— Trois si vous voulez ! Ensuite vous nous emmenez à l’hôpital, Adalbert. Il est grand temps d’apporter un peu d’apaisement à notre blessé !
— Vous avez l’intention de tout lui dire ?
— Où serait l’apaisement ? Je vais seulement lui parler de l’accident de Lisa, de notre visite, en élaguant le maximum de ce qui pourrait augmenter sa peine : Gaspard, la clinique « neurologique », la guerre des roses, mais en insistant sur l’état de santé de Lisa sans l’affoler inutilement. Je lui parlerai de la lettre de Pauline sans lui cacher qu’elle n’a pas obtenu le succès escompté contre la rancune de Lisa ! Cela dit, redémarrez donc, Adalbert ! Nous n’allons pas finir la journée le long de ce trottoir !
— Avant que vous ne le voyiez, reprit-il en obtempérant, il y a un point que j’aimerais éclaircir : c’est l’absence de Moritz Kledermann. Qu’est-ce qu’il peut bien fabriquer en Angleterre alors que sa fille unique vient d’avoir un accident assez sérieux ? Je n’y connais pas grand-chose mais une fausse couche à plus de cinq mois ça s’appelle un accouchement prématuré et ça peut occasionner des séquelles ?
— Il est parti la veille de notre arrivée et sans doute pleinement rassuré sur l’état de sa fille, expliqua Mme de Sommières. Donc aucune raison de reporter à plus tard des affaires sûrement importantes. Et de toute façon, on sait qu’il descend au Savoy ou chez son ami lord Astor pour le week-end. Satisfait ?
— Pour le moment, oui !
Quand elle se retrouva assise au chevet d’Aldo avec Plan-Crépin en vis-à-vis, Tante Amélie put constater qu’il allait beaucoup mieux – ce qui était une bonne chose ! – et aussi qu’il récupérait ses facultés mentales à une allure record ! C’était sans doute très réconfortant mais ne lui facilitait pas la tâche. Même s’il avait accueilli les deux femmes avec un sourire radieux !
— Donnez-moi vite les nouvelles que vous apportez… car, bien entendu, je n’ai pas cru un mot de ce rhume affreux qui vous retenait au lit. Et d’abord d’où venez-vous ? Tout de même pas de Venise ?
— Non. De Zurich ! Un coup de téléphone de Guy Buteau nous avait appris qu’en arrivant là-bas, Lisa avait eu un accident… Pas gravissime, rassure-toi ! se dépêcha-t-elle d’ajouter en le voyant pâlir. Elle était enceinte d’un peu plus de cinq mois, elle a fait une chute et elle a perdu l’enfant !
— Mon Dieu, une chute ! Après ce qu’elle avait vécu dans ce château de malheur ? Comment va-t-elle ?
— Aussi bien que possible ! Elle est encore à la clinique mais nous pensons qu’elle ne tardera plus à en sortir.
Il y eut un petit silence, après quoi Aldo demanda :
— Vous lui avez parlé de moi ?
— Naturellement, et je ne te cacherai pas qu’elle n’envisage pas dans l’immédiat de te pardonner ! Cependant, elle a accepté de lire, devant moi, la lettre que je lui apportais. Pauline me l’avait remise avant de partir. Une très belle lettre où elle prenait à sa charge votre rencontre dans le train, avouait l’amour qu’elle te porte mais précisait qu’elle n’était pas payée de retour et qu’en réalité tu n’aimais qu’une seule femme : la tienne !
— Qu’a-t-elle répondu ?
— Rien. Elle a soigneusement replié la lettre et la mise sous son oreiller. Ce qui permet d’espérer qu’elle la relira…
— … ou l’aura déchirée après votre départ… murmura-t-il.
— Vous devriez essayer l’optimisme ! C’est meilleur pour la guérison ! assura Marie-Angéline.
