La sonnette de l’entrée retentit, annonçant le commissaire. Mme de Sommières frappa vigoureusement le sol de sa canne.
— Assez déraillé, Plan-Crépin ! Et tâchez de tenir votre langue pointue si vous ne voulez pas aller aider Prisca à traire ses vaches !
Élégant à son habitude – costume gris anthracite et cravate assortie à peine éclairée de fines rayures blanches et rouges, ces dernières en accord avec la discrète rosette de la Légion d’honneur –, Langlois s’inclina sur la main de Mme de Sommières, serra celle de Marie-Angéline en s’inquiétant de leur santé.
— Rien à signaler de ce côté-là ! sourit la marquise, je vais vous conduire à la bibliothèque où mon époux aimait se retirer. Vous y serez plus à l’aise pour causer entre hommes qu’au milieu de mes plantations. Il y a du feu et Cyprien vous servira ce que vous voudrez !
— Votre accueil à lui seul est un plaisir, Madame, et je tiens à vous remercier de l’aide que vous voulez bien m’apporter !
— Ne renversez pas les rôles ! Je vous suis infiniment reconnaissante d’avoir évité à Aldo la convocation dans vos bureaux que la presse doit assiéger sans désemparer !
— Elle n’y manque pas. Bonsoir, Morosini ! ajouta-t-il à l’adresse de ce dernier qui les rejoignait. Désolé de vous avoir fait refaire le voyage depuis Venise, mais il est impératif que je vous parle…
— Vous n’allez pas vous excuser, j’espère, alors que vous agissez en ami ! Je ne vous cache pas que je suis complètement déboussolé…
Après les avoir guidés à la pièce annoncée, Mme de Sommières se retira, fermant silencieusement la porte sur les deux hommes assis de part et d’autre de la cheminée dans les grands fauteuils tapissés de velours vert anglais, un plateau chargé de verres et de bouteilles posé près d’eux sur une table basse. Une image de paix plutôt rassurante…
Elle s’apprêtait à regagner son jardin d’hiver, quand un bruit de voix l’attira dans le vestibule. Elle y découvrit Plan-Crépin en compagnie de Théobald, le valet multifonction d’Adalbert Vidal-Pellicorne… lequel pleurait à creuser les cailloux.
— Théobald ? Mais que vous arrive-t-il ?
— Il vient nous dire adieu ! expliqua Marie-Angéline qui, les bras croisés et les sourcils froncés, observait le phénomène.
— Comment cela, adieu ? Mais d’abord ne restons pas là, c’est plein de courants d’air…
Elle tourna les talons pour rejoindre son poste de commandement habituel, les deux autres à sa suite. Et se laissa tomber dans son fauteuil : Théobald en était à présent aux sanglots. Il tremblait comme une feuille et, craignant qu’il ne s’effondre sur le tapis, elle le fit asseoir.
— Donnez-lui un remontant, Plan-Crépin, et, en attendant qu’il reprenne son souffle, racontez ce qu’il a pu réussir à articuler ! Adalbert déménage ?
— Si je ne craignais d’être vulgaire, je dirais qu’en effet il déménage, mais au figuré ! Il n’est pas question de vendre l’appartement de la rue Jouffroy, ni même d’en liquider les meubles, mais de tout épousseter avant de poser les housses, d’emballer la garde-robe de Monsieur ainsi que les matériaux du livre qu’il est en train d’écrire, de tout fermer soigneusement en avertissant le concierge et de rejoindre Adalbert à Londres. C’est bien ça, Théobald ?
— Ouiiiiiiiiii…
— Bah ! Ce n’est pas la première fois que « Monsieur » va séjourner dans son appartement de Chelsea !
— Mais il ne va pas y séjourner, justement. Il le « prête » à la Torelli tandis que lui-même se logera au Savoy.
— Pourquoi ne laisse-t-il pas Théobald à Paris, comme il en avait coutume depuis des années pendant ses campagnes de fouilles en Égypte et autres déplacements ?
— Tout bonnement parce qu’il met ce malheureux au service de cette abominable créature. Madame veut faire de Londres – où elle chante en ce moment – son centre d’activités. Et la maison d’Adalbert lui plaît d’autant plus que c’est lui qui paiera le loyer !
— Je ne vois là aucune raison pour que Théobald nous fasse ses adieux !
Celui-ci jugea utile d’intervenir :
— Si… avec la permission de Madame la marquise, parce que je vais porter là-bas tout ce que Monsieur m’a demandé mais je vais aussi lui rendre mon tablier. J’ai déjà eu l’honneur de vous le dire : je ne servirai pas cette… dame ! Ma mission remplie, j’irai retrouver mon frère Romuald dans son jardin d’Argenteuil ! J’ai trop souffert du temps de Mme la princesse Obolensky ! Je préfère m’en aller !
— Je vous proposerais volontiers de venir chez nous, dit Mme de Sommières, mais, dans l’état actuel des choses, vous auriez l’air de trahir votre patron. En outre, je pense que cette histoire ne durera pas plus que les précédentes. Aussi je vous propose de ne pas couper les ponts avec qui que ce soit ! Ou je me trompe fort, ou vous n’en avez pas fini avec notre égyptologue ! Et je vous en prie, suivez-le, ne serait-ce que pour nous tenir au courant !
