Et puis… et puis, dans sa première gazette de février 1638, Théophraste Renaudot écrivit : « Le 30 tous les princes, seigneur et gens de condition se sont allés conjouir avec Leurs Majestés à Saint-Germain, sur l’espérance conçue d’une très heureuse nouvelle à laquelle, Dieu aidant, nous vous ferons part dans peu de temps. »

Enfin ! La Reine était enceinte ! Paris éclatait de joie. Soulagées d’un grand poids, Marie et Sylvie en pleurèrent dans les bras l’une de l’autre. François, lui, se soûla comme toute la Pologne à lui tout seul. Au point qu’il fallut que ses écuyers le ramènent, inconscient, à l’hôtel de Vendôme.

Il prétendit ensuite que c’était sa façon à lui de fêter l’événement, mais son « allégresse » ressemblait beaucoup à celle de Monsieur. Au château de Blois, en effet, on s’efforçait de faire contre mauvaise fortune bon cœur devant une nouvelle qui abattait les espérances du duc d’Orléans. Des espérances que, cependant, il s’efforçait de ranimer en pensant que la Reine n’avait fait jusqu’à présent que des fausses couches et que, au pire, si elle s’obstinait à garder son enfant, celui-ci avec une chance sur deux d’être une fille. Aussi les prières de l’héritier inquiet ainsi que ses confessions prirent-elles une drôle de tournure.

Dans la première quinzaine de février, on porta chez la Reine, en grande pompe, la ceinture de la Vierge du Puy-Notre-Dame – au sud de Saumur – qui, rapportée de Jérusalem au temps des Croisades, possédait, assurait-on, le pouvoir de diminuer les douleurs de l’enfantement. De ce jour, les appartements d’Anne d’Autriche embaumèrent l’encens au point qu’il fallut souvent ouvrir les fenêtres.

Ce fut au lendemain de ce beau jour que Corentin, ravagé d’angoisse, accourut à Saint-Germain pour annoncer à Sylvie une terrible nouvelle : la nuit précédente, Perceval de Raguenel avait été arrêté par le guet et le Lieutenant civil en personne pour avoir assassiné une prostituée…

CHAPITRE 11


UN PIÈGE IMMONDE…

Cette nuit-là qui était de pleine lune, Perceval et son ami Théophraste visitaient du côté de la porte Saint-Bernard les abords du Petit Arsenal où le Roi avait installé depuis peu la fabrication de poudre à canon, jusqu’alors intégrée au Grand Arsenal des environs de la Bastille. De ce fait, le lieu, désert et plutôt inquiétant, avait été adopté par des truands avides de tranquillité et quelques courageux cabarets où se traitaient de fructueuses affaires. Tout naturellement, des filles s’étaient intégrées à cette faune.

Le hasard n’entrait pour rien dans le choix de ce nouveau terrain d’exploration : un court billet griffonné sur du papier sale et froissé était arrivé sur la table du gazetier. L’écriture tremblée laissait supposer que le correspondant inconnu mourait de peur. Celui-ci recommandait d’ailleurs à Renaudot la plus grande prudence, le tueur au cachet de cire étant dangereux.

— Pourquoi vous prévenir, vous ? objecta Raguenel qui trouvait le procédé bizarre. Vous ne remplacez pas, j’imagine, les archers du guet ?

— Je ne sais pas si vous l’avez remarqué mais, chez ces messieurs chargés de la paix nocturne de Paris, on n’est pas très courageux. Et cette histoire répand un parfum de soufre bien propre à glacer la moelle des os. Et puis, il se peut aussi que notre correspondant n’ait pas la conscience très pure et ne souhaite pas approcher de trop près des autorités portées parfois à confondre indicateur et coupable.

— C’est sagement pensé. Nous irons donc ce soir.

Humide et doux pour la saison, le temps annonçait déjà le printemps quand la barque de Renaudot déposa les deux hommes au port Saint-Bernard. Des nuages se poursuivaient d’un bout à l’autre du ciel, cachant parfois le disque blanc de la lune. Le Petit Arsenal, long bâtiment flanqué de maisons basses, apparaissait dans une sorte d’isolement silencieux mais le quartier voisin offrait une collection de masures plus ou moins lépreuses où l’on n’avait pas l’air de dormir : quelques lumières brillaient derrière les carreaux sales et, dans une taverne dont l’enseigne grinçait, quelqu’un chantait…

Les deux amis parcouraient les ruelles creusées d’ornières d’où émergeaient plus de détritus que de pavés sans avoir rien rencontré de suspect quand, soudain, un cri, le terrible cri qu’ils connaissaient déjà, se fit entendre.

— C’est par là ! souffla Théophraste en indiquant une artère qu’ils avaient visitée peu de temps auparavant.

Ils s’élançaient, guidés par un gémissement qui se poursuivait, quand un autre cri, plus affreux encore que le premier, éclata dans la direction opposée. Cette fois, c’était près de l’Arsenal…

— Continuez seul ! J’y vais, décida Perceval qui prit sa course vers le bâtiment militaire. En tournant le coin, il aperçut une ombre qui, tel un rat, se faufilait dans un boyau entre deux maisons basses, et naturellement l’y suivit. Mais à peine était-il entré dans l’étroit passage qu’il buta sur quelque chose et tomba de tout son long sur ce qui était un cadavre encore chaud. Au même instant, il recevait sur le derrière du crâne un coup violent qui lui ôta toute conscience.

