— Vous me faites beaucoup d’honneur ! Dois-je vous remercier ?
— Si vous voulez, mais faites en sorte que l’on ne s’en aperçoive pas ! Surtout la Reine ! Auprès d’elle, mieux vaut passer pour une bécasse que pour une lumière !
— Vous avez déjà dit qu’elle ne m’aimait pas ! Qu’est-ce que cela changerait ?
— Peut-être que... mais il est vrai qu’elle n’aura pas longtemps à vous supporter ! Bon ! Vous voici chez vous jusqu’au mariage. Installez-vous ! Des valets vont apporter vos coffres et ensuite on vous servira à dîner car vous ne devez pas bouger d’ici. La Reine viendra vous voir ce tantôt !
Et, sans plus d’explications, elle disparut dans un grand froissement de taffetas. La porte ne s’était pas même refermée qu’Honoria, entrée sur les talons de la comtesse, entamait la litanie de ses récriminations :
— Est-ce là l’hospitalité d’une souveraine ? Deux chambres, deux lits et presque pas de meubles ? Il est vrai qu’une fois les coffres arrivés on ne pourra plus bouger ! On se marchera sur les orteils.
Pour une fois, elle avait raison mais Lorenza, plus lasse que si elle venait de faire le tour de Paris en courant, n’avait pas envie de discuter :
— Je ne demande pas mieux que de rentrer à l’ambassade et vous laisser la place ! Malheureusement...
— Ne comptez pas me voir regagner ce trou à rats si c’est ce à quoi vous pensez ! Je me réserve seulement de me faire entendre de la Reine ! Cette Madame de je ne sais quoi...
— Du Tillet !
— Si vous voulez ! Cette du Tillet a dû interpréter ses ordres n’importe comment !
Elle disserta sur ce thème jusqu’à ce que vienne le repas... qui ne lui plut pas et qu’elle jugea insuffisant... Ce qui était vrai d’ailleurs : on n’avait prévu que pour une personne mais comme Lorenza n’avait pas faim, sa tante put reprendre suffisamment de forces en vue de l’auguste visite de l’après-midi. Aussi, quand la porte s’ouvrit sur l’ample silhouette de Marie de Médicis, ne perdit-elle pas une seconde pour se jeter à ses pieds :
— Ah, Madame !... Ah, Votre Majesté ! Que la Reine est donc bonne de venir à nous ! Elle va pouvoir constater par elle-même du peu de cas que l’on fait de nous et comment l’on interprète les ordres de la Reine ! Oser nous entasser dans ces deux chambres ridicules...
Les gros yeux bleus se posèrent sur elle avec un franc dégoût :
— Retournez d’où vous venez ! Vous n’avez pas été invitée !
— Mais je...
— Sortez ! On y verra plus clair ! Où es-tu, Lorenza ?
— Ici, Madame ! fit la jeune fille en sortant de derrière les rideaux du lit.
— Je veux que l’on vide tes coffres devant moi afin de m’assurer que tu as ce qu’il faut pour figurer convenablement à tes épousailles !
— Votre Majesté ne devrait pas s’inquiéter. La grande-duchesse Christine y a veillé elle-même et je crois ne manquer de rien !
— C’est ce que nous allons voir ! Allons ! Que l’on se hâte ! Ouvrez tous ces coffres !
Ce qui suivit tint du cauchemar. On fit sortir Honoria, Bibiena et Bona. Puis deux des caméristes de la Reine vidèrent le contenu des lourdes malles de voyage mais Lorenza comprit vite qu’il ne s’agissait pas de vérifier s’il ne lui manquait rien mais bien d’inventorier toutes les richesses venues de Florence. Chaque robe était dépliée, présentée à Marie qui ne cessait de s’extasier sur l’habileté des couturières florentines, regrettant visiblement qu’aucune de ces choses ravissantes ne soit à sa taille. Enfin on passa aux cassettes à bijoux qui n’étaient pas à dédaigner. Outre les joyaux qu’elle tenait de sa mère et de ses aïeules, Lorenza avait reçu du couple grand-ducal de magnifiques présents en vue de son mariage avec Vittorio, présents qu’on ne lui avait pas repris. Seuls l’émeraude des fiançailles et les autres dons des Strozzi avaient été rendus.
L’inventaire dura un moment... L’œil émerillonné, la narine frémissante, Marie de Médicis prenait les pièces l’une après l’autre, les comparait, les posait sur son poignet, sa gorge ou ses doigts. Quand ce fut fini, elle avait mis de côté une parure de perles roses et de petits diamants, deux bracelets assortis de saphirs, d’émeraudes et de perles et une agrafe de manteau composant un bouquet de fleurs multicolores réalisé en pierres précieuses.
— Je t’emprunte ces bijoux ! décida-t-elle. Ils sont tellement jolis que je veux les faire copier afin d’avoir les mêmes. J’espère que tu n’y vois pas d’inconvénient ? Tu es assez bien fournie pour pouvoir t’en passer pendant quelque temps !
Et, sans attendre une réponse que Lorenza, suffoquée d’une telle audace – si elle revoyait ces joyaux ce serait certainement en rêve ! –, n’arrivait pas à formuler, elle mit son butin dans l’une des cassettes qu’elle confia à Mlle du Tillet puis quitta la chambre qu’elle laissait dans un incroyable désordre, rien de ce qui avait été sorti n’ayant été rangé. Sur le seuil cependant, elle se retourna :
— Tu seras mariée après-demain soir. Jusque-là tu ne bouges pas d’ici ! On t’apportera tout ce dont tu pourrais avoir besoin.