Théobald parti, un peu réconforté, les deux femmes gardèrent le silence un moment. Ni l’une ni l’autre n’aimaient la tournure que prenaient les événements mais aucune ne voulait en convenir. Finalement, la marquise soupira :
— Vous, je ne sais pas, mais moi je boirais bien encore un peu de champagne !
— Ne pensons-nous pas qu’il vaudrait mieux prier ?
— L’un n’empêche pas l’autre ! Demain, vous ferez dire une neuvaine de messes !
— À qui ?
— Comment « à qui » ? Je ne sais pas, moi ! C’est vous, la spécialiste. Personnellement, j’opterais pour saint Michel ! D’abord c’est un archange, ensuite les milices célestes, l’épée flamboyante me paraissent tout à fait adéquates ! Sinon, vous penseriez à qui ?
— Je redoute d’être obligée d’appeler au secours sainte Rita !
— Je n’ai pas l’honneur de la connaître !
— Sainte Rita de Cascia, la patronne des causes désespérées !
— On n’en est tout de même pas là ! Du moins je l’espère ? Tenons-nous-en à l’Archange ! Et vous pourriez lui promettre, dans la foulée, un pèlerinage ! Le sublime Mont au Péril de la Mer m’a toujours profondément fascinée et émue…
Cela, Plan-Crépin voulait bien le croire, en dépit de la foi assez tiède de sa cousine et patronne. Peut-être à cause de la larme, vite essuyée d’un doigt nerveux, qui avait brillé un instant au coin d’un œil toujours aussi vert…
En attendant, elle alla chercher le champagne.
Pendant ce temps, dans la bibliothèque, Langlois achevait de confesser Aldo sans mettre sa parole en doute un seul instant. Il connaissait trop les hommes et surtout celui-là qui semblait attirer les femmes – et pas les plus laides ! – comme le miel attire les mouches pour qu’il en soit autrement. À plusieurs reprises déjà, Morosini avait manqué laisser sa vie au cours de leurs relations houleuses et, une fois, l’harmonie de son couple. Naturellement il connaissait moins son épouse, mais suffisamment pour deviner que cette superbe fille rousse aux yeux de velours violet ne supporterait pas le scandale public qui était à deux doigts d’éclater.
Après le papier fracassant de L’Intran, d’autres publications de moindre importance avaient fait paraître des « échos » sur le mode plaisant, mais d’autant plus venimeux, dans le genre : « Enlèvement ou escapade amoureuse ? » qui, s’ils parvenaient jusqu’à Lisa, ne manqueraient pas de soulever sa colère et la pousser à rejeter définitivement son mari.
Jusqu’à présent, le mal était à peu près jugulé. Il avait suffi au policier – chose qu’il n’aurait concédée à personne d’autre ! – de faire circuler, aux rédacteurs desdites publications, l’ordre – avec toute la courtoisie voulue ! – de mettre en « attente » temporairement, et dans l’intérêt d’une enquête plus dangereuse qu’il n’y paraissait, « leur petit jeu ». En promettant de les tenir au courant des résultats quand on en aurait. Et ça avait marché parce que sa réputation de grand chef n’était plus à démontrer et que tous savaient que se le mettre à dos pouvait coûter très cher.
Aldo ne lui avait rien caché de ce qu’avaient été ses relations avec Pauline Belmont, gêné d’ailleurs de devoir lui laisser la responsabilité de leur dernière rencontre dans le train.
— Sans doute l’ai-je appelée inconsciemment puisque, plantant là mon client et sa Chimère, c’était en fait elle que je fuyais. J’aurais dû…
— Oubliez vos scrupules de gentilhomme ! Moi, ce que j’ai besoin de connaître, c’est la seule vérité. Vous ne l’avez pas enlevée et vous m’avez fourni tous les éclaircissements qu’il me fallait. Je vais la faire rechercher. Une femme d’une telle beauté, d’une telle élégance ne laisse pas indifférent ! Je ferai aussi vérifier votre passage au Continental de Milan. Mais je crains qu’en fait d’escapade amoureuse il ne s’agisse bel et bien d’une affaire criminelle et que, si Mrs Belmont n’a pas été escamotée par vous, c’est par quelqu’un qui ne lui veut aucun bien…
— Vous la croyez en danger ?
— Je le craignais plus ou moins mais à présent j’en suis persuadé. Qu’allez-vous faire, vous-même ?
— Vous laisser travailler… et retourner chez moi en espérant que ma femme ignorera toujours tout de cette aventure !
— Si cela arrivait, envoyez-la-moi ! Je saurais quoi lui dire !
— Merci. Je commence à croire que vous êtes vraiment un ami !
— Vous ne vous en étiez pas encore rendu compte ? En tout cas, bon voyage ! Et… que cela vous serve de leçon ! Bon… maintenant, je vais de ce pas saluer ces dames et prendre congé…
— Pas sans avoir bu un verre de champagne ! Tante Amélie prône ses vertus pour les baisses de moral !
Le champagne était bel et bien au rendez-vous, mais de toute évidence, la sérénité, elle, n’y était pas. Mme de Sommières, visiblement soucieuse, s’efforçait de calmer une Plan-Crépin furibarde chez qui la colère avait au moins l’avantage de sécher des larmes avant qu’elles ne sourdent…
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