagerie chez cette fille !
— De bonne souche cependant ! Elle semblait si convenable !...
— Convenable, convenable ! Il faut le dire vite. Souvenez-vous de Fontainebleau ! N’avait-elle pas osé refuser haut et clair de l’épouser...
La tête bourdonnante, Antoine n’écoutait pas. Heureusement, la rapide réapparition de Châteauvieux le délivra :
— Venez, Monsieur ! Sa Majesté se rend dans sa chambre où elle va vous recevoir... Sans vous ! ajouta-t-il à l’intention des deux donzelles qui, tenant toujours fermement Antoine, s’apprêtaient à leur emboîter le pas. Elles eurent le même soupir en délivrant leur proie. Puis se regardèrent :
— Que faisons-nous ? interrogea Louise de Sagonne. On rejoint les autres ?
— Peut-on faire autrement puisqu’elle va recevoir dans sa chambre ? Si on l’avait su plus tôt, on aurait pu se cacher dans le cabinet d’écriture. Tout ce qu’on peut faire c’est retourner au salon et rester le plus près possible de la porte...
— Avec la musique, nous n’entendrons rien !
— Qui sait ? Quand elle se met à crier, on l’entendrait même si on tirait le canon à côté d’elle...
Pendant ce temps, M. de Châteauvieux faisait le tour de l’appartement. Pour éviter le salon à la suite duquel était la chambre, il fallait traverser le logis du Roi dont la chambre communiquait avec celle de la Reine par le cabinet en question.
Quelques minutes après, Antoine était introduit dans ce qui était peut-être la plus belle pièce du palais. Somptueuse avec ses boiseries dorées à l’or fin et sculptées, ses lambris et ses plafonds peints de couleurs vives, son imposant lit à courtines bleu et or posé sur une estrade, ses tentures parfilées d’or et sa balustrade en argent isolant le lit, elle avait deux fenêtres donnant sur la cour intérieure et deux sur la Seine, celles-ci pourvues d’un balcon. Aux murs, des portraits des Médicis. Un peu partout, des coffres et des cassettes ouverts laissaient voir les bijoux dont Marie raffolait. Enfin, près d’une sorte de petit bureau en laque de Chine incrusté d’argent et rehaussé de nacre et de perles, offert quelques mois auparavant par les Jésuites, trônait Marie de Médicis en personne, assise sur une chaise d’argent garnie de coussins du même bleu lumineux que sa robe en soie épaisse entièrement recouverte de la même fine dentelle d’or dont se composait sa haute collerette. Diamants et saphirs étincelaient à ses mains, ses bras, sur sa gorge opulente, ses oreilles et sur le léger diadème posé sur ses cheveux. Tout cet apparat joint à une majesté naturelle lui donnait fort grand air...
Elle sourit quand Antoine la salua mais le retint au moment où il mettait genou en terre pour baiser le bas de sa robe :
— Relevez-vous, Monsieur de Sarrance, et prenez ce tabouret ! Vous êtes si visiblement las que nous oublierons un instant le protocole. Monsieur de Châteauvieux, veillez à ce que l’on ne nous dérange pas !
— Je remercie Votre Majesté, murmura Antoine en s’asseyant tandis que le gentilhomme rejoignait la porte du salon. Sa bonté me confond alors que j’ai l’outrecuidance de l’importuner...
— Ne vous excusez pas ! Voilà trois ou quatre jours que j’attendais votre retour. J’espérais, en effet, que vous viendriez en hâte dès que vous auriez reçu ma lettre...
— Elle émanait de Votre Majesté ? Mais...
— Sans signature, je vous l’accorde. J’ai jugé plus prudent de l’écrire ainsi. Le Roi n’aurait pas apprécié, je pense, que je prenne sur moi de vous rappeler... Il a dû le faire lui-même d’ailleurs. Vous n’avez rencontré aucun courrier ?
— Aucun, Madame, et j’ai encore peine à croire ce que j’ai lu !
— C’est bien compréhensible ! Une si horrible histoire. Qui aurait pu imaginer une chose pareille ? ajouta-t-elle avec un frisson tellement bien joué qu’il fit cliqueter ses joyaux.
— Ainsi ce que l’on m’a écrit est vrai ? La nuit de ses noces, mon père a été tué par sa jeune épouse ?
— Vous êtes visiblement fatigué, Sarrance ! Je viens de vous dire que j’ai dicté cette lettre ! Oseriez-vous douter de ma parole ? En vérité, vous allez me faire regretter...
De compatissante la voix devint sèche, la bouche se pinça. Sa florentine Majesté détestait par-dessus tout que l’on n’attachât pas à ce qu’elle avançait le poids d’une parole d’évangile.
— A Dieu ne plaise, Madame, s’empressa de dire Antoine. Et si Votre Majesté avait la bonté de m’apprendre comment cela s’est passé ?
— Oh, c’est fort simple : au matin on a retrouvé le corps de votre père dans l’escalier de son hôtel et couvert de sang : cette fille lui avait tranché la gorge avant de prendre la fuite.
— La fuite ? Mais où est-elle allée ?
— C’est ce que nous apprendrons peut-être si on arrive à la retrouver. Que vouliez-vous qu’elle fît d’autre que se sauver ? Elle n’allait pas rester tranquillement dans la maison en attendant qu’on vienne l’appréhender.
L’image que l’on évoquait devant lui était d’une telle brutalité qu’Antoine peinait à l’accepter. Cette merveilleuse jeune fille à laquelle il ne cessait de penser égorgeant sauvagement l’homme à qui l’on venait de la marier ? Cela le révoltait...
— Ce n’est peut-être pas elle ? Hasarda-t-il. L’assassin a pu l’enlever pour se l’approprier... Une telle beauté !
C’était la dernière chose qu’il fallait dire. Marie enfourcha ses grands chevaux :
— Ma parole, vous la défendez ? Et alors qu’il s’agit de votre père ? Quelle honte ! Et si j’affirme, moi la Reine, qu’elle l’a tué, oserez-vous me démentir ? Faut-il vous rappeler que son précédent fiancé a été assassiné la veille de ses noces ?
— Pas par elle tout de même ?
— Et pourquoi pas par un ruffian à sa solde ? Ce n’est pas difficile à trouver à Florence... A Paris non plus d’ailleurs. Mais puisqu’il faut vous mettre les points sur les i, sa culpabilité est avérée. Il y a eu un témoin et ce témoin est ici !
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