— Pour ce qui est du volant, il l’est ! C’est sa passion : il court les Vingt-Quatre Heures du Mans chaque année. Il a même gagné une fois !
— Et Lisa t’a préféré ce héros ?…
L’entrée de l’infirmière en chef interrompit le dialogue :
— Je vous avais accordé dix minutes ! Et à condition de ne pas le fatiguer ! rappela-t-elle sévèrement.
— Ça ne doit pas faire beaucoup plus… et je m’en vais ! Quant à l’avoir fatigué, je crois lui avoir surtout changé les idées…
— En tout cas, priez les dames de la famille de bien vouloir attendre à demain…
— Oh non ! gémit Aldo.
— Oh si ! Déjà je n’aurais pas dû permettre à votre ami d’entrer mais comme il campe pratiquement dans la salle d’attente, il m’a fait pitié !
— Inspirer la pitié, lui ? C’est bien la première fois que ça lui arrive !
— Il y a un commencement à tout ! lança l’intéressé du seuil de la chambre. Mais soyons raisonnables ! À demain… et merci encore, madame !
En rentrant à l’hôtel, Adalbert se hâta de délivrer sa bonne nouvelle : Aldo avait refait surface et, cette fois, c’était pour de bon : le docteur Lhermitte en répondait.
— Dès demain vous pourrez le voir tout à votre aise !… Mais où est Marie-Angéline ?
— Où voulez-vous qu’elle soit ? À la cathédrale bien évidemment. Sa splendeur lui est apparue comme seule digne de recevoir ses prières. En outre, elle désire faire la connaissance de saint Gatien qui en est le protecteur. Au cas où il aurait une spécialité intéressante !
Adalbert ne put s’empêcher de rire :
— Elle ne laisse rien passer ! Aucune nouvelle de Venise ? Lisa n’est toujours pas rentrée ?
Le visage de Mme de Sommières se rembrunit :
— Non. En revanche on sait où elle est !
— À Vienne sans doute ? Auprès des enfants ?
— Non, à Zurich ! Guy Buteau m’a dit au téléphone qu’elle y était arrivée avant-hier juste à temps pour se faire hospitaliser…
— Mon Dieu ! Elle a eu un accident ?
— Oui… et inattendu : elle était enceinte de plus de cinq mois ! Elle est tombée et elle a perdu l’enfant. Et je ne vous cache pas – surtout si Aldo n’est plus en danger – que j’ai l’intention de m’y rendre. Je ne m’attarderai pas puisque Aldo doit passer sa convalescence chez moi mais cela me permettra peut-être de remettre les pendules à l’heure.
— Il est certain que, dans sa clinique, elle aura du mal à vous échapper !
— Adalbert ! s’indigna la marquise. Comment pouvez-vous être à ce point dépourvu de compassion ? Perdre un enfant, même à l’état d’ébauche, est un véritable drame pour une femme ! Particulièrement pour elle, car de plus maternelle je n’en connais pas ! J’espère seulement ramener un peu de paix dans ce couple qui est en train de se déchirer. En souhaitant qu’il ne soit pas trop tard ! Nous rentrons à Paris tout à l’heure avec Plan-Crépin et demain nous prendrons la direction de Zurich.
— Savez-vous où elle est hospitalisée ?
— Non, mais on trouvera !
— Et qu’est-ce que je vais raconter à Aldo, moi ? Il regrettait déjà de ne pas vous voir aujourd’hui ! Alors s’il ne vous voit pas demain !…
— Que j’ai pris froid, que je tousse, que j’éternue, toutes activités prohibées là où il est. De toute façon, nous ne serons pas absentes bien longtemps, juste l’aller et retour… Ah, vous voilà ! ajouta-t-elle à l’adresse de Marie-Angéline qui rentrait. Descendez donc demander l’heure d’un train pour Paris après déjeuner puis revenez faire les valises.
— Nous rentrons ? gémit-elle, déçue. Mais pourquoi ? Aldo…
— Est tiré d’affaire, dixit le docteur Lhermitte. Adalbert a eu l’autorisation de le voir par faveur spéciale et nous n’aurions pu lui rendre visite que demain. Or, nous avons une mission à remplir.
— Nous allons à Venise ?
— Non. À Zurich où Lisa vient de faire une fausse couche. Alors il faut que demain soir nous soyons là-bas !
— Je vois ! Dois-je prévenir qu’on nous garde les chambres ? Car nous reviendrons, n’est-ce pas ?
— Naturellement… et avec des nouvelles réconfortantes !… Du moins je l’espère.
— Voulez-vous que je vous accompagne ? proposa Adalbert.
— Jamais de la vie ! Qui tiendrait compagnie à Aldo… puisque Pauline vient de repartir ? Quant à ce vieux fou d’Hubert, il est en train de filer le parfait amour avec Wishbone auquel il fait visiter le pays tout en essayant sournoisement de le convertir au druidisme. Ils s’entendent comme larrons en foire ! Mais, au fait, pourquoi voulez-vous nous accompagner ?
— Parce que cela fait beaucoup de voyages à la suite de beaucoup d’émotions… et que je ne vous trouve pas une mine florissante, voilà ! lâcha-t-il.
