— Elle voulait que cette malheureuse fille dont les plus grands torts sont d’être sa filleule et d’être belle, soit envoyée toutes affaires cessantes à la Bastille ou au Châtelet en attendant d’être prestement jugée et au moins pendue !
— Au moins ?
— Elle ne serait pas contre quelque chose de plus divertissant, comme le bûcher par exemple ? Et, bien sûr, sa fortune devrait faire retour à sa pauvre tante, sa seule héritière !
— Comment cela, sa seule héritière ? Elle ne saurait l’être en tout cas du marquis Hector. J’ai quelques notions de la loi : Antoine de Sarrance est le seul héritier de son père avec bien sûr, la veuve !
— Voilà pourquoi celle-ci doit disparaître et au plus vite. Il ne resterait plus qu’Antoine mais, tel que je le connais, il refusera cet argent ensanglanté si peu fortuné qu’il soit !
— Tout cela est répugnant ! s’écria Thomas hors de lui. Il faudrait que quelqu’un d’assez puissant puisse se mettre en travers de ce plan...
— Que diriez-vous de moi ?
Emporté par son indignation, Courcy avait oublié l’endroit où il se trouvait :
— Vous ?
Henri se mit à rire :
— Oui, moi. Je suis le Roi, vous savez ?
Puis, allongeant une bourrade à un Thomas rouge de confusion :
— On va essayer d’arranger tout cela au mieux. Je vais envoyer chez Giovanetti tandis que vous galoperez vers Boulogne.
Un peu plus tard, en effet, muni d’une lettre royale, des papiers et de l’argent nécessaires pour lui assurer la priorité dans les relais de postes et le détroit du pas de Calais, Thomas de Courcy franchissait la vieille porte Saint-Denis presque sans ralentir le galop de son cheval, criant au passage « Service du Roi ! ». En dépit du mauvais temps qui menaçait et lui promettait une traversée houleuse de la Manche, il éprouvait un curieux sentiment de libération. Le poids qui pesait sur lui depuis qu’il avait sorti Lorenza de l’eau s’était singulièrement allégé. La jeune fille qu’Antoine aimait était en sécurité et allait recevoir les meilleurs soins tandis que lui-même préviendrait son ami de ce qui l’attendait à Paris.
La pluie se mit à tomber mais il n’en avait cure parce qu’il adorait chevaucher au galop à travers la campagne, emporté par les jambes rapides de son cheval, enivré par la merveilleuse impression de ne faire qu’un avec lui. En outre, il n’était jamais allé en Angleterre. Or, curieux comme une sœur tourière, Thomas n’aimait rien tant que faire des découvertes. Une belle journée en résumé et la suite promettait mieux encore...
Cependant, Lorenza, entre la vie et la mort, se débattait avec un interminable cauchemar. Dévorée par la fièvre, inconsciente, elle alternait les crises de souffrance où son corps ressentait les brûlures du fouet et l’angoisse du trou noir où une main invisible la précipitait. Absente de son enveloppe charnelle, son âme menait un épuisant combat contre les fantômes de la peur et du désespoir. Par instants, elle revivait l’abominable soir de ses noces et l’affreux mari, nu comme un démon, l’imprécation à la bouche et la frappant, encore et encore, de sa cruelle lanière qui la déchirait. Et puis sa fuite à travers des rues sans fin, poursuivie par une horde malfaisante et enfin la chute dans un abîme glacé dont elle ne ressortait que pour tomber dans une fournaise. Le tout coupé d’épuisantes quintes de toux.
Durant des jours, elle ne vit ni l’aube ni le crépuscule. Parfois, il lui semblait entendre des voix au fond d’un étroit passage obscur au bout duquel brillait une lueur. Alors, essayant d’atteindre cette clarté, elle se traînait au long du tunnel noir qui n’avait pas de fin parce que la lumière s’éloignait à mesure qu’elle s’en approchait...
Un soir, pourtant, son horizon s’éclaircit. La malade émergea enfin des ténèbres de l’inconscience. Les objets et les vagues silhouettes se fixèrent et ses yeux s’ouvrirent sur un décor qu’elle ne connaissait pas. Elle comprit qu’elle était couchée dans un lit aux courtines jaunes faisant face à une cheminée dans laquelle un feu flambait. A son chevet, une dame inconnue était assise. Elle avait des cheveux argentés, un doux visage rose, un regard bleu levé sur quelqu’un qui était debout de l’autre côté du lit et qui tenait le poignet de la rescapée :
— Alors ? demanda-t-elle.
— La fièvre a baissé incontestablement et, à mon avis, notre malade ne devrait plus tarder... Mais elle vient d’ouvrir les yeux !
L’autre personne dont Lorenza ne distinguait que la longue robe noire pencha alors sur elle un visage coiffé d’un bonnet carré et orné d’une courte barbe qu’elle reconnut aussitôt :
— Docteur... Campo ?
— Dio mio ! Vous souvenez-vous de moi ?
— Bien sûr...
— Comment vous sentez-vous ?
Elle bougea avec précaution pour savoir si la souffrance allait revenir mais seul son dos se manifesta :
— Vivante ! murmura-t-elle. Je... Je me croyais morte...
