— Et cette jeune fille...

— Était sans nul doute possible celle que l’on venait de marier à M. de Sarrance. En assez triste état, je dois dire. Aussi ai-je pensé qu’il était de mon devoir, puisqu’elle vivait encore, de lui porter secours et on l’a ramenée avec moi...

Oubliant le mécontentement distrait par les pensées badines qui l’occupaient, l’attention d’Henri était maintenant fixée.

— Madame de Sarrance ? Et vous dites qu’elle est ici ?

— Oui, Sire... et en proie à une forte fièvre qui lui ôte sa connaissance. Je souhaiterais d’ailleurs que le Roi veuille bien prendre la peine de monter la voir. Ma mère est auprès d’elle !

— Non seulement j’y consens mais je vous le demande !

A l’étage au-dessus, ils entrèrent dans une chambre où les rideaux à demi fermés entretenaient une douce pénombre. Mme d’Entragues se tenait assise près du lit, un mouchoir à la main, épongeant délicatement la sueur qui coulait du front de Lorenza. Toujours inconsciente, celle-ci roulait la tête sur l’oreiller en balbutiant des paroles sans suite. L’ancienne favorite de Charles IX se leva à l’entrée du Roi qu’elle salua en silence.

Cependant, sa fille allait tirer les rideaux puis, d’un mouvement aussi vif, revenait vers le lit dont elle empoigna les couvertures qu’elle rejeta au pied.

— Voilà, Sire ! Qu’en pensez-vous ?

A dessein, on avait préalablement ôté la chemise et les emplâtres de Lorenza afin de bien montrer les blessures. Elles ne saignaient plus mais certaines, plus profondes, étaient rouges et boursouflées :

— Ventre-saint-gris ! Souffla le Roi, horrifié. Qui a fait ça ?

— Mais son délicieux mari, Sire ! Et avec cet objet, ajouta-t-elle en prenant le fouet que Thomas lui tendait machinalement, incapable qu’il était de détacher son regard du corps charmant dont les cruelles meurtrissures ne parvenaient pas à dissimuler la grâce juvénile. Le Roi accorda un vague coup d’œil à l’objet qu’on lui montrait mais ses yeux revinrent vite sur Lorenza que l’ex-Marie Touchet se hâtait de recouvrir. Mieux valait ne pas laisser Henri contempler trop longtemps un tableau qui, pour être affreux, n’en gardait pas moins un charme certain. Il poussa d’ailleurs un soupir qu’il ne fallait pas s’aventurer à traduire. A défaut, son attention revint sur la lanière qu’il considéra avec dégoût :

— Où avez-vous trouvé ça ?

— Dans la chambre nuptiale, où le mari a dû le laisser tomber quand le bronze l’a atteint à la tête et sans doute étourdi, ce qui a permis à sa victime de s’enfuir à peine vêtue de ce qui restait de sa chemise et d’une robe de chambre appartenant sans doute à son bourreau. Elle devait être affolée de souffrance et de terreur, alors, ne sachant où aller, elle a choisi la Seine.

— Pauvre enfant ! Et si j’ai bien compris, le cadavre du mari était dans l’escalier ?

— Ce qui signifie que le choc avec la statuette n’a pas été mortel, qu’il a pu vouloir rattraper la fugitive...

— Qu’il l’a rejointe dans l’escalier...

— Non, Sire, affirma Thomas. Bien que plus grande, elle n’était pas de taille contre lui. Et puis où aurait-elle pris le poignard sans compter la force nécessaire pour trancher une gorge ? En outre, elle eût été couverte de sang...

— Mauvaise explication ! L’eau du fleuve l’aurait nettoyée.

— Elle n’y est pas restée suffisamment longtemps. J’ai l’honneur de rappeler au Roi que j’ai plongé derrière elle... A la réflexion, je me demande si le marquis, étourdi par le choc, n’a pas été traîné ensuite jusqu’à l’escalier où il a été égorgé. Par le véritable assassin. Il y a, dans la galerie, des traces auxquelles je n’ai peut-être pas porté assez d’attention sur le moment...

Très assombri, le visage d’Henri s’éclaira d’une expression amusée :

— Tudieu, mon garçon, je me demande ce que vous faites dans mes chevau-légers ? Je devrais vous confier à M. d’Aumont en lui conseillant de créer pour vous un poste de chef de la police ! Vous avez du talent !

— Je ne suis pas sûr que cela me plairait, Sire ! Je préfère de beaucoup veiller aux seules personnes du Roi et de sa famille.

— Je ne peux pas vous donner tort. Pour en revenir à notre affaire, vous pensez donc qu’il y a quelque part un tueur ?

— Sans aucun doute, Sire, intervint Mme de Verneuil, mais tant qu’on ne l’aura pas capturé, cela pose la question de savoir ce que nous allons faire de Mme de Sarrance... que je ne demande pas mieux que garder chez moi d’ailleurs. Le scandale semble prendre déjà de telles proportions !... Songez que M. de Joinville m’est venu l’apprendre à l’aurore ou peu s’en faut !

— Vous avez raison, ma mie ! approuva le Roi avec un soudain enjouement. Allons en discuter chez vous et laissons reposer votre malade ! A ce propos, je sais, Madame, ajouta-t-il à l’attention de la mère de la marquise, que vous vous y entendez admirablement à soigner les maux du corps mais la pauvre enfant paraît bien mal en point. Peut-être souhaiteriez-vous l’assistance d’un médecin ?

