— Venez, venez, messer Giovanetti ! s’écria-t-il en lui rendant son salut. Un visage aimable est tout juste ce qu’il me fallait pour me remettre les humeurs en place après ces longues figures ibériques !
— Je ne les ai pourtant point trouvées particulièrement drôles, avança-t-il prudemment.
— C’est parce que vous ne voyez pas les choses comme moi. Le dialogue que j’entretiens depuis plusieurs mois avec don Pedro est d’une accablante monotonie. Il réclame toujours la même chose : le mariage du Dauphin avec l’Infante et celui de ma fille Elisabeth avec le prince des Asturies. Je lui réponds toujours non mais il ne se décourage jamais. Cette fois, il devait être de plus mauvais poil que d’habitude parce qu’il m’a menacé d’une guerre entre nos deux pays.
— Rien que cela ! Et... puis-je demander ce que Votre Majesté lui a répondu ?
— Que si son maître s’y avisait j’aurais plus tôt le cul sur la selle que lui le pied à l’étrier ! Mais voyons ce qui vous amène.
L’ambassadeur maudit intérieurement l’hidalgo qui l’avait précédé. Sa mission était déjà assez difficile sans que l’Espagnol se mêlât de venir la lui compliquer car il n’y avait pas à se tromper sur la bruyante gaieté du Béarnais. Il le connaissait suffisamment pour détecter l’agacement sous le rire. Il respira profondément et prit son courage à deux mains :
— Sire, commença-t-il avec toute la suavité dont il était capable, je crains fort d’être presque aussi importun que le seigneur de Tolède !
— Vous ? Allons donc ! Vous êtes l’un de ceux que j’ai le plus de plaisir à entendre. Qu’est-ce qui vous tourmente ?
— Un autre mariage, Sire ! J’ai grand peur de devoir prier Votre Majesté de me laisser ramener donna Lorenza Davanzati à Florence !
La flamme rieuse dans l’œil d’Henri s’éteignit comme une chandelle que l’on souffle :
— Je croyais que nous étions bien d’accord ! Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
— Deux choses. D’abord un courrier reçu ce matin en provenance du palais Pitti, mentit-il avec suffisamment d’aplomb pour être crédible. Le grand-duc – comme la grande-duchesse d’ailleurs – y exprime l’espoir qu’en envoyant ici leur jeune parente, elle y aura retrouvé la joie de vivre dont l’a privée la mort brutale de son fiancé. Son Altesse souhaite vivement que cette jeune fille n’ait pas fait l’objet d’un marché de dupes et que, en échange de sa beauté comme de la fortune qu’elle apporte, elle soit aussi heureuse que possible de devenir sujette de Votre Majesté...
— Avez-vous cette lettre ?
— Non, Sire. Votre Majesté doit comprendre qu’il s’agit d’un courrier interne où mon maître traite de diverses autres affaires...
Il se sentit rougir mais, par bonheur, Henri ne le regardait pas. Il lui tournait même le dos, s’étant dirigé vers une fenêtre donnant sur les Tuileries... Après un instant de silence, Giovanetti entendit :
— Votre maître fait-il allusion à son... déplaisir au cas où cette jeune fille serait mal satisfaite ?
— Pas formellement mais il n’en insiste pas moins sur le prix que la grande-duchesse et lui-même attachent au bonheur de donna Lorenza.
— Et vous venez de me demander de la laisser regagner Florence. Ce qui signifie qu’elle n’est pas heureuse ?
— Comment le serait-elle ? Le Roi a-t-il oublié que, dès le premier instant, elle a protesté en disant qu’elle refusait ?
— Et elle refuse toujours ?
— Plus que jamais. Elle me supplie de la renvoyer chez nous. Sans sa dot bien entendu. Consciente du désappointement qu’elle cause à son prétendant, elle estime normal de lui laisser ce dédommagement. Après tout, c’est une fortune que recherchaient surtout Messieurs de Sarrance !
— A l’origine, sans nul doute. Il n’en est plus de même à présent. L’éclat de ce tendron ne saurait laisser indifférent. Le marquis Hector en a été victime et comme son fils dédaignait...
— Dédaignait ? Ce n’est pas l’impression qu’il m’a donnée lorsque donna Lorenza est apparue. Je sais que, auparavant, il était épris d’une autre mais depuis...
— ... il a repris sa parole et s’est autant dire enfui avec mon ambassadeur à Londres... où il tombera peut-être amoureux de nouveau de quelque jeune lady. Que voulez-vous, il aime les femmes et je reconnais que jusqu’ici il n’en a guère rencontré de cruelles. Hector de Sarrance connaît bien son fils et votre protégée...
— Une Médicis par sa mère, Sire ! Elle m’a été confiée mais ne saurait être ma protégée.
— Soit ! Mais donna Lorenza devrait être reconnaissante au marquis de lui avoir évité l’humiliation d’être refusée publiquement...
— Le Roi sait pertinemment qu’il n’en a rien été. Le visage du garçon s’est illuminé lorsqu’il l’a vue et a eu un mouvement vers elle. Malheureusement, son père, plus proche sans doute, a été plus rapide. Et voilà un bonheur détruit dès sa naissance !
