— Comment est le Roi, ce matin ?

— Vous voulez dire quand il est sorti de la chambre de la Reine ?

— Par exemple... oui !

— Comme à son accoutumée !

— Mais encore ?

— Ni gai ni triste.

Justement, un comportement aussi terne n’avait rien d’habituel chez Henri dont le visage pouvait refléter les impressions les plus diverses en un rien de temps. En général, il aimait aborder les promesses d’un nouveau jour. Même quand sa femme lui avait cherché querelle dans la nuit parce que c’était alors une espèce d’évasion... Remerciant Surienne d’un signe de tête, Antoine s’en alla patienter devant la porte du Conseil. Henri apparut peu après, causant avec animation avec le ministre Villeroy, principal conseiller, après Sully, depuis des années. Et le cœur d’Antoine tressauta : le Béarnais semblait de très mauvaise humeur et Antoine pensa qu’il valait peut-être mieux se retirer. Mais, soudain, Henri l’aperçut et, chose inouïe, il se détendit instantanément tandis qu’une étincelle d’amusement s’allumait dans son regard.

— Ah, jeune Sarrance ! Suivez-moi !... Nous réglerons les termes de la lettre au pape ce soir avant le souper ! ajouta-t-il à l’adresse de Villeroy puis il partit à pas rapides – si rapides que les longues jambes d’Antoine peinaient à le suivre ! – en direction de son cabinet d’armes, saluant au passage d’un « Serviteur untel !... Serviteur ! » Ceux de ses courtisans qu’il reconnaissait.

Après être entré dans la pièce, il alla s’asseoir sur une haute chaise et prit sur la table voisine un pistolet damasquiné qu’il se mit à examiner. Enfin il se tourna vers son visiteur :

— Vous n’avez guère bonne mine, mon garçon ! J’espérais que vous veniez me faire part de votre bonheur...

— Mon bonheur ? répéta le jeune homme visiblement au supplice et à cent lieues d’imaginer que le Roi avait décidé de s’amuser un peu.

— Eh bien oui ! Puisque votre père va épouser celle dont vous ne vouliez pas, vous allez mener à l’autel Mlle de La Motte-Feuilly dont vous êtes éperdument épris. C’est bien cela ?

A mesure qu’il parlait, Antoine se sentait pâlir. Il cherchait avec effort des mots qui se dérobaient...

— Alors ? fit Henri en dardant sur lui un regard étincelant.

En désespoir de cause, le malheureux plia le genou mais ne baissa pas la tête :

— Non, Sire... et j’en demande bien pardon au Roi... Je suis venu lui demander de m’envoyer dans un régiment des frontières qui lui conviendra mais le plus loin possible de Paris et de préférence dans l’un des lieux les plus exposés si la guerre reprenait...

— Autrement dit là où vous aurez le plus de chances d’être tué ? Vous êtes le seul fils de votre père : il faut songer à continuer le nom...

— Depuis hier, M. le marquis n’a plus besoin de moi. Il compte même donner naissance à une nombreuse descendance et...

Il courba la tête pour cacher les larmes de colère qui lui venaient mais ne put s’empêcher de renifler.

— Relevez-vous !

Il obéit machinalement avec une lassitude qui toucha Henri, trop coutumier des coups de passion imprévus pour ne pas comprendre ce que ce garçon endurait :

— Seulement, reprit-il d’un ton plus familier, tu n’imaginais pas le mauvais tour que te préparait le destin ! Hier encore, tu ne voyais rien de mieux dans la vie qu’épouser une petite fille assez jolie sans doute mais en rien comparable à celle dont tu ne voulais pas ? Vénus en personne t’a frappé de sa flèche et les portes du Paradis s’entrouvraient devant toi quand le beau... dévouement de ton père à votre lignée t’a anéanti. D’où ce grand... et si pressant besoin de voir du pays ? Tu es trop honnête, n’est-ce pas, pour provoquer en duel le premier quidam venu et te faire embrocher sur son épée ?

— Sire ! Balbutia Antoine qui se sentait revivre. Comment le Roi a-t-il pu deviner...

— Sonder les reins et les cœurs est indispensable quand on veut régner et je ne te permettrai pas de chercher une fin obscure et inutile dans quelque coin perdu du royaume. Demain M. de Beauvoir repart pour l’Angleterre où il nous représente auprès du roi Jacques[10]. Tu veilleras à sa protection en quelque sorte. Résider à Londres n’est pas toujours de tout repos...

— Oh, Sire ! Vous me rendez la vie et...

— Un instant ! (Et le ton du roi devint tout à coup sévère.) Il est bien entendu qu’auparavant tu feras tes adieux à Mlle de La Motte-Feuilly et qu’il ne saurait être question de partir en catimini !

Tout en admettant que c’eût été une attitude indigne, Antoine aurait pourtant préféré éviter de revoir Elodie. Son hésitation dut être perceptible car Henri reprit sèchement :

— C’est bien entendu ?

— Oui, Sire ! Je la verrai.

— Ce n’est pas toujours devant l’ennemi qu’il faut le plus de courage, ajouta-t-il avec l’ombre d’un sourire. Si cela peut t’aider, je t’autorise à dire que le Roi s’oppose à ce mariage.