— Certes, Sire, à condition qu’il soit efficace et discret... Ce qui n’est pas si fréquent.

— Messer Giovanetti en a un excellent. Qu’il ne prête pas volontiers mais dont j’ai eu l’occasion d’apprécier les qualités et je suis prêt à le faire appeler pour vous... en lui précisant clairement qu’il devra se taire jusqu’à nouvel ordre. Cela ne devrait pas poser de problème : l’ambassadeur aime beaucoup donna Lorenza. Il doit être mort d’inquiétude !

Marie ne retint pas un soupir de soulagement :

— J’en serais vraiment contente, Sire ! Je ne vous cache pas qu’elle me cause du souci. Cette fièvre qui ne cède pas... cette toux qui la déchire par moments...

— Soyez tranquille ! Vous le verrez avant ce soir !

Sur un dernier salut à l’adresse de Marie, il glissa son bras sous celui d’Henriette vers laquelle revenait son œil singulièrement brillant, et l’on rejoignit l’escalier pour descendre chez elle.

— Allez m’attendre dans la voiture, Courcy ! Votre patience ne sera pas mise à trop longue épreuve, dit-il en ouvrant lui-même la porte de l’appartement pour laisser passer sa compagne, après quoi il la referma du bras, sa main libre s’étant glissée autour de la taille de la marquise.

Que faire sinon obéir ? En dépit des belles résolutions qu’Henri prétendait avoir prises, il n’y avait pas d’illusions à garder. Le drame de cette nuit venait de ramener le Roi dans les griffes de celle qu’il était tellement certain de ne plus aimer et, en ce moment, il devait être en train de parler d’autre chose que de Lorenza. En admettant qu’ils parlent ! Ce dont Thomas doutait au point qu’il osa entrouvrir la porte de l’antichambre et, la trouvant déserte, marcha à pas de loup jusqu’à celle de la chambre -mal fermée d’ailleurs ! – pour entendre la voix roucoulante d’Henriette murmurer après un petit rire :

— Ne soyez pas si pressé, voyons ! Vous allez déchirer une de mes robes préférées...

— Et moi je préfère encore plus ce qu’elle cache ! Tu es plus belle que jamais et j’étais fou de me priver de toi, mon menon !

Suivirent des bruits divers. Thomas se retira sur la pointe des pieds pour aller s’installer dans la voiture avec quelque morosité parce qu’il avait faim. Il y avait bien, un peu plus loin dans la rue, une rôtisserie à laquelle il eût volontiers rendu visite mais ne s’y risqua pas de crainte qu’Henri ne revienne avant lui...

Or, ce ne fut qu’au bout de deux mortelles heures que Sa Majesté reparut, l’œil étincelant, le sourire aux lèvres et fleurant bon une senteur de jasmin de Damas dominant son habituelle senteur d’ail. Le triomphe de Mme de Verneuil était total : l’amant rétif venait de retomber sous son joug. Restait à savoir de quel prix il allait devoir payer l’éloignement où il l’avait tenue depuis plusieurs mois.

A peine assis, Henri se carra dans les coussins et, avec un soupir d’aise, ferma les yeux, revivant sans doute en pensée de savoureux moments. Ce que voyant, Thomas s’abstint de poser la question qui lui brûlait les lèvres : qu’avait-on décidé pour Lorenza ?

Pourtant si l’amant se délectait, le Roi ne dormait pas. Soudain, Thomas entendit :

— Je vous ramène au Louvre afin de vous donner les passeports dont vous aurez besoin : vous partez pour Londres ce soir même !

— Le Roi m’envoie en Angleterre ?

— Naturellement. Quel autre que vous pourrait annoncer avec doigté ce qui vient de se passer à Antoine de Sarrance, ? Vous le ramènerez avec vous ! Jusque dans mon cabinet ! Je n’ai pas envie qu’il entende n’importe quoi !

— Merci, Sire ! Pour lui et pour moi ! Puis-je en outre demander... ce qui a été décidé pour donna Lorenza ?

— Elle n’est guère transportable à cette heure ! De toute façon, nous pensons, Mme de Verneuil et moi, qu’elle sera mieux là où elle est que n’importe où ailleurs. Mme de Verneuil a même émis l’idée de l’emmener à Malesherbes ou à Verneuil quand elle sera un peu rétablie.

— A... avec sa tante ?

— Cette horrible femme ? Certes pas ! Dès qu’elle a su la nouvelle elle s’est mise à crier haro sur sa nièce en l’accusant de tous les péchés. Celle-là, je donnerais cher pour m’en débarrasser !

— Peut-être pourriez-vous charger l’ambassadeur Giovanetti de la reconduire à Florence ? C’est son rôle, il me semble ?

Toute félicité envolée, Henri eut un petit rire amer :

— Ce serait trop simple ! C’est une vieille rusée qui a su se faire une amie de la Conchine. Ces deux-là n’ont pas perdu une minute pour réclamer la protection de la Reine. Vous l’avez entendue dégoiser tout à l’heure ?

— A défaut de comprendre c’était difficile de ne pas entendre.