— Pardonnez-moi ! Je vous paie bien mal de vous être imposé ce voyage dont vous n’aviez nul besoin. Avez-vous vu mon beau-père ?
— Non ! Il est parti pour Londres dès qu’il a été tranquillisé sur l’état de santé de sa fille. Son secrétaire nous a fait savoir qu’il comptait y rester quelques jours et nous ne pouvions pas nous permettre de nous attarder très longtemps.
— Ainsi elle est seule à Zurich ? Pourquoi n’est-elle pas allée à Vienne rejoindre les enfants et leur grand-mère ?
— C’est sans doute ce qu’elle fera quand elle sera moins fatiguée. C’est une véritable épreuve qu’elle vient de subir, tu sais ? Et te savoir si atteint n’a pas arrangé les choses !
— Je ne suis pas sûre que ce soit à ce propos, renchérit effrontément Marie-Angéline, mais je l’ai entendue pleurer… En effet, vous pensez bien que je n’ai pas pénétré dans la chambre et que j’ai attendu dans le couloir. Je suis persuadée, Aldo, qu’il vous faut prendre votre mal en patience ! Vous sortirez bientôt d’ici pour votre convalescence à Paris. Cela vous donnera à l’un comme à l’autre le temps de cicatriser…
— Je n’en suis pas certain. Vous oubliez que Langlois a l’intention de l’interroger ?
— Il ne va pas lui sauter dessus toutes affaires cessantes… Son état de santé demande des ménagements d’autant. – Tante Amélie prit un ultime temps de réflexion avant de lâcher – Il vaut tout de même mieux te le dire afin que tu accordes à ta femme quelques circonstances atténuantes…
— Tous les torts sont pour moi ! Pas pour elle ! J’ai la certitude qu’elle n’est pas impliquée dans ce qui m’est arrivé. Alors ?
— Elle ne pourra plus avoir d’enfants ! Tu me diras qu’avec trois réussis elle devrait en souffrir moins qu’une autre…
— Non ! Elle doit ressentir cela comme une blessure… se sentir amoindrie… Ma pauvre Lisa !
— On va se mettre à la recherche du docteur Lhermitte afin de savoir quand on peut te ramener !
— Le plus vite possible ! Sans vouloir me montrer ingrat, j’en ai par-dessus la tête de l’hôpital !
Elles allaient atteindre la porte quand il ajouta, subrepticement :
— Pendant que j’y pense, vous n’auriez pas, par hasard, aperçu le cousin Gaspard lors de votre visite ?
Elles n’échangèrent même pas un regard :
— Mon Dieu non ! répondit l’une.
— Absolument pas, confirma l’autre. Vous venez Plan-Crépin ?
Un dernier sourire, un petit geste de la main et elles étaient dehors.
— Vous mentez infiniment mieux que moi ! apprécia Mme de Sommières. Vous n’avez même pas rougi.
— Mais nous non plus sauf le respect que je nous dois ! Preuve que nous avons au moins de bonnes dispositions ! Cela dit si nous avions avoué l’épisode des roses et la suite, il serait déjà dans la rue en train de héler un taxi pour se faire conduire à la gare !
Elles auraient été fort déçues si elles avaient pu savoir que leur belle unanimité n’avait pas convaincu Aldo. Il les connaissait trop bien toutes les deux ! Mais il ne quitta pas son lit pour autant. Tout au contraire, il plongea dans une profonde réflexion d’où il n’émergea qu’à la venue de son dîner qu’apportait – par faveur spéciale ! – Mme Vernon :
— Oh, je vous ai dérangé, s’excusa-t-elle. Vous dormiez…
— Non ! Je réfléchissais !
— À quoi, si je ne suis pas indiscrète ?
— En aucune façon ! Je voudrais savoir quand je vais pouvoir rentrer à Paris ?
— Vous vous ennuyez tant que ça avec nous ?
— Ce serait de l’ingratitude mais je me languis de retrouver une vie plus normale !