Henri IV se retourna tout d’une pièce dardant sur le diplomate un œil soudain flamboyant :
— Vous autres Florentins aimez un peu trop les mots ronflants et le théâtre. Qu’est-ce que cette jeune personne reproche donc au marquis ? D’être trop vieux ?
Filippo se sentit pâlir. La question était un piège cachant un défi puisque l’âge que le Roi jetait sur le tapis était le sien. Il s’accorda quelques brèves secondes avant de répondre :
— Non, Sire. En aucune façon. D’ailleurs elle ne lui reproche rien... sinon de n’être pas celui qu’on lui avait promis, qu’elle avait eu l’occasion de voir et qui lui plaisait. Il faut comprendre, Sire ! Lorenza Davanzati est florentine jusqu’au bout des ongles. Or la richesse et la puissance de notre cité sont nées des tractations commerciales d’un homme de génie, Cosme l’Ancien...
— Vous paraît-il bien judicieux de le rappeler, Monsieur l’ambassadeur ? fit le Roi avec un petit rire.
Mais Giovanetti était lancé :
— ... elle fut propulsée au pinacle de la splendeur par un successeur lui aussi génial, Laurent le Magnifique, dont un roi de France s’honorait d’être l’ami au point de lui avoir offert, pour ses armes, une fleur de lys. Mais tout cela ne s’est fait que par le respect de la parole donnée !
Cette fois, le Roi partit d’un grand éclat de rire :
— Depuis ces temps héroïques, Florence a fichtrement changé. On y a joué de l’épée et du poignard plus souvent que de la plume d’oie ! On s’y est même étripé joyeusement durant plusieurs périodes troublées entre cousins ou autres parents !
— Comme partout ailleurs sans doute, Sire, mais donna Lorenza n’a que dix-sept ans. Elle a été élevée dans un couvent et se fie aux vertus de la parole donnée !
A cet instant, la porte du cabinet royal s’ouvrit à deux battants pour livrer passage à la Reine avant même que l’huissier puisse l’annoncer. Elle s’avançait même à une telle allure que le déluge de perles tombant de son cou et de son corsage cliquetait à chaque pas et elle arborait une mine à ce point triomphante que Giovanetti ressentit une vague inquiétude qui se précisa quand il comprit qu’elle savait de quoi il retournait :
— Elle a raison et ne doit pas se sentir déçue : on lui a promis qu’elle épouserait un Sarrance et elle va en épouser un ! Et le plus important. Et le plus tôt sera le mieux ! Par exemple... dans trois jours ?
Mal revenu de sa surprise, Henri ne trouva rien à répondre mais Filippo protesta :
— Que la Reine me permette de lui faire remarquer que c’est aller un peu vite. Je venais justement dire au Roi...
— Je sais ce que vous êtes venu dire au Roi, ser ambassadeur. Je l’avais prévu d’ailleurs, aussi ai-je pris mes précautions : Mlle du Tillet vient de se rendre chez vous avec un carrosse et un chariot de bagages pour en ramener Lorenza. Elle est désormais dans nos appartements où nous allons faire le nécessaire pour la cérémonie...
— Vous auriez pu m’en parler avant... ma mie ! remarqua Henri que cette hâte n’avait pas l’air d’enchanter.
— Pour quoi faire ? N’étions-nous pas tous d’accord avant de quitter Fontainebleau où je vous rappelle que je n’ai pas pu la garder chez moi faute de place ? Maintenant tout est rentré dans l’ordre ! conclut-elle avec satisfaction.
— Et... Mlle du Tillet n’a rencontré aucune résistance ? S’enquit le Florentin.
Marie de Médicis le toisa du haut de sa superbe :
— Il ne manquerait plus que cela ! Et pour quelle raison, je vous prie ?
Apitoyé peut-être, le Roi vola au secours du diplomate :
— Pour la raison que ce cher Hector ne plaît pas à votre filleule et qu’elle souhaite rentrer à Florence... en abandonnant toutefois sa dot à titre de compensation !
— Le beau prétexte que voilà ! Est-ce que vous me plaisiez quand nous nous sommes mariés ? Je ne m’en suis pas moins comportée comme une bonne épouse ! Quant à cette fille, elle me doit obéissance comme elle la devrait à sa mère ! Dans trois jours, elle sera mariée ici où la nuit de noces aura lieu également. Le marquis doit être à cette heure en train de préparer son hôtel parisien à la recevoir...
Sans rien ajouter, l’imposante Majesté tourna les talons pour repartir comme elle était venue mais Giovanetti, d’autant plus furieux qu’il venait de mesurer son impuissance, ne put se retenir :
— J’espère que Mlle du Tillet a pris la peine d’emmener aussi donna Honoria ! Pour ma part, je me refuse à la garder plus longtemps. Je rappelle respectueusement à Votre Majesté qu’elle est censée représenter la famille...
— Oh ! Cette femme ! Que voulez-vous que j’en fasse ?
— Lui donner la place qui lui revient, émit alors le Roi pas mécontent de contrarier son épouse. Il faudra vous en satisfaire, ma mie. Et Sarrance tout pareil : elle fait partie du lot ! Arrangez-vous comme vous le pourrez !
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