Percevant ce qu’il ressentait à la crispation de ses épaules, Marie-Angéline ouvrit la portière pour descendre mais, après avoir fait signe à son compagnon de s’éloigner, César l’en empêcha d’un geste de la main :
— Je vous en prie, madame, ne vous donnez pas la peine ! Je viens vers vous, dit-il courtoisement en anglais. On m’apprend que vous êtes américaine ?
— En effet ! répondit-elle, empruntant un nasillement yankee des plus convaincants. Je suis Miss Henrietta Santini de Philadelphie venue passer un mois auprès d’une tante qui m’est chère, Mrs. Albina Santini retirée dans ce beau pays…
— Veuillez m’excuser, mais votre nom ne m’est pas inconnu…
— Il se peut. Tante Albina est votre voisine. Depuis longtemps attachée à cette magnifique région, elle vient d’acheter la villa Hadriana. Or, elle souffre d’une dépression dont, à mon arrivée, j’ai pu constater qu’elle aurait tendance à s’aggraver. Aussi...
— Vous souhaiteriez nous la confier si j’ai bien compris ?
— C’est cela même ! Dans un mois environ, il me faudra rentrer chez moi où je me résignais à la ramener quand le bruit m’est parvenu…
— De notre installation ? Mon ami, le docteur Morgenthal de Zurich, m’en a donné l’idée et nous a déjà envoyé deux patients mais, dans l’état actuel de la maison, nous ne pouvons en accueillir davantage avant justement un mois ou deux… Nous sommes obligés de procéder à d’importants travaux. Aussi dois-je vous prier de prendre patience… et de revenir me voir disons… le mois prochain à pareille date ?
— On ne peut pas visiter ?
— Non, pardonnez-moi ! Ah, je suppose que vous souhaiteriez avoir une approche des tarifs… évidemment élevés que nous allons pratiquer ?
Plan-Crépin lui offrit un charmant sourire teinté de dédain accompagné d’un geste désinvolte :
— Ne vous donnez pas cette peine ! Cela m’indiffère ! Ce qui compte c’est qu’il me soit dès à présent possible d’envisager un avenir confortable et, surtout, selon ses goûts, d’une femme que j’aime infiniment ! Nous garderons d’ailleurs la villa Hadriana afin de pouvoir y séjourner de temps à autre mes frères et moi ! Eh bien, monsieur… ?
— Comte César de Gandia-Catannei ! fit-il en s’inclinant… Qui sera toujours enchanté de vous revoir… quand les travaux seront terminés ! Jusque-là je dois m’absenter.
L’échange de politesse achevé, César s’éloigna tandis que Wishbone faisait demi-tour avec une certaine nervosité.
— Vous êtes sûre d’avoir eu raison en lui disant qu’on était voisins ?
— Tout à fait ! Vous pouvez être persuadé que, depuis que vous êtes là, ils ont dû faire quelques observations et comme vous avez pu leur paraître quelque peu étranges, ils ont au moins une explication valable…
— Si vous voulez ! Moi, en tout cas, je n’ai jamais été aussi heureux d’avoir sacrifié ma barbe et ma moustache ! Parce qu’ils me connaissent tous les deux.
— Expliquez-moi ça !
Ayant trop chaud, elle venait d’ôter son chapeau et s’en servait comme d’un éventail.
— Oh, c’est facile à comprendre et vous oubliez qu’après avoir escorté Lucrezia Torelli depuis sa fuite de Londres, j’ai séjourné au château de la Croix-Haute en tant qu’hôte privilégié ! J’ai même joué aux échecs avec le comte César. Quant à l’autre, Max, il était le majordome. Un curieux majordome qu’il m’est arrivé de voir affublé d’une cagoule de laine noire… et qui accessoirement m’a sauvé la vie ainsi que celles de leurs prisonniers dont je me suis retrouvé au même rang !
— Il fallait commencer par le début ! s’exclama Marie-Angéline ravie. C’est un homme de bien alors ?
— N’exagérons rien ! Il était disposé à nous abattre tous au revolver quand le château a été attaqué mais a « rué dans les brancards » quand Lucrezia est revenue en trimballant des bidons d’essence qu’elle a commencé à déverser autour de nous. Alors il l’a proprement assommée et chargée sur son épaule après avoir libéré Morosini et en lui procurant les moyens de secourir les otages… dont moi ! Moi, qu’elle couvrait de caresses une heure plus tôt !
Submergé sans doute par l’émotion, il donna un brusque coup de volant qui précipita sa passagère sur le dos du siège avant, afin d’éviter un cycliste qui dévalait la route et s’éloignait en le couvrant d’injures !
— Arrêtez-vous et reprenez vos esprits ! conseilla Plan-Crépin qui retrouvait son équilibre et recoiffait son chapeau. Sinon vous allez rentrer en larmes et moi en morceaux !
— Oh, ça va aller ! On est presque arrivés !
— Si vous le dites !… soupira-t-elle en se signant par précaution.
Le trajet s’acheva en effet sans histoires mais dès qu’il eut rentré la voiture au garage, Wishbone fila dans sa chambre, laissant à Marie-Angéline le soin du reportage… Qui fut diversement accueilli comme on pouvait s’y attendre. Le professeur cracha feu et flammes, s’opposant formellement à ce que sa belle-sœur soit enfermée chez des fous, assassins par-dessus le marché :
— Que ce soit dans huit jours ou dans un mois, elle n’ira pas ! Je m’y opposerai formellement !