— C’est bien naturel… pourtant vous devez être conscient qu’il vous faut encore pas mal de repos ?
— Je m’y soumettrai mais à Paris je serai chez moi presque autant qu’à Venise et je pourrai m’occuper de mes affaires négligées par force depuis un bon moment !
— Allons ! Je vois qu’il faut vous rassurer, concéda-t-elle en arrangeant ses oreillers derrière son dos afin qu’il puisse manger plus confortablement. J’ai entendu M. Lhermitte dire qu’il pensait vous libérer samedi prochain. Je crois même que l’ambulance est prévenue…
— Quatre jours à attendre !
— Ce que vous pouvez être insupportable ! Aussi je précise : si toutefois la fièvre ne revient pas ! Alors vous savez ce qu’il vous reste à faire ? Garder un calme olympien. Sinon…
Le message était clair. Aldo attaqua son potage avec un soupir résigné. Dieu, qu’ils allaient être longs ces quatre jours !
Le lendemain, Hubert de Combeau-Roquelaure et Cornélius B. Wishbone vinrent déjeuner à l’hôtel de l’Univers sur l’invitation d’Adalbert. Venus d’horizons tellement différents et en dépit d’une nette différence d’âge et de culture, les deux hommes n’en avaient pas moins noué une amitié inattendue mais solide. Au point que le professeur avait offert l’hospitalité au Texan et que celui-ci s’était établi quasi naturellement dans la belle vieille maison du Grand Carroi, authentiquement médiévale puisque ses murs avaient vu passer Jeanne d’Arc mais que son propriétaire avait réussi à doter d’un confort aussi ingénieux que raffiné sur lequel veillait Boleslas, un Polonais ancien musicien au nom imprononçable, chevelu à l’instar de Chopin, son dieu dont il connaissait la totalité de l’œuvre que, faute de piano, il chantait à pleins poumons ou psalmodiait lugubrement selon l’humeur du jour. C’était un réfugié politique haïssant les Soviets et échappé de leurs geôles que le professeur avait trouvé le plus romantiquement du monde à moitié gelé un soir d’hiver devant le Collège de France où il venait de délivrer un cours magistral ! L’immense dignité dont faisait preuve cet échalas en demandant l’aumône sur l’air du Nocturne n° 5 avait frappé Hubert, peu émotif cependant, qui l’avait ramené à son logis parisien du boulevard Saint-Michel où il l’avait confié à sa concierge, Mme Lebleu, qui s’occupait de son appartement afin qu’elle prépare pour lui la chambre de bonne et qu’elle le remette en état de marche avant de le ramener avec lui à Chinon. Là il l’avait remis à l’examen de Sidonie sa gouvernante et femme à tout faire qui avait découvert en lui de réels talents d’homme d’intérieur. Ce qui lui permettait de se consacrer exclusivement à la cuisine.
Au moment où Aldo et Adalbert étaient apparus dans son environnement, Boleslas était absent : le professeur l’avait prêté à l’un de ses vieux amis d’Angers qui, après avoir perdu son valet de chambre, venait de se casser la jambe, en attendant de dénicher un autre serviteur… Son retour s’était effectué au lendemain de l’effondrement de la Croix-Haute qu’il regrettait amèrement de ne pas avoir vécu aux côtés de son maître. L’entrée en scène du Texan lui causa un plaisir extrême grâce au parfum d’aventure qu’il transportait et parce qu’il le trouvait follement sympathique. Dès lors la maison du Grand Carroi vécut le plus souvent sur un rythme de valses – celle du « Petit Chien » de préférence ! – que sur celui des Nocturnes. Et le Polonais atteignit presque à l’extase quand les deux hommes entreprirent d’un commun accord de s’intéresser aux vestiges du château incendié en passant par les souterrains dans l’espoir de découvrir d’abord le chemin emprunté par la bande criminelle pour rejoindre la rivière et peut-être des restes pouvant donner d’autres indications.
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