Soumis ainsi au régime de la douche écossaise, Antoine ne savait plus trop où il en était. Perturbé, il osa avancer :

— Ne va-t-elle en demander la raison ?

— Depuis quand un souverain est-il tenu de donner ses raisons ? Prépare-toi à lui faire tes adieux ainsi qu’à ton père ! conclut Henri en lui tendant une main qu’Antoine baisa à demi étouffé par l’émotion, avant de sortir à reculons. Sur le seuil, il s’arrêta pour reprendre un souffle qui lui manquait comme s’il venait de parcourir une longue route. Il n’osait encore croire à la chance qu’on lui donnait si généreusement et, pour un peu, il en aurait pleuré de bonheur. Ce fut le regard amusé d’un des Suisses de garde qui lui évita le ridicule. Il recoiffa son chapeau en se redressant et, la main appuyée sur le pommeau de son épée, quitta l’appartement du Roi pour se diriger vers celui de la Reine. Là, on lui apprit que Sa Majesté faisait avec ses dames une promenade au jardin afin d’en profiter le plus possible avant le retour à Paris où l’espace lui était beaucoup plus mesuré.

Ces dames se trouvaient au grand parterre. Marie de Médicis, parée comme une châsse, à son habitude, marchait au bras de sa meilleure amie, la duchesse de Montpensier, dont elle appréciait la douceur et le caractère serein. Née Catherine de Joyeuse, elle n’avait qu’un défaut : l’inquiétude perpétuelle que lui inspirait sa santé. Le moindre éternuement et elle se voyait à l’agonie. On ne sait trop comment elle avait survécu aux douleurs de l’enfantement. Aussi n’avait-elle qu’une fille que Marie de Médicis chérissait et dont elle avait d’ailleurs décidé de faire l’épouse de son second fils. C’était tout simple : l’enfant était la plus riche héritière de France !

On allait à petits pas précédés d’Albert et Marguerite, le couple de nains que la Reine emmenait partout avec elle. Derrière, venaient quelques dames et trois filles d’honneur – Mlles d’Urfé, de Sagonne et de La Motte-Feuilly – fermaient la marche en chuchotant derrière leurs mains des propos qui semblaient les amuser beaucoup. En les voyant, Antoine faillit battre en retraite. Pour ce qu’il avait à dire, un public moqueur était bien la dernière chose qui lui convînt mais il craignait que le Roi ne considérât sévèrement cette petite lâcheté. Il déboucha à vive allure d’un bosquet taillé, agita son chapeau à bout de bras pour attirer l’attention de la jeune fille. Elle le repéra enfin et, après deux mots à ses compagnes, le rejoignit derrière les lilas :

— Enfin, vous voici Monsieur ! En vérité, je ne savais que penser puisque, au lieu de venir vous réjouir avec moi de la bonne nouvelle, vous avez disparu. M. de Courcy ne vous a-t-il pas fait savoir que je vous cherchais ?...

— Je ne l’ai pas vu, mentit Antoine, il ne pouvait donc rien m’apprendre.

— Et où étiez-vous ?

Le ton, singulièrement sec, fut désagréable aux oreilles du jeune homme. Jusqu’à présent, Elodie ne s’était adressée à lui qu’avec une infinie douceur, une telle retenue pleine de timidité qu’il redoutait vraiment de lui briser le cœur. Or, ce matin, elle était transformée : sûre d’elle, un rien autoritaire même, elle savourait visiblement un triomphe qu’elle n’espérait pas si rapide puisque, la veille encore, celui qu’elle aimait était destiné à une riche inconnue. Or cette Florentine allait devenir sa belle-mère !

— Ailleurs ! M. de Bellegarde voulait me parler...

— Vous n’avez pas causé toute la nuit, je suppose ? Et votre ami Courcy ne vous a rien dit ? C’est incroyable ! Toute la Cour est au courant et pas vous ? Oh, Antoine, j’espérais tant que nous pourrions, dès cette nuit, échanger notre premier baiser de fiançailles !

Il crut déceler dans ces propos une note de douleur et retrouva son malaise :

— C’eût peut-être été... prématuré.

— Prématuré ?

— Je vous en supplie, Elodie, ne me regardez pas comme cela ! Mon père a peut-être fait preuve d’une trop grande hâte. Je vous cherchais pour vous saluer avant mon départ. J’accompagne en Angleterre M. de Beauvoir qui rejoint son ambassade auprès du roi Jacques Ier. Croyez-moi sincèrement désolé mais ce sont les ordres du Roi.

— Qu’allez-vous faire là-bas ?

La déception qui se lisait sur ce joli visage qu’hier encore il adorait, navra le jeune homme. Il détestait ce rôle qu’il avait pourtant bien cherché.

— Je n’en sais rien. Ce sont des ordres et je suis un soldat !

— Pardonnez-moi si je me montre indiscrète mais dites-moi au moins quand vous reviendrez ? La date du mariage n’ayant pas été fixée attendra votre retour.

— Je l’ignore. On ne m’a pas indiqué la durée de ce séjour...

Dieu que cela devenait difficile ! Il répugnait pourtant à s’abriter derrière la volonté royale comme on l’y avait pourtant autorisé car il craignait de la blesser réellement. D’ailleurs, les larmes coulaient à présent :