Puis elle disparut avec ses femmes caquetantes, chacune donnant son avis comme si elles venaient d’assister à une présentation de mode. Lorenza resta seule avec une Bibiena d’autant plus indignée qu’elle avait été obligée de se taire tant que Marie de Médicis avait occupé les lieux. Elle grommelait entre ses dents tout en repliant et rangeant les robes, manteaux, lingeries et autres accessoires de toilette féminine empilés sur le lit. Lorenza essaya de l’aider tout en réfrénant sa colère contre cette grosse femme dont on avait fait une reine de France alors qu’elle n’était même pas capable de respecter les lois de l’hospitalité chères à tous les cœurs florentins de bonne souche. Elle, une Médicis !
— Il va falloir nous arranger pour cette nuit puisque nous n’avons que deux lits, dit-elle enfin quand le dernier coffre fut refermé. Tu dormiras avec moi dans celui-ci et donna Honoria avec... mais, au fait, où est-elle passée ? Dieu sait que je ne l’aime guère mais la façon dont elle a été traitée est indigne !
— Je crois qu’elle est restée dehors. Je l’ai entendue pleurer...
— J’y vais !
Honoria était bien là, en effet. Assise sur une des bancelles qui composaient, avec quelques torchères en bois doré, l’ameublement de la longue galerie desservant les appartements, repliée sur elle-même au point de ne plus former qu’une masse indistincte, ses mains cachant son visage, elle pleurait à gros sanglots mais elle n’était pas seule : penchée sur elle, une femme entièrement recouverte d’un voile noir lui parlait tout bas. La forme voilée se redressa à l’approche de la jeune fille et celle-ci put voir qu’elle tenait un gobelet à la main.
— Je voudrais lui faire boire un peu de ce cordial mais elle n’a même pas l’air de m’entendre.
— C’est dommage, fit Lorenza trop surprise pour n’être pas sincère. Vous avez une bien belle voix !
Chaude, profonde et d’une extrême douceur, c’était un timbre presque envoûtant. Cela expliquait peut-être l’influence que cette femme exerçait sur Marie de Médicis dont elle était l’indispensable compagne depuis la prime jeunesse.
— Vous êtes Leonora Galigaï, n’est-ce pas ? poursuivit-elle.
— Je l’étais. A présent, je suis Leonora Concini ! répliqua l’autre avec orgueil. Et il m’est apparu naturel de porter secours à une dame de chez nous !
Le dialogue des deux femmes avait percé le bruyant désespoir d’Honoria. Elle cessa de pleurer, les regarda tour à tour, renifla puis tendit la main vers le gobelet – d’or ! – que Galigaï lui offrait.
— C’est bien réconfortant de rencontrer enfin dans ce pays quelqu’un qui sache reconnaître une dame de la noblesse... alors que la Reine... une fille de Toscane pourtant !... Elle me fait autant dire... enlever de chez messer Giovanetti sans me laisser le temps de m’habiller et une fois dans ce lieu ci me renvoie comme... comme une souillon ! Moi ! Une Davanzati !... Que vais-je devenir ? Que vais-je devenir, mon Dieu ?
Et elle se remit à pleurer de plus belle, quoique faisant montre d’un talent moins convaincant, et à se lamenter sur son sort.
— Calmez-vous, tante Honoria ! Nous allons nous arranger puisqu’il s’agit seulement de deux jours, ajouta-t-elle avec amertume. Vous prendrez l’un des deux lits avec Bona...
— Il est hors de question que je dorme avec ma servante !
— Alors ce sera avec moi ! concéda Lorenza, résignée...
— Jamais de la vie. Moi je veux un lit rien que pour moi...
— Voulez-vous me permettre de jeter un coup d’œil ? demanda la Concini.
Elle pénétra dans la chambre et en ressortit aussitôt. Elle releva sa mousseline funèbre révélant un visage aux traits vulgaires, au nez trop long, au menton têtu, aux petits yeux noirs sans cesse en mouvement sous des cheveux frisottés au fer et d’un blond artificiel destiné sans doute à masquer des mèches grisonnantes. Une grande bouche et une peau jaunâtre, ce qui était le fait d’une mauvaise santé, complétaient le portrait. Sa laideur expliquait peut-être sa longue faveur auprès de Marie.
— Quelle idée a eu Sa Majesté de vous loger là-dedans ? dit-elle. C’est à peine suffisant pour une seule personne et si vous voulez bien accepter mon hospitalité, donna Honoria, je serais heureuse de vous offrir une chambre plus digne de vous que ce débarras...
— Vraiment ? Oh, que ce serait aimable à vous ! Mais que dira la Reine ?
— Ne vous en souciez pas ! Je me charge de tout arranger avec elle. Soyez sûre que, dès demain, elle reconnaîtra son erreur ! Si vous voulez bien envoyer la servante, donna Lorenza, on lui trouvera un lit...
Un peu suffoquée tout de même, la jeune fille les regarda s’éloigner en bavardant comme si elles se connaissaient depuis toujours alors que, jusqu’à présent, et notamment au cours du voyage quand Giovanetti avait évoqué la favorite de la Reine, Honoria n’avait manifesté que du dédain, sinon du mépris pour cette femme de rien, ou de bien peu...
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