La voix affaiblie s’éleva :
— Par pitié, mon cher Aldo, plus de clinique… si vous avez dans vos murs le professeur Zehnder, il saura bien me retaper !
— Il y a du nouveau, fit Plan-Crépin qui s’était absentée deux minutes, Zehnder a dû mettre son projet à exécution : il y a dehors trois voitures de police ! Cela va être vite réglé !
La réaction d’Aldo fut immédiate. Il se tourna vers Max :
— Foutez le camp ! intima-t-il. Prenez tout ce que vous pourrez emporter et partez ! Ce serait injuste que vous payiez pour tous !
Mais l’homme secoua la tête avec un demi-sourire :
— Merci… mais pas sans elle ! Je vais la rejoindre…
Il partit en courant tandis qu’en bas des bruits de voix, des claquements de portières se faisaient entendre. Pris d’un pressentiment, Aldo s’élança sur les traces de Max. Il dégringolait l’escalier quand deux coups de feu retentirent…
Avant de tirer, Max avait dû étreindre Lucrezia : on les trouva à demi enlacés : elle atteinte au cœur, lui à la tête…
Au creux du décolleté de la femme, le soleil allumait des scintillements verts dans la Chimère d’or et d’émeraudes des Borgia…
Assommé d’un maître coup de poing, Wishbone gisait aux pieds du couple.
Au milieu de cette tuerie hors du temps, Morosini fut à peine surpris de voir surgir Langlois et le Stadtmeister Würmli arrivés avec la police.
Épilogue
Trois semaines plus tard, Aldo ramenait Guy à Venise…
« Le drame de Lugano », « La sanglante affaire de la villa Malaspina », « La fin des derniers Borgia », « La Chimère des Borgia a encore frappé » et pas mal d’autres de la même eau, quels que furent les titres de la presse qui s’en était donné à cœur joie en plusieurs langues, le bruit généré par ce qui prenait tournure de feuilleton du printemps avait été énorme… En rangs serrés, les journalistes prétendaient prendre d’assaut la villa Hadriana en dépit des barrières de police et même des renforts demandés par le commissaire Giuliano qui veillait à l’ordre du Tessin.
Soucieux de préserver le plus possible la marquise de Sommières, Mlle du Plan-Crépin – quoique celle-ci ne soit pas vraiment contre un brin de célébrité ! – mais surtout Guy Buteau, Langlois, une fois enregistrées leurs déclarations, s’était hâté de les embarquer dans le premier sleeping à destination de Paris sous la houlette d’Aldo Morosini. Celui-ci souhaitait vivement confier le plus rapidement possible son vieil ami aux soins du professeur Dieulafoy qui, à deux reprises, l’avait tiré lui-même d’un très mauvais pas. On le véhicula au train dans l’ambulance de la ville et non dans celle que l’on avait trouvée dans les garages de la Malaspina passée au rang de pièce à conviction et dans laquelle il avait voyagé à son corps défendant, ainsi que le professeur Zehnder et Moritz Kledermann.
Seuls demeurèrent donc à la disposition du commissaire Giuliano Cornélius Wishbone, le professeur de Combeau-Roquelaure, Boleslas bien entendu et Adalbert resté afin de surveiller les envolées parfois un peu trop lyriques des trois autres… et aussi, par un accord tacite avec le Texan, d’assurer des funérailles convenables à celle qui avait été l’éblouissante Torelli et qu’ils avaient passionnément aimée tous les deux. Elle serait même ensevelie parée de la Chimère que Wishbone lui avait offerte…
Quand, avant de partir, son gendre lui avait dit au revoir, Kledermann n’avait pas cherché à dissimuler sa déception.
— Bien que je comprenne parfaitement vos motivations, Aldo, je ne vous cache pas que j’espérais que vous reviendriez avec moi à Zurich.
— Il ne faut surtout pas que vous y voyiez un manque d’affection, Moritz, mais, outre que…
— Laissez-moi parler s’il vous plaît ! Vous pensez que Lisa va accourir vers moi et je sais à quel point elle vous a maltraité. Vidal-Pellicorne m’a tout raconté : le divorce et le changement de religion dans le but d’obtenir la séparation plus sûrement…
— Je n’avais à m’en prendre qu’à moi-même. Quelle femme digne de ce nom accepterait d’être trahie quasi publiquement ? Je ne peux pas lui en vouloir. Je n’en ai pas le droit.
— Disons que vous avez eu des torts l’un et l’autre ! Et rappelez-vous qu’elle a été droguée par ce Morgenthal dont je compte m’occuper. Mais je suis là de nouveau et vous refuser votre solide participation à cette résurrection serait de la mauvaise foi ! Raccompagnez la chère marquise et venez me rejoindre !
— Non, Moritz ! Lisa vous aime de tout son cœur et ma présence ne pourrait que lui déplaire ! Elle devrait se contraindre et cela je ne le veux à aucun prix. Elle a le droit de savourer seule son bonheur. Je vous prie instamment de ne pas lui parler de moi !
— Vous demandez l’impossible ! Comment raconter mon sauvetage sans vous mentionner ? Permettez-moi de vous dire que c’est idiot !
