— C’est peut-être difficile à croire, Sire, pourtant c’est de ce mariage qu’il ne veut plus. Lorsque ce tantôt il a vu venir la filleule de la Reine, il a...

— N’en dites pas davantage : j’ai compris ! Mlle de La Motte-Feuilly ne supporte pas la comparaison.

— Ni lui l’idée que donna Lorenza va devenir sa belle-mère ! Alors il voudrait servir le Roi... ailleurs ! J’ajoute que le marquis vient de demander la main de Mlle Elodie !

— Le vieux paillard n’a pas perdu de temps ! Il est vrai que mettre dans son lit ce miracle de grâces nantie d’une fortune par-dessus le marché, il faudrait être de marbre pour y résister ! Malheureusement, je ne peux plus empêcher cette union. Ce serait un affront qu’Hector de Sarrance ne mérite pas ! J’aurais agi comme lui !

— Alors, Sire, faites en sorte que son fils soit à des lieues quand cela arrivera !

Il y avait une angoisse dans la voix du jeune homme et les paillettes de gaieté qui brillaient dans le regard d’Henri s’éteignirent :

— Pauvre garçon ! Si l’on songe que son autre belle-mère pourrait être Mme de La Motte-Feuilly !... Je vais y réfléchir !

— Puis-je demander encore que le Roi ne fasse pas état de mon intervention ?

Cette fois, celui-ci se mit à rire :

— J’ai bien envie de vous attacher à mon service particulier, mon petit ! C’est précieux, un ami de votre qualité ! Et il passa son chemin laissant Thomas, soulagé d’un grand poids, rentrer chez lui un peu rassuré.

Ce qu’Antoine ignorait quand il contemplait avec une telle ferveur les fenêtres de Marie de Médicis c’est que derrière elles, n’évoluaient que les dames et les servantes de la Reine et que Lorenza n’avait fait que traverser l’appartement. Et cela pour une bonne raison : il était impossible de lui trouver un coin pour dormir. Ce dont d’ailleurs Mme de Guercheville ne doutait pas mais quand la Reine donnait un ordre, il ne fallait jamais discuter. On se contentait d’obéir... ou de faire semblant.

C’est qu’au palais de Fontainebleau, l’ameublement était trop succinct pour le confort de la maîtresse. Aussi, à chaque séjour, faisait-elle entasser sur les barges qui remontaient la Seine, les nombreux coffres contenant sa garde-robe et les multiples objets « indispensables », ses sièges, le contenu de son oratoire, ses tapisseries préférées, ses tapis et les matelas pour ses femmes de chambre ou de service plus une foule de choses dont elle refusait de se passer. Si cette pléthore tenait aisément dans les immensités du vieux Louvre, il n’en allait pas de même « à la campagne » où l’entourage campait le plus souvent. D’ailleurs, quand elle invitait des amies comme la duchesse de Guise, la princesse de Conti ou Mme de Montpensier, celles-ci étaient priées d’apporter leurs meubles.

Le résultat était que, même en cherchant soigneusement, il était impossible d’ajouter la moindre couche sans obstruer un passage. Et cet état de fait, Mme de Guercheville le connaissait mais se gardait de discuter un ordre de Marie, c’eût été imprudent. Par acquit de conscience, la dame d’honneur alla conférer avec Catherine Forzoni, la femme de chambre favorite. Puis, lui laissant la jeune fille en garde, elle revint vers le Salon ovale.

Quand elle y entra, Filippo Giovanetti en sortait et elle le pria de retarder son départ : il y avait gros à parier que la jeune fille regagne la ville avec lui. De fait, quelques instants plus tard, elle lui ramenait Lorenza soulagée au moins de ce poids-là.

— Sa Majesté vous rend sa filleule, Monsieur l’ambassadeur. Il ne lui était pas venu à l’esprit que nous rentrons à Paris dans deux jours et que la retenir ici causerait trop de dérangement. On ne peut tout de même pas la faire coucher sur le palier ou dans un escalier, n’est-ce pas ? Vous nous la ramènerez... la semaine prochaine ? conclut-elle avec un bon sourire à l’adresse de la jeune fille.

— Vous m’en voyez ravi, Madame. Cette décision, un peu brusque peut-être, me tourmentait. Je craignais que le dépaysement ne soit trop rapide surtout après un long voyage. Donna Lorenza a besoin de se remettre...

— ... et pas seulement d’un changement de logis ! Soupira la dame d’honneur en baissant le ton. Pauvre petite ! ajouta-t-elle en caressant la joue de la jeune fille qui, aussi raide qu’une statue et apparemment absente, n’avait pas soufflé mot depuis son éclat au cours de la présentation. Elle était quand même en droit de s’attendre à un autre sort !

— Je partage votre opinion, comtesse ! Aussi ai-je l’intention dès demain de demander audience au Roi...

— N’ayez pas trop d’espoir ! Sarrance est son vieux frère d’armes et son confident, outre le fait qu’il est béarnais comme lui. Il ne lui infligera pas ce camouflet !... Croyez que je suis désolée ! Elle et le jeune Antoine auraient formé un si beau couple !

Ce n’est qu’une fois installée dans la voiture que Lorenza retrouva la parole :

— Je suis heureuse de pouvoir rentrer avec vous, ser Filippo, mais je le serai plus encore lorsque je repartirai pour Florence !... et le plus tôt sera le mieux !