Naturellement, de ce qui s’était passé en réalité, Corentin ne savait rien. Il ne put donc rapporter à Sylvie que ce que lui avait confié l’exempt de police Desormeaux, qui était le bon ami de Nicole Hardouin et qui, par chance, avait été chargé de la perquisition au domicile du prétendu coupable. Une chance, en effet, parce que, grâce à lui, les chers livres et papiers de Perceval, sa jolie maison, n’avaient subi que peu de dommages. Il n’empêche que ce qu’avait dit Desormeaux était grave : le guet, prévenu par un billet anonyme, s’était porté à l’endroit indiqué et avait trouvé le chevalier évanoui sur le corps d’une fille égorgée et portant au front le fameux cachet de cire. Le couteau qui avait servi était à portée de sa main, comme s’il s’en était échappé, et, mieux encore, on avait trouvé dans sa poche un morceau de cire à cacheter, un briquet, une chandelle et un petit sceau ciselé à la lettre oméga. Ce dernier détail mit un comble à l’indignation de Sylvie :

— Et personne ne s’est demandé qui avait pu l’assommer ? À moins qu’il n’ait fait ça tout seul ?

— On a conclu que quelqu’un l’avait surpris au moment de son forfait mais, terrifié par le spectacle, avait préféré se sauver.

— On n’a pas pensé non plus que le cachet et le reste pouvaient avoir été glissés dans ses poches par le meurtrier dont nous savons très bien, vous et moi, que ce ne peut pas être lui. Au fait, et M. Renaudot qui était avec lui ? Il n’a rien trouvé à dire ?

— Il en est incapable, car il est au lit avec une forte fièvre. On l’a découvert à quelques toises de l’Arsenal, couché à terre, avec une blessure à la tête. Lui aussi a dû être assommé.

— Et c’était aussi sur une femme égorgée ?

— Non. Il n’y avait rien. Le Lieutenant civil pense que notre maître a dû se prendre de querelle avec lui et qu’il a voulu le tuer avant d’aller commettre son forfait.

— Cela n’a pas de sens ! Tous deux cherchaient l’assassin au cachet de cire et, même s’il a une forte fièvre M. Renaudot doit pouvoir dire la vérité ?

— Eh non ! Il en est incapable car il n’a pas sa connaissance…

Terrifiée, Sylvie tourna vers Jeannette un regard lourd d’angoisse. Celle-ci demanda :

— Où est M. le chevalier à cette heure ?

— Au Grand Châtelet où on l’a ramené avec le corps. Mais comme il est gentilhomme, on va le conduire à la Bastille pour y instruire son procès.

— C’est ridicule ! Un homme comme lui, arrêté pour ces crimes abjects ? Il faut être fou ou idiot pour ne pas croire ce qu’il dit !

— Les gens de police, vous savez, croient ce qu’ils voient sans chercher plus loin. Si Desormeaux s’est laissé aller à nous aider un peu, c’est parce qu’il tient à Nicole et qu’il sait très bien ce qu’elle lui réserverait s’il en allait autrement. Déjà, ce matin, elle a voulu lui taper dessus avec une bassinoire !

— Il doit exister un moyen de faire reconnaître son innocence ? La seule idée qu’il est aux mains de cet abominable Laffemas m’épouvante. C’est un homme affreux !

— Oui, mais… il est au service du Roi.

— Le Roi ! s’écria soudain Sylvie, éclairée par ce que venait de dire Corentin. Il faut que je voie le Roi !

— Vous n’ignorez pas, mademoiselle Sylvie, que le Roi est parti tôt ce matin pour Versailles.

— La Reine alors ! Maintenant qu’elle attend un enfant, son époux n’a rien à lui refuser !

— La Reine ne peut rien dans ce cas, objecta Corentin, et je serais étonné qu’elle fasse quelque chose ! En outre, on dit à Paris que notre Sire n’est pas aussi content qu’on pourrait le croire… Si j’osais vous donner un conseil…

— Eh bien, donnez ! Ne traînez pas !

— Ce serait de voir le Cardinal. Vous êtes en bons termes avec lui. Et puis, Rueil n’est pas aussi loin que Versailles ?

Sylvie, qui s’était mise à marcher de long en large en serrant ses mains l’une contre l’autre pour les empêcher de trembler, s’arrêta net.

— Vous pourriez bien avoir raison. Je vais y aller ! Mais il faut d’abord que j’obtienne la permission de sortir. Et puis il nous faut une voiture !

— Je ne suis pas venu à pied, mademoiselle Sylvie. J’ai pris la nôtre. Elle attend dehors sous la garde d’un gamin.

En se rendant chez la Reine, Sylvie avait dans l’idée de lui raconter l’histoire, dans l’espoir qu’elle parlerait à son époux. La malchance voulait que Marie de Hautefort, le meilleur avocat souhaitable pour plaider la cause de l’innocent Perceval, soit absente pour quelques jours, rappelée par sa famille au chevet de sa grand-mère, Mme de Flotte, dont elle avait reçu la survivance en tant que dame d’atour. Son influence sur le Roi était certaine et – Sylvie du moins le pensait – les choses avec elle se fussent arrangées plus aisément. Hélas, la jeune fille ne savait même pas où elle se trouvait. En outre, lorsqu’elle rejoignit le Grand Cabinet de la Reine, la pièce était remplie de monde, et pas des moins malveillants à son égard. Depuis l’annonce de la future naissance, la popularité d’Anne d’Autriche était remontée en flèche. Sylvie se contenta donc de demander à Mme de Senecey la permission de s’absenter du château pour quelques heures.