Un sourire fit briller des dents blanches parmi les poils de la barbe :
— Grâce à Dieu... et à celles qui ont pris soin de vous, il n’en est rien ! Mais nous avons eu très peur !
— Où suis-je ?
La dame qui s’était éloignée un instant, revint avec un petit flambeau :
— Chez moi ! répondit-elle en souriant. Je suis la comtesse d’Entragues et c’est ma fille, la marquise de Verneuil, qui vous a recueillie après que M. de Courcy vous eut sauvée de la noyade.
— La noyade... Oh, mon Dieu ! C’était donc vrai ?...
Le tremblement la reprit. Ce que voyant, son hôtesse posa sur son épaule une main apaisante :
— Allons ! Tout est fini et il faut vous calmer ! Vous rendre des forces. Je vais vous faire porter un bouillon et quelques petites choses. Votre médecin saura mieux que moi vous raconter ce qui vous est arrivé.
Posant son bougeoir près du chevet, elle caressa la joue de Lorenza et se retira sur un dernier sourire, mais Lorenza tremblait toujours. Elle regarda Valeriano Campo avec un reste d’épouvante :
— Je suis... malade depuis combien de temps ?
— Quinze jours et quand on m’a fait venir ici, j’ai douté de pouvoir vous sauver. Vous aviez une fièvre cérébrale qui a bien failli vous emporter. C’était... je dirai normal après ce que vous avez subi mais c’est à votre jeunesse et à votre belle santé que vous devez tout.
— Que m’est-il arrivé au juste ?
Campo s’assit sur le bord du lit et prit la main de la jeune fille dans les siennes :
— Vous ne vous souvenez de rien ? On venait de vous unir au marquis de Sarrance et...
— Oh si, je me le rappelle !... C’était... c’était épouvantable !...
Une folle terreur envahit ses yeux noirs dilatés à l’extrême tandis que revenaient les images de cette nuit cauchemardesque...
— Peut-être serait-il préférable de remettre à plus tard ! Vous êtes encore si faible...
Il se leva mais elle le retint :
— Non... Il vaut mieux que je parle ! Il me semble que je serai soulagée... si je peux me vider de tout cela...
— Alors, attendez un instant ! Une goutte de vin de Chypre vous réchauffera.
Elle but lentement le liquide doré qui, en effet, répandit en elle une onde de chaleur, la fièvre, en l’abandonnant, lui ayant laissé une sensation de froid... Une légère couleur irisa ses joues pâles. Elle rendit le verre en se laissant aller sur ses oreillers avec un soupir. Elle ferma les yeux mais les rouvrit presque aussitôt. Les images qui se reformaient sur l’écran noir de ses paupières étaient insoutenables... Il fallait s’en délivrer à tout prix.
— Vous ne pouvez pas savoir ce qu’a été ce mariage. Après l’église où une main inconnue m’a obligée brutalement à courber la tête au moment des consentements alors que je voulais refuser, on est allés en cortège dans cette maison pour festoyer mais il y avait surtout des hommes. Quelques dames seulement mais pas celles que j’avais vues autour de la Reine qui n’est pas venue non plus. Seul, le Roi est entré. A ce moment-là, je me suis sentie mal et j’ai perdu connaissance. Je suis revenue à moi dans la chambre où l’on avait dû me porter. Ensuite les femmes m’ont déshabillée. Elles riaient et faisaient des commentaires sur ma personne et ce que cet homme...
Sa voix s’enroua avec une grimace de dégoût. Le médecin prit l’une de ses mains qu’il garda bien serrée dans les siennes pour lui insuffler un peu de sa force mais sans rien dire. Elle toussa une ou deux fois et reprit :
— On m’a mise au lit et puis il... il est venu avec le Roi et un groupe d’hommes ivres qui se sont vite retirés. Lui aussi avait bu. Ses yeux flambaient mais ce n’était pas d’ivresse, c’était de haine. Il m’a arrachée du lit, jetée à terre, insultée en m’accusant d’avoir voulu l’assassiner et il brandissait la dague... celle qui a tué Vittorio et que le grand-duc m’avait donnée. Sa pointe s’était brisée contre la cotte de mailles qu’il portait... Il a alors essayé de s’emparer de moi... il était... monstrueux mais j’ai pu lui échapper et j’ai ramassé la dague en le menaçant de me tuer. C’est alors qu’il a pris le fouet et qu’il a frappé... Encore et encore jusqu’à ce qu’en tombant ma main rencontre un objet que j’ai lancé dans sa direction et qui, par chance, l’a renversé. Ce répit m’a permis de me ressaisir. Je n’ai plus pensé qu’à fuir pour me réfugier chez messer Giovanetti mais je n’avais rien pour me couvrir. Ces femmes avaient emporté mes vêtements. Il n’y avait que sa robe de chambre à lui. Je l’ai mise et je suis partie dans les rues où je me suis perdue... et puis je souffrais tant !... La présence de l’eau du fleuve était une réponse... du destin... J’ai entendu des gens... derrière moi... j’ai cru qu’ils me poursuivaient et je me suis jetée à l’eau... je ne sais rien de plus.
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