— Je suis sûre qu’il voudrait t’aider. Sinon on ne t’aurait pas enlevée de chez lui comme on l’a fait ! Et justement pendant qu’il allait parler au Roi. En outre, si j’ai bien compris, celui-là a essayé de convaincre le vieux de renoncer à toi ?

— Il est le Roi, sacrebleu ! Il pouvait ordonner ! Mais non ! Je ne peux compter que sur moi-même ! Aussi demain...

— Que vas-tu faire ? Tu m’effraies !

— Il ne faut pas. Je vais me servir de la seule arme qu’on me laisse. A ce propos, sais-tu où est la dague au lys rouge que je cachais sous mes oreillers ? Quand cette matrone est venue nous chercher, elle a mis un tel désordre que je crains de l’avoir oubliée...

— Qu’as-tu besoin de ce poignard qui a déjà fait tant de mal ?

— Pour éviter que l’on ne m’en fasse encore ! C’est une sécurité, comprends-tu ?

— Contre les autres ou contre toi-même ? C’est une arme d’homme et elle m’a toujours fait peur !

— Ne sois pas sotte ! J’ai l’impression que dans cette cour, il faut se préserver de tout comme de tous... Mais pour en revenir à la dague, elle a dû rester chez messer Filippo. Demain, tu iras la réclamer !

— A condition de pouvoir sortir. As-tu seulement remarqué les gardes postés aux deux bouts de la galerie ? Ils doivent bien être là pour quelque chose !

— Alors tentons l’expérience : donne-moi un manteau, des gants, habille-toi et sortons !

— Je suis sûre qu’on ne nous laissera pas passer !

Elle n’avait que trop raison. En les voyant approcher, les deux gardes croisèrent leurs pertuisanes pour leur interdire le passage et, comme la jeune fille protestait en disant qu’elle voulait se rendre à l’église, l’homme lui sourit :

— Désolé, Madame, mais les ordres sont formels : vous ne devez quitter le palais sous aucun prétexte !

— Mais enfin, je veux aller prier !

— Pourquoi pas chez vous ? Dieu est partout, ajouta-t-il vertueusement mais avec une expression admirative qui rendait hommage à sa beauté.

— Et ma servante ? Je voudrais qu’elle fasse quelques achats...

— Elle les fera demain ou plus tard ! Encore une fois j’ai des consignes, Mademoiselle, et je serais chassé si je les transgressais ! On vous en dirait tout autant là-bas au bout !

— Mais enfin, je ne suis pas seule à habiter cette partie du palais ?

— Pour le moment, si. Madame la duchesse de Montpensier n’est pas à Paris et la signora Concini possède un escalier privé qui la mène directement chez la Reine. Mais pourquoi ne pas vous adresser à elle ? Conseilla-t-il en la voyant s’assombrir. Elle fait la pluie et le beau temps ici, déplora-t-il en baissant la voix de plusieurs tons.

— C’est justement pour cette raison que je ne lui demanderai rien ! Merci, Monsieur... ?

L’interrogation appelait une réponse. Le jeune homme rougit sous son casque mais ses yeux se mirent à briller tandis qu’il répondait :

— ... d’Ouchy ! Matthieu d’Ouchy pour vous servir de mon mieux mais en d’autres circonstances, Mademoiselle ! J’aimerais tellement vous faire plaisir !

C’était l’évidence même mais Lorenza n’en rentra pas moins dans son logis provisoire où, aidée de Bibiena, elle entreprit de tout ranger dans l’espoir de retrouver la dague. On vida de nouveau les coffres mais en vain : l’arme n’y était pas. Lorenza avait caressé un instant l’idée d’aller, une fois son service achevé, prier Matthieu d’Ouchy de venir la voir mais elle renonça vite : il n’était pas seul en faction à ce bout de la galerie et le visage de son compagnon était demeuré de glace tout le temps qu’avait duré le court entretien. Il eût donc été stupide de lui créer un problème dont les suites pourraient être dangereuses.

La journée s’écoula sans que personne, en dehors des valets du service de la bouche, ne franchisse le seuil de sa chambre, et il fut impossible de tirer de ceux-ci le moindre renseignement... La femme au voile noir et sa reine semblaient avoir ourdi autour d’elle une conspiration du silence !

La nuit qui suivit et le lendemain matin se ressemblèrent sur ce point. Ce fut seulement dans l’après-midi que Mlle du Tillet reparut à la tête d’une véritable escouade de valets et de filles de chambre.

— C’est ce soir que vous vous mariez, lança-t-elle dès qu’elle eut franchi le seuil sans plus s’encombrer de vaines formules de politesse. Il est temps de vous y préparer ! Dans quel coffre se trouve la robe nuptiale ?... Bien ! Tous les coffres seront portés demain à l’hôtel de Sarrance où vous serez conduite sitôt la cérémonie célébrée...

— Je croyais que la première nuit se passait ici ?

— En effet, mais les dispositions ont changé de par la volonté de votre futur qui, souhaitant préserver votre intimité de couple, en a décidé ainsi. On y vaque en ce moment aux préparatifs du festin... Ainsi vous pourrez prolonger votre nuit de noces aussi longtemps que vous le désirerez ! Plusieurs jours même ! Ce qui est possible si j’en crois l’ardeur...

— Où est cette maison ?

— Vous connaissez Paris ?

— Pas du tout, mais...