La voix était sèche, dure, déterminée et Giovanetti s’inquiéta :

— Madonna !... Je crains que...

— Rien du tout ! Je n’ai pas changé d’avis et je refuse d’épouser ce vieil homme ! Qu’il prenne ma dot puisque aussi bien c’est ce qu’il désirait mais qu’on me laisse rentrer chez moi !

— Comme si vous ne saviez pas que c’est impossible ! Dès l’instant où Leurs Majestés ont approuvé vous ne pouvez pas revenir en arrière. Ce serait aller à l’encontre de la politique du grand-duc Ferdinand !

— En quoi, mon Dieu, puis-je intéresser cette politique ? Le but recherché est atteint puisque le Roi garde son épouse. Que M. de Sarrance souhaite la récompense de ses bons offices, j’en suis d’accord mais puisqu’il voulait de l’argent, exauçons-le ! Et, j’y pense, pourquoi donc n’épouserait-il pas ma tante Honoria ? Leurs âges concordent...

En dépit de ses soucis, Giovanetti ne put s’empêcher de rire :

— Qu’ai-je dit de si drôle ? demanda Lorenza, acerbe.

— Vous êtes une enfant, Madonna ! Et vous ne vous rendez pas compte de ce que vous proposez ! L’âge conviendrait, certes, et aussi la dot mais qu’on les fasse se rencontrer et je peux vous prédire ce qui se passera : le marquis refusera tout aussi hautement que vous l’avez fait !

Giovanetti reprit son sérieux : J’ai observé attentivement ce qui s’est passé dans le Salon ovale ! Quoi qu’il en ait dit hier, le jeune Sarrance a tout oublié de ses projets matrimoniaux quand il vous a vue et il allait s’approcher pour vous recevoir des mains de la Reine quand son père l’a devancé.

— Vous croyez ?

— J’en suis plus que certain ! J’ai vu comment il vous a regardée ! Malheureusement, le marquis aussi vous a regardée...

— Et alors ?

— Faut-il vraiment vous mettre les points sur les i ? A cet instant, c’est votre personne qu’il a voulue... plus encore que votre dot !

— C’est ridicule !

— Non ! C’est hélas humain ! Vous êtes plus que belle, mon enfant ! Trop, je le redoute, pour votre marraine. Son œil n’avait rien d’affectueux lorsque je vous ai menée à elle. En revanche, la requête du marquis l’a enchantée.

— Je ne vois pas pourquoi !

— Mais parce qu’il voudra vous garder pour lui seul et ne vous exposera guère aux lumières d’une cour dont les mœurs sont... libres, pour ne pas dire plus !

Lorenza se donna le temps de peser ses paroles. Et soudain une idée lui vint :

— Le marquis sait-il qu’il court un grand danger ? Et vous-même, ser Filippo, savez-vous comment est mort mon cher fiancé ?

Giovanetti ne répondit pas tout de suite :

— Par le poignard, j’ai appris ?

— Dont la lame fixait un message menaçant d’un sort semblable qui oserait m’épouser !

— Je l’ignorais, fit l’ambassadeur brièvement en détournant les yeux. Cela peut être la raison pour laquelle Leurs Altesses vous ont laissées partir si aisément, vous et votre fortune. Elles doivent penser que la menace s’éteindra en dehors de Florence.

— Ou alors que cet homme aura le même sort et qu’il ne restera plus qu’à me rapatrier avec ou sans ma fortune ? Vous devriez en aviser M. de Sarrance, ironisa-t-elle avec un petit rire sec.

— Pensez-vous réellement qu’un poignard puisse faire reculer un homme de sa trempe ? Le père comme d’ailleurs le fils sont cités en exemple pour leur vaillance. Elle leur est chevillée au corps... et pas uniquement pour fournir une rime aux poètes !... Je pense, au contraire, qu’affronter son fils pourrait l’amuser en donnant un piment sinistre à votre possession.

— Vous plaisantez ?

— Absolument pas ! Il n’y a pas là matière à plaisanterie.

Elle eut un mouvement de colère, se rejeta au fond du carrosse et ne parla plus jusqu’à l’arrivée à l’hôtel des ambassadeurs où elle se contenta de souhaiter une bonne nuit à son compagnon, refusant le souper qu’il proposait de faire venir de la Ronce Couronnée. Elle regagna sa chambre et se coucha sans répondre aux questions de sa Bibiena dévorée de curiosité.

Elle avait besoin de réfléchir.

Le surlendemain, on partait pour Paris où – elle l’espérait de toutes ses forces – les opportunités d’échapper à un mariage qui lui faisait horreur seraient peut-être plus nombreuses.

En demandant à être reçu par le Roi à la sortie du Conseil, le lendemain matin, Antoine n’en menait pas large. Il redoutait de passer pour un imbécile velléitaire aux yeux d’un souverain qu’il aimait et admirait de tout son cœur. Tellement même qu’à l’approche des appartements royaux, il s’enquit auprès de M. de Surienne, Maître ordinaire de l’hôtel du Roi, de l’humeur de Sa Majesté. Il fallait vraiment qu’il se sentît mal à l’aise pour s’adresser à un personnage jugé par lui jusque-là insipide et vaniteux.