— Je ne crois pas ! Comprenez donc qu’au-delà de son bonheur de vous retrouver il y a maintenant le fait que j’ai tué Gaspard Grindel et qu’elle l’aimait beaucoup. Elle ne verra là qu’une vengeance déguisée !… Non, mon cher ami, ne me demandez pas d’être en tiers quand elle viendra se jeter dans vos bras en pleurant de joie. Ne lui abîmez pas cette minute et laissez les choses aller d’elles-mêmes !
— Mais, bon sang de bonsoir, il vous a fait tirer dessus, le cher cousin ! Et il s’en est fallu d’un cheveu si j’ai bien compris ?
— D’un cheveu, oui, mais c’était sans doute la volonté de Dieu… Laissez-le donc faire !
— Sacré tête de mule !… Vous m’abandonnez aux mains de Zehnder ? Il tient à me fourrer quelques jours dans sa clinique pour me faire subir une révision complète comme à un vieux tacot… alors que j’ai tellement envie de rentrer chez moi ! Je suis dans une forme voisine de la perfection !
— Ne ronchonnez pas ! Obéissez ! Vous ne vous en porterez que mieux !…
Rentrer chez lui, Aldo l’aurait plus qu’apprécié. Il y avait des mois qu’il n’avait revu Venise, sa ville tant aimée, et il en souffrait, mais à présent, une crainte se mêlait à son désir : il avait peur de ne retrouver là-bas que tristesse, abandon et solitude. Oh, son palais serait toujours debout dans sa beauté intacte et il ne doutait pas de ses vieux serviteurs pour y veiller, mais qu’en serait-il de l’âme ? En dehors de lui-même, l’enlèvement de Guy avait privé sa maison d’antiquités de son second patron. Il ne restait plus que le jeune Pisani. Un peu jeune justement pour assumer une affaire de cette envergure. En admettant que l’enlèvement de son fondé de pouvoir n’ait pas été assorti de dégâts et de vols plus ou moins importants ! Côté vie privée, c’était la catastrophe ! Plus d’épouse, plus d’enfants ! Le silence le plus oppressant qui soit, celui de l’absence devait régner en maître…
S’il n’y avait eu l’état préoccupant de son vieil ami, il serait rentré tout droit afin de chercher dans un travail acharné, sinon l’oubli – c’était impossible ! –, du moins le réveil de cette passion des pierres précieuses et des œuvres sublimes des anciens… mais il se sentait fatigué, envahi par une lassitude telle qu’il n’en avait jamais connu et contre laquelle il n’avait même plus envie de lutter…
— Tu as surtout besoin de repos, d’un vrai ! diagnostiqua Tante Amélie qui l’observait.
— Le repos éternel peut-être ?
— Imbécile ! Je déteste ces plaisanteries de mauvais goût ! Tu oublies que tu n’en avais pas fini avec ta convalescence quand tu t’es retrouvé lancé dans cette aventure aussi épuisante pour le corps que pour le cœur ! C’est une bonne chose que tu aies voulu remettre le cher Buteau sur pied avant de regagner Venise et la vie quotidienne…
— C’est gentil de n’avoir pas dit : et ta maison vide !
— Encore une réflexion de ce genre et c’est un psychiatre que je ferai venir !
— Surtout pas ! Le calme du parc Monceau me remettra ! J’ai l’impression que je pourrais dormir pendant des heures !
C’est d’ailleurs ce qu’il avait fait durant les cinq premiers jours dans l’agréable chambre jaune donnant sur les jardins où il avait vécu d’autres convalescences. Une cure de sommeil ! Ainsi en avait décidé le professeur Dieulafoy après avoir hospitalisé Guy Buteau dans sa clinique en jurant de lui rendre du tonus !
— Alors pas de soucis de ce côté-là et vous dormez ! avait-il déclaré à un patient renâclant à la pensée de perdre en quelque sorte plusieurs jours de sa vie active.
— Je vais avoir l’impression d’être mort !
— Mais non ! Vous referez surface pour vous nourrir et, quand la cure sera terminée, vos nerfs surchauffés nous diront merci à tous les deux ! Même si vous ne vous en rendez pas compte, vous êtes au bord d’une sévère dépression nerveuse !
Aldo n’aimait pas le mot et moins encore l’idée, mais Tante Amélie arriva à la rescousse :
— On prendra de tes nouvelles tous les matins et on t’embrassera sur le front tous les soirs. Accorde-toi cette parenthèse ! Tu en as d’autant plus besoin que d’autres combats viendront…
Finalement il accepta et l’expérience fut infiniment plus agréable qu’il ne l’imaginait. Entre les brèves périodes de lucidité, il plongeait dans un sommeil paisible semblable à une eau douce et tiède où il évoluait sans le moindre effort…
Au jour convenu pour le laisser se réveiller tout à fait, il trouva Adalbert assis à son chevet entre une fenêtre ouverte sur un matin radieux et le plateau du petit déjeuner.
— Tu es là depuis longtemps ? demanda-t-il en bâillant largement.
— J’arrive juste à point pour t’apporter ton café ! Comment te sens-tu ?
— Bien ! je dirai même merveilleusement bien ! J’ai l’esprit aussi clair qu’après une bonne nuit… et j’ai faim.
— Parfait ! On va partager : j’ai demandé une tasse pour moi aussi. Tante Amélie et Plan-Crépin m’ont accordé le privilège de recueillir tes premières paroles mais on espère ta présence à midi ! À moins que tu ne te sentes encore trop faible ?
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