— Dans ce cas, je ne vois pas ce que cela peut vous faire mais je consens à vous répondre : rue de Bethisy. C’est proche de l’église où vous serez mariée. Donc vous irez sous bonne garde et cela évitera à ce pauvre Sarrance une autre mésaventure...

— Quelle mésaventure ? De grâce, Madame, expliquez-vous plus clairement. Il faut vous arracher les paroles ! S’impatienta la jeune fille.

Charlotte du Tillet ne s’en formalisa pas et même se mit à rire :

— Peu de chose en vérité : vous avez failli être veuve avant d’être mariée...

— Quoi ?

— ... Hier soir, un malandrin que l’on n’a pu retrouver a voulu tuer votre promis tandis qu’il rentrait chez lui à pied avec pour seule escorte un valet. En lui plantant un poignard dans le dos ! A ce propos, il paraît que vous êtes dangereuse, ma chère ? Avec le poignard il y avait un mot rédigé en toscan disant que tous ceux qui oseraient prétendre à votre main devaient mourir... Allons ! Remettez-vous !... Vous voilà toute pâle !

En effet, les jambes fauchées, Lorenza venait de s’asseoir sur son lit pour essayer de retrouver son souffle. La du Tillet lui tapota les joues :

— On dit qu’à Florence, déjà, on a tué de cette manière le jeune homme que vous deviez épouser ? Heureusement, Sarrance avait ouï cette histoire et prenait ses précautions, ne tenant nullement à faire le second...

— Il... il est vivant ?

— Plus que cela ! Tout frétillant ! Il faut dire que votre ambassadeur lui avait conté l’histoire et qu’il s’est prémuni en portant sous son pourpoint une cotte de mailles qui le couvrait entièrement des cuisses au col ! Venez maintenant. On va vous donner un bain et tous les soins nécessaires pour que la douceur de votre peau et les parfums de votre jeunesse lui fassent oublier cette vilaine aventure. On finira bien par retrouver l’assassin et il paiera son forfait sur l’échafaud. Peut-être même en un moment où le vieux bouc sera en train de vous chevaucher !

Dans les brefs instants passés à la cour, Lorenza avait pu s’apercevoir que l’on y usait d’un langage beaucoup plus vert qu’au palais Pitti mais, cette fois, l’image évoquée fut si précise qu’elle en eut un haut-le-cœur et se hâta de cacher son visage dans ses mains pour se remettre. Ainsi, le mystérieux assassin qui l’avait à jamais séparée de Vittorio l’avait suivie en France afin d’y poursuivre son dessein meurtrier ? Malheureusement, il avait manqué son coup ! Malheureusement, oui ! Elle ne craignait pas de s’avouer qu’elle eût été cette fois aussi heureuse qu’elle avait été attristée du meurtre de Vittorio ! Elle eût été libérée de cet odieux mariage et c’était tout ce qui comptait même si le mystérieux assassin risquait de faire peser une menace sur le reste de sa vie...

Une chose la réconfortait : l’homme – un compatriote sans aucun doute ! – n’avait pas été capturé. Il était toujours libre, ce qui laissait un espoir !... Bien ténu assurément car il savait à présent que Sarrance se protégeait contre ses coups. En outre, il n’y avait aucune chance de réussite avant qu’elle ne lui soit livrée puisque toute la Cour allait entourer le couple jusqu’au seuil de la chambre nuptiale...

Ce qui suivit fut comme l’un de ces mauvais rêves dont on essaie vainement de se libérer sans que le retour à la réalité apporte un apaisement. On la baigna, on la massa, on la parfuma, on l’habilla et enfin on la coiffa avant de la conduire chez la Reine où son entrée fit sensation. Dans la robe de satin blanc brodée d’or qu’elle aurait dû revêtir pour rejoindre Vittorio Strozzi au Duomo afin de lui jurer à jamais amour et fidélité, elle était belle à couper le souffle en dépit de sa pâleur. Suivant la mode de Florence, l’ample jupe se terminait par une courte traîne dépouillée des disgracieux vertugadins, et la grande collerette en éventail – de délicate dentelle parfilée d’or – encadrait avec grâce un cou de cygne le long duquel des grappes de perles tremblaient jusqu’aux douces rotondités de jeunes seins qu’aucune baleine n’aplatissait. Des peignes et des épingles ornés de perles remontaient la masse somptueuse des cheveux tressés en nattes soyeuses sous une résille d’or et de perles d’où partait un voile court de la même dentelle qui composait la collerette. A l’exception des pendants d’oreilles, aucun autre bijou n’altérait la ligne pure de la gorge. Pas davantage aux poignets, aux doigts, à la ceinture ou sur le devant d’une robe dont la magnificence n’avait nul besoin de cette surcharge.

Enfermée dans son désespoir, Lorenza ne vit aucun de ceux à qui on la présentait, même les souverains auxquels elle rendit comme une somnambule l’hommage mécanique des révérences. Le seul visage qu’elle cherchât, celui de Giovanetti, ne parut pas et quand le cortège se mit en marche pour gagner l’église voisine de Saint-Germain-l’Auxerrois, elle prit place machinalement entre les deux femmes qui allaient la mener à l’autel : sa tante Honoria, raide d’orgueil sous des moires quasi épiscopales cousues d’améthystes et de petites perles, et Mme de Guercheville représentant la Reine. Avant de sortir cependant, une main inconnue disposa un manteau sur ses épaules, ce qui la réchauffa car elle se sentait glacée.