— N’exagérons rien. Je ne suis pas Apollon et, comme tu viens de le dire : « Des goûts et des couleurs... » Ne t’inquiète pas, je ferai en sorte d’être aussi malgracieux que possible !
Ils cheminèrent encore un moment en silence puis Thomas lâcha un soupir et déclara en guise de conclusion :
— On verra ! Pour l’instant, allons dormir. Toi, je ne sais pas mais, moi, je meurs de sommeil !
Cependant, à l’hôtel des ambassadeurs, on avait observé leur départ et, quand Giovanetti remonta l’escalier, il découvrit Lorenza debout près d’une fenêtre donnant sur la cour. Les bras croisés sur la poitrine, retenant les plis d’une sorte de dalmatique de soie blanche dans une attitude qui lui était familière, la masse soyeuse de ses cheveux répandus sur ses épaules, elle le regarda gravir les dernières marches.
— Lequel était-ce ? demanda-t-elle. Le lion ou le loup ?
Filippo se mit à rire. Elle était bien une fille d’Eve, mère de la curiosité, et il ne chercha pas à finasser. Restait à savoir si elle avait écouté la conversation.
— Le loup ! Vous devriez le savoir si vous nous avez entendus ?
Elle eut un sourire de dédain :
— J’ai ouï les noms quand vous les avez rejoints mais je n’ai pas coutume d’espionner... et je comptais sur vous pour m’enseigner. Que voulaient-ils ?
— Avant que je ne vous réponde, j’aimerais vous poser une question : comment le trouvez-vous ? Beau, j’imagine ?
— Pas vraiment, mais il est mieux que ça ! Il y a en lui un je-ne-sais-quoi d’inquiétant qui n’est pas sans charme. Cette balafre au visage peut-être ?... Et sa voix est si belle ! Ce doit être amusant d’asservir ce genre de fauve..., continua-t-elle, soudain rêveuse.
Qu’elle fût séduite ne fit aucun doute pour l’ambassadeur mais il en éprouva une irritation qui le surprit :
— Je ne sais pas si l’occasion vous en sera donnée, Madonna. Il ne veut pas vous épouser, lâcha-t-il brutalement.
— C’est de cela dont il voulait vous entretenir ?
— Non seulement cela mais d’une autre chose encore : il souhaite que le refus vienne de vous !
— De moi ? Il a perdu l’esprit ?
— On pourrait en effet l’expliquer ainsi mais, en fait, il est amoureux d’une autre jeune fille et veut en faire son épouse. Un projet auquel son père et le Roi s’opposent bien entendu.
— En ce cas, ne devrait-il pas se soumettre ?
— Assurément et d’autant plus qu’il est officier mais c’est un obstiné doué d’un aussi mauvais caractère que le marquis Hector, son père. C’est devenu proverbial. Leurs disputes sont célèbres ! Il faut souligner qu’Antoine réussit l’exploit de faire entendre ses quatre vérités à son géniteur sans jamais manquer au respect !
— Je vois ! Et... l’autre ? Le lion ?
— Thomas de Courcy, son ami depuis qu’ils étaient chez les pages, son alter ego. Ils servent tous les deux aux chevau-légers et sont quasiment inséparables.
— Oreste et Pylade ?
— Si vous voulez ! A ce propos, il faut tout de même que je vous fasse part d’un détail que j’ai trouvé extrêmement amusant. Thomas le rouquin n’est pas étranger au refus de son ami.
— Mais je vous en prie ! J’ai très envie d’être amusée.
— Voilà : quand nous sommes arrivés ici ce soir, Thomas soupait à l’auberge voisine. Il a pu nous observer et l’esclandre de donna Honoria ne lui a pas échappé et pas davantage qu’elle occupait seule le carrosse puisque vous aviez choisi de vous habiller en garçon après que votre selle de dame se fut brisée.
— Et alors ?
— Et alors il l’a prise pour vous !
— Il l’a... Vous voulez dire... qu’il croit que c’est elle que son ami doit épouser ?
— Tout juste !... Avouez que c’est drôle ?
Les éclairs de colère qui traversaient les yeux noirs de Lorenza se changèrent en pétillement de gaieté et elle éclata d’un rire si joyeux qu’elle ne dit plus rien. Elle riait encore en regagnant sa chambre. Les jours à venir pourraient être divertissants.
Chapitre III
Un seul regard...
La reine Marie aimait beaucoup le palais de Fontainebleau qui lui rappelait un peu son Italie natale. Elle savait que le Primatice, qui l’avait construit pour le roi François Ier, était un compatriote et puis, avec ses magnifiques jardins, ses miroirs d’eau, ses volières, sa forêt et la Seine proche, le séjour en était infiniment agréable... Bien plus que celui du Louvre, encore féodal en dépit des grands travaux réalisés par les Valois, singulièrement par Catherine de Médicis, et poursuivis par Henri IV lui-même.