— Ah, ne recommencez pas avec mon âge ou je vous jette dehors ! J’admets que nous en avons tous « pris un coup » mais, croyez-moi, je tiens debout. Et puisqu’on nous répond de la santé d’Aldo, c’est un gros poids de moins. En outre, je ne redoute pas les voyages et vous le savez parfaitement ! Enfin, comme Lisa est coincée dans un lit elle aussi, il faut en profiter. Et rien n’est plus stimulant pour moi que l’espoir de réconcilier ces deux-là ! Vous en prime, nous ferions un peu trop délégation. Vous comprenez ?
— Je pense que oui ! Et vous avez en Marie-Angéline une force de frappe non négligeable ! Je me contenterai donc de vous conduire à la gare… et de prier saint Christophe !… C’est bien lui qui s’occupe des voyageurs ?
— C’est bien lui ! Plan-Crépin lui voue un attachement tout particulier…
Le lendemain soir, les deux femmes débarquaient en gare de Zurich et se faisaient conduire à l’hôtel Baur-au-Lac qui avait toujours eu les préférences de la famille. À cause de son confort mais aussi de son élégant décor XVIIIe siècle et surtout de ses magnifiques jardins auxquels une mince couche de neige tombée en fin de journée ajoutait au charme romantique… mais, ce soir, ni l’une ni l’autre n’y fut sensible. Le voyage avait été plus long que prévu en raison d’une station inattendue sur une voie de garage afin de laisser passer un train officiel. Résultat, elles étaient éreintées. Aussi dînèrent-elles dans leur appartement puis se couchèrent sans que Mme de Sommières éprouvât le besoin de se faire lire quelques pages. À peine la tête sur l’oreiller elles s’endormirent l’une comme l’autre sans avoir échangé plus d’une douzaine de paroles.
Ce fut au petit déjeuner que l’on décida de ce qu’il fallait faire pour rencontrer Lisa sans témoins, autant que possible. L’appel téléphonique qui avait prévenu Venise s’était borné à signaler l’accident à Guy Buteau mais sans mentionner l’établissement où elle avait été transportée. On avait d’ailleurs raccroché aussitôt et, selon Guy, la voix – inconnue ! – était celle d’un homme mais pas celle de Moritz Kledermann, le père de Lisa.
— Autrement dit, cela pourrait être n’importe qui, fit la marquise en reposant sa tasse de café vide.
— Le maître d’hôtel peut-être ?
— Vous rêvez, Plan-Crépin ? Les domestiques sont ce qu’il y a de mieux donc incapables d’agir aussi grossièrement ! Je pencherais plutôt… pour le cousin Gaspard ! Si nous tombons sur lui, il est très capable de nous envoyer promener sans plus de façons !
— Nous pensons qu’il campe devant la porte de Lisa ?
— C’est à peu près ça ! Téléphonez donc à la réception et dites-leur d’appeler le secrétaire de Kledermann, à sa banque, pour lui demander un rendez-vous avec son patron. Nous n’avons, que je sache, aucune raison de nous cacher. Surtout de lui ! C’est un homme froid mais courtois et qui jusqu’à présent – du moins – aimait bien Aldo. Il me paraît on ne peut plus logique de causer un peu avec lui en vertu de ce principe qu’il est préférable de s’adresser à Dieu plutôt qu’à ses saints !… Mais vous le savez mieux que moi ! Filez !
Dix minutes plus tard, Plan-Crépin était de retour : le banquier venait de partir pour Londres et ne rentrerait pas avant plusieurs jours.
— Décidément les configurations astrales ne nous sont pas favorables, pour parler comme ma défunte tante Alfreda qui fréquentait le Zodiaque et dépassait Mme de Thèbes(1) de cent coudées au tirage des cartes !
— Que j’aurais aimé la rencontrer ! déplora Marie-Angéline.
— Ah, ça je n’en doute pas un seul instant ! Je vous rappelle cependant que l’Église réprouve ce genre d’activité ! N’empêche que j’espère de tout mon cœur que Dieu, qui a l’esprit plus large que ses serviteurs, l’aura reçue à bras ouverts car c’était bien la plus gentille et la plus généreuse des créatures…
— Si nous en revenions à notre problème ? Il me semble que nous nous en éloignons !
— Très juste ! Prenez un taxi, filez à la résidence Kledermann et passez-moi au crible Heinrich, le maître d’hôtel ! Il nous connaît toutes les deux et il n’osera pas vous refuser l’adresse !
Quelques minutes plus tard, Marie-Angéline roulait dans un taxi en direction de la Goldenküste, la Rive dorée, dont la résidence Kledermann était l’un des fleurons, bien décidée à ne pas revenir bredouille, et, apparemment, la chance était de son côté. À cause de la neige sa voiture roulait prudemment et lui laissa tout le temps de remarquer, sortant d’un magasin de fleurs et chargé d’un imposant bouquet de roses pourpres, un personnage en qui elle n’eut aucune peine à reconnaître Gaspard Grindel. Elle fit aussitôt stopper son taxi, suivit des yeux le bouquet, et le vit disparaître dans une rutilante voiture de sport qu’elle désigna derechef à son chauffeur :
— Vous voyez cette chose rouge ?
— Une Bugatti ? Faudrait être aveugle !
— Et vous vous sentez capable de la suivre sans vous faire remarquer ?
— C’est l’enfance de l’art à condition qu’elle n’aille pas trop vite. Et avec cette neige… elle ne va sûrement pas courir la poste.
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