— Ah ! Que voilà un spectacle qu’il me serait doux de contempler ! ironisa Mme de Sommières, mais il est inutile d’affûter votre lance, vous n’aurez pas à en rompre pour mes beaux yeux : dans un mois nous ne serons plus là !
— Comment le savez-vous ?
— Une intuition ! Et puis réfléchissez un peu ! Il n’a jamais été prévu que nous restions ici en attendant le Jugement dernier. Dans l’état actuel des choses nous n’attendons plus que des nouvelles d’Aldo et d’Adalbert quand ils connaîtront le lieu du rendez-vous entre Grindel et César. Ce qui ne devrait plus tarder, le délai accordé par l’Italien pour la livraison des joyaux Kledermann étant de quinze jours…
— À mon avis, reprit Wishbone, reparu entretemps, le lieu en question devrait se situer quelque part de notre côté puisque César doit livrer Kledermann en échange de la moitié de sa collection. Or ça ne doit être ni facile ni réjouissant d’avaler des kilomètres en compagnie d’un cadavre tandis qu’une clinique – même en gestation ! – me paraît l’endroit idéal pour le garder caché ?
— Et pourquoi n’aurait-il pas été transporté ici dans la première des fameuses ambulances ? avança Plan-Crépin. Rien de plus simple que de le faire passer de vie à trépas au moment de la livraison ! Mais à mon avis, Grindel se méfiera si on le fait venir jusqu’à Malaspina… à moins qu’il n’ait une escorte solidement armée !
— Alors où ? fit Hubert. Notre voisin ne peut se rendre en France où il est recherché par la police pour prise d’otages et complicité d’incendie. Le plus lourd reposant sur sa sœur. En Suisse il est à peu près tranquille !
— C’est égal, soupira Plan-Crépin soudain rêveuse. J’aurais aimé aller mettre mon nez dans le contenu de cette sacrée Malaspina ! À mon avis, si Kledermann est encore vivant il ne peut être que là ! Et puis il y a autre chose qui me tourmente et dont on n’a pas dû se soucier beaucoup et que, moi, j’ai entendu de mes propres oreilles, c’est…
— … l’allusion à la collection Morosini que ce truand prétend pouvoir s’approprier ? dit la marquise. Pas de fol orgueil, Plan-Crépin ! Moi aussi j’y pense ! Et je ne vois qu’un seul moyen : la prise d’otage, mais alors qui ? Lisa ? Les enfants ? Cela me paraît difficile : Valérie fait bonne garde et tous ses serviteurs aussi…
— Sans doute, mais pensez donc à celui qui, d’après César, devrait prendre la direction de la nouvelle clinique !
— Ce Morgenthal qui avait si adroitement manipulé l’esprit de Lisa ? Mon Dieu ! Vous pourriez avoir raison ! Allez appeler Paris, Plan-Crépin. Chez Adalbert on ne doit pas s’éloigner du téléphone de plus de quelques pas !
Elle s’exécuta sans se faire prier et revint en annonçant une attente de trois heures.
— En principe, conclut la marquise, vous devriez tomber sur le maître de céans. Sinon débrouillez-vous comme vous pourrez pour ne parler qu’à lui ! Avec ce qu’il subit depuis sa sortie de l’hôpital, Aldo nécessite encore des ménagements ! Et Adalbert saura parfaitement lui taper sur les doigts pour l’empêcher de prendre l’écouteur et lui faire ingurgiter une couleuvre à sa façon !
En attendant – et une fois le dîner expédié sans trop savoir ce que l’on mangeait – on opta pour un bridge… auquel les deux hommes apportèrent quelque attention, Mme de Sommières et Marie-Angéline jouant, pour leur part, en dépit du bon sens…
Les trois heures d’attente étant légèrement dépassées, Plan-Crépin voulut rappeler. Une voix anonyme lui apprit que suite à des perturbations atmosphériques, la ligne était en dérangement… Un incident plutôt fréquent dans les pays de montagnes.
Et ce fut seulement vers midi, le lendemain, que l’on réussit à obtenir la rue Jouffroy… et la voix courtoise de Théobald qui, très heureux d’entendre Mlle Marie-Angéline, lui apprit que « ces messieurs sont partis ce matin aux alentours de huit heures » après avoir tenté vainement d’appeler la villa Hadriana la veille au soir.
— Partis pour où ? Vous l’ont-ils dit ?
— Pour la Suisse, mademoiselle !
— C’est grand, la Suisse ! Sans préciser autrement ?
— Non. C’est tout ce que je devais dire à ces dames !… Et aussi qu’on les rappellerait une fois l’affaire réglée !
Il avait bien fallu s’en tenir là. Au point où l’on en était, il ne restait plus que le jeu des conjectures et, naturellement, ce fut Plan-Crépin qui l’inaugura :
— Je ne crois pas qu’ils soient en route pour venir nous rejoindre ! On nous aurait prévenues afin que tout soit prêt à les recevoir ! Mais en ce cas, où vont-ils ?… Ils ne retournent tout de même pas à Zurich ?
Et pourtant c’était bien là le rendez-vous !
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