Elle n’était pas près d’oublier l’horreur qui s’était saisie d’elle quand, débarquant à Paris après son mariage à Lyon où l’avait laissée son époux, elle avait visité le vieux palais – où d’ailleurs nul ne l’attendait ! – lugubre à souhait avec ses meubles branlants, ses peintures sales, ses tentures effilochées, le tout sous un éclairage sinistre. Croyant à une mauvaise farce, elle en avait pleuré d’indignation et s’était réfugiée chez les Gondi, ancienne famille de banquiers florentins arrivés en France dans le sillage de la reine Catherine. Là, elle avait pour ainsi dire retroussé ses manches et ordonné les travaux nécessaires. Elle était riche, savait ce qu’elle voulait et, quand le Roi la rejoignit enfin, la transformation lui avait sauté aux yeux : cette demeure fastueuse était enfin digne d’abriter la royauté !
Après tant d’années de guerre, Henri IV ramenait avec lui la paix. Une paix durable et dont le peuple qu’il avait dû conquérir à la pointe de l’épée lui était reconnaissant. Enfin la prospérité allait renaître ! Il en avait profité pour doter le Louvre d’une longue galerie destinée à le relier aux Tuileries. En même temps, il édifiait de nouveaux bâtiments à Fontainebleau, son château de prédilection où il pouvait s’adonner autant qu’il le voulait à sa passion pour la chasse. Aussi, le couple passait-il chaque année les mois de septembre et d’octobre dans ce joli palais. Il arrivait que Marie y vienne seule au printemps...
Ce matin-là, il faisait un temps radieux. Vêtue de soie légère, coiffée d’un grand chapeau de paille d’Italie orné de taffetas, elle était occupée à discuter avec son jardinier en chef quand l’une de ses femmes vint l’informer que l’ambassadeur de Toscane la priait de bien vouloir lui accorder un moment. C’était une bonne nouvelle et elle donna l’ordre qu’on le conduise à la volière où elle le rejoindrait.
— Alors, ser Filippo ? s’écria-t-elle employant avec joie sa langue natale et le tutoiement florentin. Nous apportes-tu de bonnes nouvelles ? Ma filleule est-elle avec toi ?
— Elle est là, en effet, Madame, toute soumise au bon vouloir de Votre Majesté ! Mais nous l’avons, si j’ose dire, échappé belle !
— Comment cela ?
— Si j’étais arrivé à Florence quinze jours plus tard, elle était mariée !
— Déjà ? Quel âge a-t-elle ?
— Elle vient d’avoir dix-sept ans. Et elle est ravissante...
— Mariée à qui ? Je la croyais encore au couvent ?
— Au jeune Vittorio Strozzi. Leurs Altesses avaient ménagé leur rencontre au cours d’une fête au palais et ils sont tombés amoureux dès qu’ils se sont vus. Les noces devaient avoir lieu une semaine après mon arrivée mais, la veille, le fiancé a été assassiné... Alors qu’il quittait sa dernière fête de garçon, quelqu’un lui a planté une dague dans le cœur en laissant un billet affirmant que quiconque prétendrait épouser donna Lorenza subirait le même sort !
Les yeux bleus globuleux de la Reine – héritage Habsbourg oblige ! –, s’arrondirent encore :
— A-t-on retrouvé le coupable ?
— Non, Madame... Aussi le grand-duc Ferdinand a-t-il accueilli très favorablement l’idée d’envoyer la jeune fille en France afin de la mettre non seulement à la disposition de Votre Majesté mais aussi à l’abri !
— Sainte Mère de Dieu ! Cela veut dire qu’elle pleure à longueur de journée ?
— Non pas, Madame. Donna Lorenza est une personne sensée... En outre, je crois que, tout ayant été très rapide, trop rapide peut-être, elle n’a pas eu le temps de s’attacher profondément à ce beau jeune homme. Et comme elle ne souhaitait nullement réintégrer les Murate...
— Voilà qui est bien ! De toute façon, elle ne perd pas au change. Je ne connaissais pas le jeune Strozzi mais celui qu’on lui destine est... des plus séduisants ! Tout est donc pour le mieux !
Giovanetti ouvrit la bouche pour émettre des doutes sur le mieux en question mais, à la réflexion, préféra se taire. Il connaissait bien la Reine, la savait peu intelligente – sinon bornée ! –, orgueilleuse, violente, obstinée, acariâtre, rancunière mais facile à gouverner pour qui savait s’y prendre. Aussi une voix intérieure lui soufflait-elle de ne rien rapporter des propos qui s’étaient échangés la veille chez lui. Toutefois, il risqua :
— L’idée est-elle venue à Votre Majesté que le jeune Sarrance pourrait aimer ailleurs ? Il rencontre beaucoup de succès auprès des dames !
De sa petite main grasse, elle balaya la suggestion d’un geste désinvolte :
— Justement ! Une de plus ne devrait pas lui faire peur. En prime, il disposera d’une belle fortune. Que demander de plus ? Tu dis qu’elle est jolie ?
Giovanetti savait qu’il ne fallait pas trop vanter devant Marie les charmes d’une autre femme et regrettant un peu le « ravissante » de tout à l’heure venu spontanément à ses lèvres, il décida de ne pas en rajouter :
— Elle l’est, Votre Majesté, assura-t-il sobrement. La Reine devrait en être satisfaite...
— Et... le Roi ?
Devinant ce qu’elle avait derrière la tête, il opta pour une sorte de naïveté :
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